Quelques claquements de doigts, une voix chaude et sensuelle qui murmure « you give fever »…, voici probablement un des succès les plus mémorables de la chanson américaine des années 50 et de cette grande dame de la variété américaine du jazz que fut Peggy Lee.
Née en 1920, Peggy perd très jeune sa maman. Son père, d’origine suédoise, se remarie avec une femme particulièrement méchante et violente. Souvent frappée, Peggy quitte jeune sa famille pour travailler pour un laitier, puis tenter sa chance dans différents petits orchestres pour des radios locales. Engagée par l’orchestre de Benny Goodman, le roi du swing, elle grimpe rapidement les marches de la gloire. Why don’t you do right (1942), qu’elle interprète devient un très gros succès populaire (la chanson sera réutilisée dans le dessin animé qui veut la peau de Roger rabbit) et Peggy la reprend, coiffée d’un chignon à la Betty Grable (avec laquelle elle présente une légère ressemblance) dans le film le cabaret des étoiles (1943) toujours avec l’orchestre de Benny Goodman.
Après son mariage avec Dave Barbour, le guitariste de l’orchestre, Peggy opte pour une carrière de chanteuse en solo. « Manana »1947, une samba humoristique dont elle est aussi l’auteur sera un gros succès populaire (version française par Lily Fayol) et « it’s a good day », un numéro plein d’allégresse sera repris dans une pub bien des années après.
Pour emprunter les mots de Marlène Dietrich, qui l’admirait beaucoup, Peggy Lee c’est avant tout une « voix de miel », une façon de chanter sur un ton confidentiel, mais aussi un sens du swing et une musicalité qui lui vaudront souvent d’être comparée avec les plus grandes chanteuses blacks de l’époque (Bilie Holiday notamment).
Après avoir chanté avec Bing Crosby dans Mister Music (1950), elle est enfin engagée dans un premier rôle pour le fade remake du chanteur de jazz (1952) avec Danny Thomas. Si la trame du film parait complètement démodée, Peggy resplendit. D’une part, elle n’a jamais été aussi belle, et ses chansons sont vraiment fort bien choisies (notamment une reprise très syncopée de « lover », à 1000 lieux de l’original de Jeanette Mac Donald , qui lui vaudra un disque d’or.
L’année suivante, Peggy interprète et écrit les paroles de l’envoûtante chanson du fameux western « Johnny Guitar ».
Sur un plan cinématographique, 1955 est sa grande année. Elle compose les musiques du dessin animé de Disney « la belle et le clochard » et double vocalement le personnage de la belle et les chats siamois. (Des années plus tard, Peggy Lee traînera les productions Walt Disney devant les tribunaux pour obtenir un intéressement sur la vente du film en cassette vidéo, et finira par avoir gain de cause). La même année, elle joue dans un polar de Jack Webb « la peau d’un autre – le gang du blues ». Situé pendant la période de prohibition, ce film très violent pour l’époque est assez original, mais au final plutôt décevant. Les chansons interprétées par Peggy sont toutes soporifiques et ne tiennent pas la comparaison avec la chanson titre interprétée brillamment par Ella Fitzgerald. Cependant, Peggy révèle des qualités insoupçonnées de comédienne dans son rôle de chanteuse frappée si violemment par son compagnon, qu’elle perd la raison.
En 1958, Peggy Lee triomphe avec la chanson Fever . Un standard repris par Elvis Presley, Madonna, Caterina Valente (en français avec de curieuses paroles de Boris Vian). Autant dire qu’aucune de ces copies n’arrive à la cheville de la version de Miss Peggy Lee.
Contrairement à ses consoeurs de l’époque, Peggy Lee n’aura pas à souffrir de l’explosion du rock n’roll et de la pop music à la fin des années 50. Sa façon déjà très moderne de chanter lui permettent même de reprendre « a hard day’s night » des Beatles ou « bridge over troubles waters » de Simon et Garfunkel. Très éclectique, elle n’hésite pas à se frotter à la soul music comme aux rythmes afro cubains. Elle chante quelques génériques de film (notamment « rien ne sert de courir » l’un des derniers films avec Cary Grant, qui fut un de ses meilleurs amis (je l’aurais bien traîné jusqu’au lit si j’avais pu » aurait-elle déclaré !). Dans sa bio, elle indique avoir eu une liaison avec un célèbre acteur (marié) dont elle préfère taire l’identité. Peggy Lee va se marier 5 fois au total.
Dans les années 70, son étoile finit par pâlir. Elle cumule les problèmes de santé (diabète, pneumonies, accidents) et a beaucoup de mal à garder la ligne. Ce qui ne l’empêche pas de garder sa longue chevelure blonde et d’affectionner les robes rose bonbon, pour un résultat pas toujours très heureux. Elle va ainsi inspirer le personnage de Peggy la cochonne dans le Muppet show. En 1983, la comédie musicale basée sur sa vie qu’elle monte à Broadway est un fiasco. Bientôt condamnée au fauteuil roulant, l’artiste va continuer à ce produire sporadiquement, et à enregistrer (notamment un duo avec Gilbert O’Sullivan) même si sa voix n’est plus qu’un soupir.
Elle est morte en 2002. Pour ceux qui voudraient la découvrir, je ne sais quel disque conseiller, tant elle en a enregistré. J’aime beaucoup « Black coffee » un album du milieu des années 50, très jazzy ou les morceaux très swing de la fin des années 40 (sa jolie version des cavaliers du ciel notamment). Les amateurs « d’easy listening » et de variétés, préfèreront ces nombreux disques pour la Columbia dans les années 60 avec l’inoubliable fever, le très « soul » I’m a woman, le « broadwesque » big spender et le très nostalgique et désabusé « is that all there is », un de ses meilleurs morceaux et son dernier gros tube (1969). Il y a quelques années, on trouvait sur le marché un superbe longbox avec toutes les périodes réunies (dont sa superbe version du « Everybody loves somebody sometime » peut-être meilleure que celle de Dean Martin).
En 2006, Gwyneth Paltrow a tenu le rôle de Peggy dans la biographie filmée de Truman Capote (même si le personnage porte un autre nom dans le film).
Peggy Lee, une très grande dame de la chanson américaine. Impossible d’ignorer celle que Duke Ellington surnommait « la Reine »: ses chansons ont été tellement reprises dans des spots publicitaires, films, etc.. que vous l’avez sûrement déjà entendue et appréciée sans le savoir !