
Tahia Carioca demeure encore à ce jour la danseuse du moyen orient la plus mythique et la plus respectée. Par sa grâce, sa beauté et son tempérament volcanique, la brune danseuse a donné ses lettres de noblesse à la danse orientale et acquis une immense popularité auprès du public arabe par le biais du cinéma puis de la télévision. Son style tout en lenteur et en sensualité la démarquait de ses concurrentes souvent trop vulgaires ou trop remuantes : sa carrière fut d’une longévité exceptionnelle (elle a quitté l’écran à la fin des années 80) et l’artiste a laissé une emprunte si forte dans sa discipline que la relève a été difficile à assurer! Plus qu’une danseuse d’exception, Tahia Carioca fut également une comédienne de grand talent, ainsi qu’une femme de conviction.
Née en 1915, Tahia Carioca s’est très jeune consacrée à la danse au grand désespoir de ses parents et de ses frères très protecteurs. Afin d’échapper à leur emprise, elle fugue (à 12 ans!) et s’installe au Caire chez un voisin où

En 1936, la notoriété de jeune danseuse est telle qu’elle est conviée aux festivités accompagnant les noces du roi Farouk (on raconte au passage que la danseuse se serait payé le luxe de gifler le roi coquin …qui venait de lui glisser un cube de glace dans son décolleté!)
Très vite, Tahia est contactée par les studios de cinéma qui lui proposent quelques apparitions dansées dans plusieurs productions cinématographiques : à l’époque, tous les films arabes étaient systématiquement interrompus de numé

Hélas, il est terriblement difficile de nos jours d’apprécier le talent de Tahia dans sa prime jeunesse, ses tous premiers films n’étant plus diffusés par les médias : les amateurs estiment pourtant qu’elle y donnait ses plus belles prestations de danseuse.
C’est dans le film Li'bet al-Sit (1946) avec le grand Naguib el Rihani (un ex de Badeia Masabni
, qu’elle tient pour la première fois le rôle d’une vamp séductrice et manipulatrice qui va lui coller à la peau.
Le public masculin est médusé par ses prouesses chorégraphiques et la belle ne reste pas insensible à ses admirateurs : on lui prêtera…14 maris! Elle n’a néanmoins gardé aucune tendresse pour ses différents compagnons qu’elle qualifia rétrospectivement de salopards! Au tableau de chasse de cette prédatrice, on compte un officier américain rencontré pendant la
seconde guerre mondiale

Outre ses amours tumultueuses, la vedette est connue pour son franc parler et ses convictions politiques: elle ne manque pas de donner son opinion lors des réceptions royales auxquelles elle était conviée, s’exprimant avec aisance en an

En 1953, elle sera même arrêtée sur ordre de Nasser et emprisonnée 3 mois pour activités communistes.
Le film le plus mémorable de Tahia (projeté lors du festival de Cannes de 1956) demeure la sangsue de S Abou Seif, œuvre néo-réaliste confrontant avec brio le monde villageois et l’univers citadin. Dans le rôle d’une cairote d’age mûr qui séduit un jeune étudiant, Tahia y brille par son abatage et sa forte présence : on se souviendra notamment de la scène lourdement évocatrice où la belle entraîne le jeune homme chez elle pour lui démontrer (et avec quelle efficacité!) qu’elle danse bien mieux que les jeunes filles de la rue. Tout dans la pièce (bouilloire fumante, etc.) semble chauffé à blanc dans un des passages les plus connotés sexuellement de toute l’histoire du film égyptien!
En 1958, Tahia retrouve sa vieille collègue et protégée des années 40, la lumineuse Samia Gamal dans habibi al askar : une rencontre au sommet pour les deux plus prestigieuses danseuses du cinéma oriental

En 1960, elle fournit une excellente prestation dans les rivages de l’amour , joli mélo romantique avec le célèbre chanteur Farid el Attache. Elle y incarne avec talent et beaucoup d’émotion une vieille danseuse de cabaret dont la fille ignore l’identité. Avec de telles qualités de comédienne, l’actrice n’aura aucun mal à poursuivre sa carrière loin des comédies musicales quand elle abandonne la danse en 1963.
Dans la mère de la mariée (63), film familial très rythmé, elle est parfaite en mama égyptienne qui veille sur sa maisonnée. La notoriété de l’artiste était loin de se limiter aux pays arabes et
Tahia Carioca était sur le point de tourner un film à Hollywood quand la guerre des 6 jours fut déclarée et que la star préféra rentrer dans son pays où elle poursuivra sa carrière. On retiendra notamment
Le mirage (70) film controversé qui rencontra un très gros succès commercial en raison du sujet scabreux abordé : le complexe d’Œdipe. Il narre les péripéties d’un jeune homme (l’excellent Nour El Shérif) complètement dominé par l’image de sa mère (incarnée par Tahia), qui éprouve les pires difficultés à

On se souviendra aussi de sa prestation dans Méfie toi de Zouzou (72) considéré par beaucoup comme la comédie la plus réussie du cinéma égyptien des années 70.
Dans les années 70, Tahia Carioca va poursuivre sa carrière tant au cinéma que sur scène, dirigeant une troupe permanente qui porte son nom ainsi qu’ une salle de théâtre. Elle obtiendra un très gros succès dans une pièce anti communiste (Hourrah pour la délégation) d’une grande vulgarité. La sirène aux sept voiles des années 40 s’était transformée au fil des années en matrone obèse , mais n’en conservait pas moins beaucoup de verve et de caractère. Très impliquée dans les syndicats du cinéma égyptien, la comédienne n’avait pas sa langue dans sa poche et

En 1985, l’actrice tient un rôle de sage femme dans adieu Bonaparte de Chahine qu’elle présentera au festival de Cannes.
Toujours très impliquée politiquement, elle s’est rendue à Athènes en 1988 avec quelques intellectuels égyptiens , à l’initiative de l’organisation de la libération de la Palestine qui planifiait d’affréter un navire le Al-Awda, pour rapatrier des palestiniens dans leurs foyers et terres d'origine occupées par Israël.
A la fin des années 80 , Tahia Carioca s’est retirée définitivement de la vie artistique. Désormais voilée, la tapageuse star d’autrefois a fini sa vie dans la prière, le recueillement et la lecture du Coran, se consacrant entièrement à l’éducation de sa fille adoptive, sans toutefois jamais renier sa carrière de danseuse étoile.
Tahia est décédée en 1999 d’une crise cardiaque. A l’heure où la danse orientale est interdite en Égypte dans les pièces de théâtre «pour éviter la détérioration de la qualité théâtrale », on se replongera avec d’autant plus de délices dans les vieux films de Tahia Carioca (même si peu d’entre eux ont fait l’objet de rééditions en DVD) qui fit rêver tant de générations.