dimanche 5 avril 2009

Raquel Meller, la dame aux violettes





Chanteuse espagnole et tragédienne, Raquel Meller fut une vedette incroyablement populaire dans les années 20, admirée par des artistes aussi renommés que Sarah Bernhardt qui lui trouvait du génie ou Charlie Chaplin. Ce dernier devait d’ailleurs repris le plus gros tube de la chanteuse « la violetera" pour illustrer son film les lumières de la ville (tout en ométant au passage de mentionner le nom du compositeur d la chanson, ce qui lui vaudra un procès. Si certains de ses refrains font toujours partie du patrimoine musical espagnol, elle n’a jamais fait l’objet d’un festival ou d’un hommage par les cinémathèques internationales, que son immense succès passé justifierait amplement.

Née en 1888 dans une famille très pauvre, Raquel chante toute jeune dans des cabarets des couplets (cuplé), refrains populaires un peu légers qu’elle transfigure par sa grâce et sa classe. Elle devient une grande vedette vers 1910 sous le pseudo de la belle Raquel (à l’époque où la belle Otéro célèbre cocotte enflamme le tout Paris). Une chanson un peu mélodramatique composée par José Padilla, el relicario la rend immensément populaire dans toute l’Espagne. Un refrain archi connu et maintes fois repris par la suite notamment par Gloria Lasso, Sara Montiel et Carmen Sevilla (qui tournera un film portant ce titre en 1970). Si l’on doit se fier aux disques qu’elle a laissé on peut rester un peu sceptique devant ses talents d’interprète et sa voix aiguë(qui ressemble un peu à celle de Rina Ketty), mais pour ses fans elle était inégalable.
En 1918, Raquel épouse l’ancien journaliste et ambassadeur en France du Guatemala Enrique Gomez Carillo, un dandy ami de Verlaine et d’Oscar Wilde, réputé pour ses nombreuses conquêtes féminines. La plus connue étant l’espionne Mata-Hari, dont il aurait été le dernier amant. La rumeur prétendra d’ailleurs que Raquel Meller , jalouse de l’ancienne copine de son mari l’aurait dénoncée auprès des autorités. Un roman sorti en 1962 accréditerait cette thèse. Pourtant dans une bio plus récente, sérieuse et documentée consacrée à l’espionne (qui d’ailleurs n’était pas très douée), Raquel Meller n’est pas du tout évoquée.
En 1919, Raquel débute à l’écran dans la gitane blanche, un film espagnol qui sera largement exporté. Mais c’est en France sous la direction d’Henry Roussell que la belle chanteuse deviendra une gloire de l’écran.
Violettes impériales (1922) conte avec habileté les mésaventures d’une jeune vendeuse de violettes, ange gardien de l’impératrice Eugénie. L’image est splendide et d’un goût exquis (Jules Kruger se charge de la photo), les extérieurs splendides et la mise ne scène alerte et Raquel excellente.
Abel Gance d’ailleurs reconnaîtra toute l’admiration qu’il porte pour le cinéaste Roussell.
Avec le même réalisateur, l’actrice tournera plusieurs films (la terre promise, les opprimés).

Elle triomphe sur les plus grandes scènes des USA, et signe un contrat en exclusivité avec les Schubert.
En 1926, elle participe aux premiers essais de cinéma parlant en jouant dans des courts métrages chantés pour la compagnie Movietone. Elle rencontre Charles Chaplin qui sous le charme, envisage de tourner un film sur Napoléon avec elle ! le projet ne se fera jamais mais il lui piquera sa chanson « la violetera » pour son film les lumières de la ville. Auréolée par son succès outre Atlantique, Raquel Meller revient en Europe fêtée comme une reine. Star jusqu’au bout des ongles, elle ne déplace jamais sans ses chihuahuas et ses caprices font la joie des journalistes. On la dit caractérielle et égocentrique. On lui prête des liaisons avec le roi Alfonso XIII et le dictateur Primo de Rivera.
En 1928, Raquel Meller tourne dans une adaptation de Carmen sous la direction de Jacques Feyder. Les exigences de la star rendront le tournage particulièrement pénible (elle insiste pour son personnage soit irréprochable sur un plan moral, et pour ne pas embrasser ses partenaires, ce qui paraît un peu délicat pour incarner la célèbre tentatrice du roman de Mérimée !). Si j’en crois les avis donnés par Ann et Bruce, l’actrice n’est pas du tout à sa place dans ce film, sauvé par de splendides extérieurs.

Au début des années 30, Raquel Meller soucieuse de fidéliser son public français (elle passe désormais le plus clair de son temps dans sa villa de Villefranche sur mer), enregistre plusieurs chansons en français (dont l’amour qui passe que Lys Gauty servit bien mieux qu’elle à mon avis) et triomphe à l’Alcazar de Marseille. En 1932, l’actrice joue dans une adaptation parlante de Violettes impériales, toujours sous la direction d’Henry Roussell : les chansons de Raquel et notamment son incontournable violetera viennent à point nommer ponctuer un récit haut en couleur et qui a déjà fait ses preuves : le film est un triomphe sans précédent et figure toujours dans la liste des 50 plus gros succès du cinéma en France (performance remarquable quand on constate que la liste est composée surtout de films américains récents ou de Disney maintes fois rediffusés en salle). La popularité de la star est immense et égale à celle de Maurice Chevalier ou de Mistinguett : une biographie sort dans les librairies en 1931 . le grand artiste Sorolla (dont les oeuvres ont été exposées l’an dernier au grand palais) lui consacre un portrait.
La guerre civile espagnole va interrompre le tournage de son prochain film. Même si elle est une grande admiratrice du général Franco, elle ne parviendra pas à revenir devant les caméras à la fin du conflit. Supplantée par des chanteuses plus jeunes, au style plus modernes comme Império Argentina et Estrellita Castro (qui n’hésiteront pas à tourner en Allemagne nazie en attendant que les studios espagnols ouvrent de nouveau), la chanteuse va progressivement tomber dans l’oubli.
A la fin des années 50, les cuplés qui faisaient la gloire de Raquel vont connaître un surprenant revival en Espagne (un front de conservatisme face à l’arrivée du rock ?), par l’intermédiaire de Lilian de Célis à la radio et Sara Montiel au cinéma. Raquel tentera de surfer sur la vague en essayant de donner des spectacles qui n’auront aucun succès, aussi l’ancienne vedette ne cachera pas sa colère contre l’usurpatrice Sara Montiel.
Néanmoins, contrairement à ce qui fut prétendu, Raquel Meller n’est pas morte dans la misère. En 1963, un film romanesque particulièrement mauvais (l’espionne de Madrid)sera librement inspiré de sa vie (et de sa rencontre avec Mata Hari) et son rôle tenu par…Sara Montiel !

Si une avenue de Villefranche sur mer porte encore son nom et une statue la représente à Barcelone (elle a fait l’objet d’un acte de vandalisme l’an dernier : la tête et le panier de violettes ont été arrachés), son mythe est très oublié y compris en Espagne (sauf chez les plus de 50 ans). Une comédie musicale basée sur sa vie lui rend néanmoins hommage à Madrid « pour les yeux de Raquel Meller »




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