mercredi 11 mars 2009

La Jana, exotisme préfabriqué des années noires






Actuellement beaucoup de cinéphiles sont séduits par le cinéma de Bollywood et le charme de sirènes nommées Aishwarya Rai, Rani Mukherjee ou d’autres dont Jordan White a brossé le portrait ici-même ou sous son excellent topic qui fédère tous les fans du genre. Avant guerre, aucun film indien n’était diffusé en Europe et le public devait se contenter d’ersatz : de mystérieuses dames au nom exotique, grimées de fond de teint ambré, se trémoussant lascivement sur des musiques orientales et évoluant dans un orientalisme de bazar. Dans les années 10, l’espionne Margarete Van Zelle avait fait fureur à Paris sous le pseudo de Mata Hari en dansant presque nue. 20 ans après, la viennoise Henny Hiebel connut une gloire presque équivalente dans toute l’Europe sous le pseudo évocateur de La Jana, et hélas, un destin tout aussi tragique que sa fameuse inspiratrice.


Née en 1905 à Vienne, la Jana prend des cours de danse pendant plusieurs années à Stuttgart, avant de tenter sa chance à Paris. Engagée comme attraction dans le célèbre cabaret montmartrois « le Chat noir », elle est très vite remarquée par le futur réalisateur Geza Von Cziffra qui cherche justement une actrice pour jouer le rôle de Thérèse Raquin, dans le film que prépare le cinéaste Friedrich Zelnick (une adaptation de la célèbre nouvelle de Zola).Il est davantage subjugué par la beauté de la jeune femme et son physique sculptural (longues jambes, larges épaules, buste plat) que ses qualités de danseuse très limitées.Réticent devant le manque total d’expérience de la danseuse pour la comédie, Zelnick renonce à lui donner un rôle. Cziffra s’arrange néanmoins pour placer sa découverte. Elle débute ainsi sur les scènes berlinoises dans plusieurs revues et notamment l’opérette « Casanova» de Ralph Benatzky où elle fait sensation en évoluant presque nue sur un plateau d’argent.

La coqueluche de Berlin est immédiatement engagée au cinéma. Même si sa première apparition au cinéma dans Alles aus liebe est fraîchement accueillie par la critique qui la trouve certes très belle, mais piètre comédienne. Le public en revanche l’apprécie et elle tourne ainsi plusieurs films à la fin des années 20 dont Justement une version de Thérèse Raquin , mais réalisée par Jacques Feyder (et dans lequel elle ne tient pas le rôle principal)

En 1929, le cinéma allemand franchit le cap du parlant. Comme à Hollywood beaucoup d’artistes vont laisser des plumes dans la bataille et on assiste alors à un véritable renouvellement des effectifs. Le premier film parlant de La Jana est un four, et la danseuse se voit contrainte de retourner sur les planches et dans les revues.Après un hiatus de plusieurs années, et une tournée en Angleterre et en Suède, La Jana réalise un très beau come-back à l’écran, tout à fait inattendu, dans le saut de la mort (Truxa 1937) un très bon drame situé dans le milieu du music hall. La voici de retour au firmament des stars, plus célèbre encore qu’à l’époque du muet.
En 1938, elle tourne dans son film le plus connu « le tigre du Bengale »(et sa suite le Tombeau indou), un film d’aventures à grand spectacle qui remporte un succès considérable et fera l’objet d’un remake en 1958 par Fritz Lang. Les rebondissements ne manquent pas dans cette production rocambolesque et kitchissime où la Jana, en princesse indienne, nous livre quelques danses orientales. Très honnêtement, malgré sa tenue plus que légère (quelques perles par ci par là), La Jana ne déborde pas de sensualité. Grande et sportive, elle a beaucoup d’allure, mais on ne saurait dire qu’elle possède du sex appeal. C’est tout l’esthétisme de l’époque nazie qui repose davantage sur l’exhibition de corps sains et athlétiques (cf. Films de Leni Riefenstahl) que sur la sensualité ou l’érotisme. Sur un plan chorégraphique, on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’une très brillante danseuse. Quant à l’authenticité, on repassera, mais qu’importe car le public peut se distraire et rêver les yeux ouverts (en plus, à l’époque, très rares étaient les actrices aussi déshabillées qu’elle à l’écran !)

Les passages musicaux d’ Es leuchten die sterne (les étoiles brillent) 1939 s’inspirent fortement des grands numéros mis en scène par Busby Berkeley et ne manquent pas d’audace. Dans l’un d’eux, on voit 12 girls représentant les différents signes du zodiaque tournant autour du soleil, La Jana en personne. Dans un autre passage, elle effectue un étonnant strip-tease dans un vieux château. Tout juste vêtue d’un minuscule bikini et coiffée d’un imposant hennin, elle évolue voluptueusement autour d’une vieille armure qui a du mal à rester inanimée. Enfin, dans le grand numéro le chapeau de Molly (chanté par Rosita Serrano, le rossignol chilien), elle danse frénétiquement sur une piste de danse entourée de mariachis. C’est assez martial, mais les ombres formées par la danseuse et les figurants donnent un ensemble visuellement réussi.



Si l’on croit les révélations de Geza Von Cziffra, dans la vie privée, La Jana était dans la vie privée une femme plutôt glaciale, tout à fait détachée par rapport à la séduction qu’elle exerçait sur le public et les hommes, ce qui ne l’empêcha d’avoir plusieurs liaisons notamment avec le chanteur Michael Bohnen , le prince héritier Wilhelm et peut être aussi Joseph Goebbels, l’infâme ministre de la propagande nazie, grand amateur de jolies femmes. Qu’il fut ou non son amant, il n’a en tous les cas été guère charitable avec elle (mais pouvait on s’attendre à mieux d’une ordure pareille ?) en l’obligeant à se produire en tournée pendant l’hiver 1939 pour les soldats de la wehrmacht : à force de danser presque nue dans des salles glaciales ou en plein air, la Jana attrapa une pneumonie dont elle mourut en mars 1940, à l’age de 35 ans.


Son dernier film, l’Etoile de Rio (1940), connut un succès phénoménal amplifié par la nouvelle de son décés. Autour d’une histoire policière sur le vol d’un bijou inestimable, Karl Anton a su greffer quelques beaux numéros musicaux exotiques, où la Jana danse dans une Amérique latine d’opérette (qui n’est pas sans rappeler celui des films de Carmen Miranda ou encore davantage « A Caliente » de Berkeley, car le mot d’ordre en Allemagne comme aux USA était de distraire la population de ses tracas quotidiens). La chanson du film, reprise en France par Jaime Plana et Marie-José a vraiment marqué son époque.La sœur de la Jana n’ayant pas les moyens de payer les frais d’entretien de la concession où reposait la défunte star, la dépouille de La Jana fur reléguée à la fosse commune dans les années 40. Dans les années 50, des associations de cinéphiles firent néanmoins ériger une stèle dans le cimetière de Dalhem, mais le tombeau (indou ?) est vide.

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