samedi 28 février 2009

Ninon Sevilla, la danseuse des bas fonds



On ne programme plus guère les films de Ninon Sevilla à la cinémathèque ou au cinéma de minuit, et c’est dommage, car cette danseuse cubaine fut en son temps particulièrement populaire en France où ses films ont été importés et exploités avec beaucoup de succès. Parmi ses admirateurs, François Truffaut qui considérait qu’elle « ne dansait pas pour l’art mais pour le plaisir »; Edith Piaf lors de sa tournée au Mexique voulut absolument la rencontrer : il est vrai que l'univers des films de la star (bouges, filles perdues, hommes violents) présente plus d'une similitude avec le répértoire de la mythique chanteuse. C’est aussi l’occasion d’évoquer un genre très particulier : le rumbera, polar violent épicé de nombreux numéros de cabaret.



Née à Cuba en 1921 et élevée par une tante, la jeune Emelia se fait remarquer en dansant dans différents cabarets de la Havane. Ses spectacles, dont elle assure elle-même la chorégraphie, la rendent rapidement populaire et attirent sur elle l’attention des producteurs mexicains : il est vrai qu’à l’époque les plus célèbres vedettes du film musical mexicains étaient cubaines : Maria Antonieta Pons, Meche Barba…Cependant, comme elle le signalera plus tard, « elle n’a pas eu à faire partie du harem de Juan Orol » (célèbre réalisateur de l’époque qui lança et épousa successivement Margarita Mora, Maria Antonieta Pons, Rosa Carmina, Mary Esquivel et Dinorah Judith) pour devenir star de cinéma. Comme Maria Antonieta Pons qui avait repris le prénom de la célèbre reine de France réputée à l’étranger pour sa frivolité, Emelia emprunte son prénom de scène à la courtisane Ninon de Lenclos.


Après quelques apparitions dans des films souvent aux cotés du célèbre compositeur Agustin Lara (notamment Pecadora 1947 qui sera accueilli avec sarcasmes par la critique française) où elle se contente de danser, Ninon est engagée par le réalisateur Alberto Gout, qui en quelques films va bâtir sa personnalité cinématographique : une femme sensuelle et vénéneuse, inquiétante et provocante, que les aléas de la vie ont souvent mené à la prostitution ou dans les cabarets les plus sordides et qui ne pense qu’à se venger.


Les films dans lesquels elle s’illustre sont presque tous des rumberas (genre déjà en vogue depuis le début des années 40), des polars très violents, à l’atmosphère lourde, dont l’intrigue, rocambolesque à souhait, se situe dans un cabaret ou une maison close (ou le plus souvent un établissement qui fait les deux). Les histoires sont interrompues par des boléros ou autres tendres ballades interprétés par les plus célèbres artistes (Pedro Vargas, le trio Los Panchos) du moment (ces passages chantés sont néanmoins toujours bien venus, car ils décrivent la psychologie des personnages) et évidemment des ballets de la star : souvent des numéros exotiques, dansés frénétiquement sur un rythme éffreiné. Un style de danse qui la fit comparer à Carmen Miranda aux USA. Les numéros dansés, lourds de sensualité, ne sont néanmoins pas dépourvus de grâce, comme chez ses consoeurs Tongolele et Maria Antonieta Pons, dont le style très appuyé est limite vulgaire dans certains numéro. Sa silhouette et sa longue chevelure rousse évoquent Rita Hayworth

Maison de rendez vous (aventurera 1950) est probablement le film le plus connu de Ninon Sevilla, en tous les cas le plus caractéristique. Dans ce film à l’intrigue ébouriffante, elle est abusée par l’amant de sa mère qui l’entraîne dans un cabaret où on la drogue avant de la violer. Elle parvient à s’échapper de cette « maison de rendez vous » pour devenir une danseuse célèbre et tombe amoureuse d’un jeune homme de bonne famille, dont la mère n’est autre que la tenancière du bordel ! Cynique et effrontée, elle ne pense alors qu’à se venger. On va ainsi de surprises en surprises. Le jeu des ombres et lumières et l’excellente photographie contribuent beaucoup à la valeur de ce film. Les scènes de danse (dont le fameux Chiquita banana qui sera repris en France par Joséphine Baker, ou une danse orientale exécutée sur une mélodie de Brahms ) valent aussi le coup d’œil.

Quartier Interdit (1951)du grand Emilio Fernandez joue aussi à fond la carte du mélo : après avoir recueilli, un enfant abandonné dans une poubelle, une jeune danseuse est obligée de se prostituer pour pouvoir l'élever . Bon d’accord, on joue à fond sur la corde sensible, et du coup cela devient plus comique qu’émouvant, mais ce genre de film en dit également long sur la misère noire du peuple mexicain.
Sensualité (1951), dans lequel Ninon Sevilla, est encore plus hargneuse et perverse que dans les films précités, est vraiment un très bon film noir d’une grande âpreté qui mériterait d’être redécouvert.


Les titres des films de Ninon Sevilla disent long sur leur contenu (Je ne renie pas mon passé, carrefour du vice, perdue, femmes sacrifiées, victimes du péché…) : toujours l’histoire d’une fille qui a mal tourné et qui essaie de se débattre comme elle peut dans un monde corrompu. La violence et les sujets abordés leur valaient évidemment une interdiction pour les mineurs. Sur le plan musical, on notera que Ninon assurait généralement sa propre chorégraphie, en essayant souvent d’intégrer des passages d’inspiration afro-cubaine à ses numéros.
La plupart des films de Ninon seront de gros succès en France où elle sera invitée en 1952. Lors d’un gala de charité, le prix des plus belles jambes du monde lui sera remis, devant Ginger Rogers !
En 1952, suite à la fermeture de nombreux cabarets par nouveau gouverneur de Mexico qui souhaite remettre un peu d’ordre dans ce milieu, le genre rumbera vit ses dernières heures. Du coup, Ninon Sevilla a beaucoup de mal à retrouver des rôles : on la retrouve en 1958 dans une opérette espagnole en costumes d’époque. Dans les années 60, elle se produit beaucoup sur scène, enregistre des disques (dont l’un est lui aussi interdit aux mineurs !). En 1979, elle fait un retour remarqué au cinéma (dans nuit de Carnaval) qui lui vaudra un prix d’interprétation. Depuis, on la voit beaucoup dans les indigentes télénovellas qui pullulent sur les petits écrans mexicains. Bon au moins, ça doit être bien payé.


2 commentaires:

  1. Meilleurs vœux pour 2010 et belle continuation : votre travail est superbe et ses fruits indispensables.

    RépondreSupprimer