samedi 1 mai 2010

Ilse Werner, la jeune première des années sombres




Ravissante jeune première du cinéma allemand du IIIème Reich, Ilse Werner personnifiait l’optimisme et la spontanéité en cette période plus que troublée. Avec ses chansons sifflotées et ses personnages de sages jeunes filles volontaires et énergiques, la comédienne était un véritable symbole d’équilibre et d’opiniâtreté, qui boostait le moral des troupes comme des familles . Actrice douée au charme juvénile évident, Ilse Werner a au passage brillé dans deux ou trois excellents films et l’historien du cinéma Ado Kyrou, l’auteur d’Amour, érotisme et cinéma, ne tarissait pas d’éloges à son sujet .

Fort curieusement en cette période de xénophobie exacerbée, presque toutes les stars féminines du cinéma allemand étaient des étrangères. Née en 1921 à Djakarta, Ilse Werner avait même une grand-mère chinoise dont elle avait hérité ses superbes yeux en amande. Revenue en Autriche avec ses parents , riches commerçants dans l’exportation de thé et de riz, la jeune fille de 15 ans entame des cours de comédie auprès de Max Reinhardt, avant de se produire au festival de Salzbourg. Très remarquée dès sa première apparition scénique, Ilse est aussitôt engagée dans une opérette filmée « Sourires de Vienne », qui sera la dernière production autrichienne avant l’annexion du pays par les troupes allemandes.
Deux propositions s’offrent alors à l’adolescente. L’UFA, le studio allemand nationalisé par les nazis et la MGM, le prestigieux studio hollywoodien sont intéressés par la prometteuse Ilse. De façon très pragmatique, afin de pouvoir surveiller sa fille, encore mineure, le père de l’actrice optera pour les studio berlinois…
La nouvelle coqueluche enchaîne les comédies romantiques aux titres évocateurs « Eveil », « Mademoiselle », où l’optimisme est de rigueur. Pas question de déroger à la règle : le film « la vie portait être si belle » qui évoque innocemment les soucis matériels d’un jeune
Couple (Ilse Werner et Rudi Godden) qui a peur de s’engager sera tout bonnement interdit par la censure. Le concert de l’espoir (1940) sera en revanche vivement recommandé par le régime : un film de propagande bien médiocre, auquel Goebbels a collaboré étroitement où Ilse Werner incarne une jeune fille aimée de deux soldats allemands qui participe à un spectacle radiophonique destiné aux soldats. Ilse Werner prétendra plus tard avoir été contrainte de jouer dans le film par peur de représailles. En tous les cas, sa participation à ce film (qui remporta un très gros succès commercial : 26 millions de spectateurs) lui vaudra de gros soucis après guerre, tout comme U bootewestwärts (1941) autre film de propagande (mais plutôt bon, celui là) dont l’action se situe dans un sous marin.

.Ilse y chante ou plutôt siffle quelques refrains avec un talent sûr. Si sa voix n’est pas mélodieuse, elle possède en revanche un curieuse facilité pour le sifflement, dont elle fera longtemps sa spécialité (tout comme Micheline Dax en France). En tous les cas, elle sera doublée pour la bien quelconque biographie de Jenny Lind le rossignol suédois, dernier film de Joachim Gottschack (qui y incarne Andersen) . Persécuté par les nazis, car marié à une juive, l’acteur se suicidera peu après le tournage.
La comédie musicale Vive la musique (1942) du grand metteur en scène Helmut Kautner est un film nettement meilleur, un spectacle intelligent où l’artiste brille par sa beauté. On regrettera en revanche la pauvreté des chorégraphies et des numéros musicaux même si les chanson s , excellentes , compteront parmi les plus gros tubes d’Ilse. En 1943, Ilse participe aux Aventures du baron de Munschausen, étonnant film fantastique, d’une grande qualité visuelle. Resplendissante en technicolor, Ilse fascine par sa beauté. Au fil des années, la jeune adolescente s’est muée en une actrice sensible et expressive d’un rare magnétisme. Elle n’a sans doute jamais été meilleure que dans la Paloma, merveilleux film de Kautner sur les désillusions sentimentales d’un marin. Exempt de propagande, ce film intimiste d’une grande beauté visuelle et d’une poésie mélancolique extrêmement touchante figure probablement parmi les plus beaux films de cette noire période. Jugé trop déprimant et trop réaliste par les autorités nazies, ce chef d’œuvre sera interdit et projeté seulement après guerre sur les écrans. C’est évidemment LE film que je conseillerai à tout cinéphile souhaitant découvrir la vedette allemande.
A la fin de la guerre, Ilse Werner, à laquelle on reproche sa participation aux deux films de propagande susvisés fera l’objet d’une interdiction scénique par les alliés, tout comme ses collègues Sybille Schmitz ou Kristina Söderbaum. Un blâme et un hiatus dont sa carrière cinématographique ne se remettra jamais. En 1948, l’actrice épouse un journaliste américain qu’elle suit en Californie. Après son divorce, elle tente un come back à l’écran , mais les films qui luis sont proposés font pâle figure à coté de la Paloma ou de Munshausen. Profondeurs mystérieuses, pourtant signé Pabst, n’offre que quelques splendides vues de grottes et concrétions. Ilse y case quelques chansons sifflées qui n’ont rien à faire avec l’intrigue; Reine d’une nuit (1951) est une opérette poussive où la vedette est même doublée pour le chant, quant à Anchen von Tharau, ce n’est qu’un petit heimatfilm en noir et blanc, comme il en pullulait à l’époque : même le charme mystérieux de l’actrice semble s’être complètement évanoui en quelques années. Pour survivre, il lui reste encore la chanson, et certains de disques (pourtant guère remarquables) se nicheront dans les hit parades. L’actrice se produira sur scène dans le roi et moi : un rôle fait pour elle, et particulièrement l’air « je siffle un air joyeux » qui tombe à point.
Dans les années 80 et 90, on la reverra sporadiquement à la télé, dans des feuilletons policiers, des émissions de variétés et même à l’occasion sur grand écran comme pour « les Hallo sisters », comédie décevante sur les caprices de deux vieilles vedettes tentant leur retour à la télévision.
On remarquera que le groupe Scorpions si populaire dans les années 80 utilisera quelques sifflements de la star comme intro de son plus gros succès « wind of chance ». Une discrète révérence de la jeune génération à une artiste qui 50 ans auparavant incarnait si bien la jeunesse .
Ilse Werner est décédée dans sa maison de retraite en 2005.


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