dimanche 8 mars 2009

Pola Negri, l'ambitieuse





On a peine à imaginer aujourd’hui la popularité qu’ont pu avoir les stars de cinéma pendant les années 20. Le public parfaitement crédule, les adulait comme des divinités et était prêt à croire les délires les plus insensés crées par les agences publicitaires. La polonaise Pola Negri fut une des plus grandes stars du cinéma muet, et la première importation européenne réalisée par Hollywood. Bien évidemment, nous nous attarderons ici surtout sur la deuxième partie de la carrière de la diva dans ses films parlants et chantants.

Né en 1894, la jeune Pola, après des cours de danse et de théâtre à Saint Petersbourg débute sur les planches en 1913. Comme suite à la fermeture des théâtres pendant la première guerre mondiale, la jeune actrice, aidée d’un riche protecteur, se tourne vers le cinéma (encore balbutiant)et obtient des rôles principaux dans plusieurs productions cinématographiques locales. Le passeport jaune (1914) où elle incarne une jeune juive remporte un réel succès. En 1918, elle se rend à Berlin, en passe de devenir la capitale européenne du cinéma. Les films qu’elle va tourner sous la direction d’Ernst Lubitsch vont remporter un succès sensationnel dans toutes l’Europe et aux USA (où ils seront exploités comme « productions européennes » afin d’éviter de faire fuir un public très méfiant envers les allemands). Certains d’entre eux viennent de ressortir en coffret DVD en Allemagne. On reconnaît déjà la patte du célèbre cinéaste, et la présence de Pola est indéniable.
Elle n’est pas vraiment belle, mais dans ses rôles exotiques de tziganes ou d’esclaves, elle exerce une sorte de magnétisme animal. Dans les yeux de la momie (1919), elle est sous l’emprise d’un fou (très impressionnant Emmil Jannings) qui la séquestre dans une pyramide. Sauvée par un riche étranger, elle devient danseuse (et fait preuve d’ailleurs d’une certaine souplesse dans ses numéros pseudo orientalistes). Le mélo s’achève de façon dramatique, comme la plupart des films de la femme fatale. Alertée par le succès de la comédienne, la Paramount la convainc de venir poursuivre sa carrière à Hollywood.

En dépit de la médiocrité de la plupart des films (dans lesquels elle se présente sous un jour très sophistiqué qui lui ôte beaucoup de son originalité) qu’elle y tourna (hormis Hôtel impérial de Mauritz Stiller et Barbed wire, deux films très réussis où elle ne joue pas les vamps), Pola Negri va réussir à se faire un nom aux States par ses extravagances et son goût immodéré pour la publicité. Après une liaison tapageuse avec Charlie Chaplin (qui pourtant semblait préférer les femmes plus jeunes), Pola Negri extériorise sa douleur lors du décès tragique et prématuré de Rudolph Valentino : elle serait tombée follement amoureuse de l’artiste peu avant sa disparition. Pourtant des amis de l’acteur prétendront qu’elle ne l’a jamais rencontré. Les nombreuses interviews dans lesquels la comédienne fait part de son chagrin vont finalement la desservir et lui donner l’image d’une opportuniste malveillante. L’année suivante, pour damer le pion à sa rivale Gloria Swanson qui vient d’épouser un conte, Pola se marie un prince (d’origine douteuse), car à l’époque cela impressionnait beaucoup le public.

L’arrivée du cinéma parlant (qu’elle qualifie de caprice, de curiosité qui va vite lasser le public) la met rapidement sur la touche, car la Paramount n’entend guère miser sur l’accent polonais prononcé de l’artiste.
Après un ultime muet en Angleterre de Paul Czinner « Son dernier tango, rue des âmes perdues (un film surprenant très dépouillé où Pola est surprenante en prostituée allumeuse draguant dans un bouge infame puis tentant de devenir une épouse modèle : probablement un de ses meilleurs films), Pola, ruinée par le crash boursier de 1929, entreprend un tour de chant aux USA avec des airs du folklore russe, bien mis en valeur par sa voix rocailleuse et tremblée, mais envoûtante.
En 1932, elle tente un come-back parlant à la RKO. Si le mélo « Maria Draga» est un échec (certaines scènes hyper mélo sont jouées de façon très passionnées comme au bon temps du muet), la chanson « Paradise » ( un air langoureux au charme très rétro)
qu’elle interprète dans le film devient le plus gros succès de l’année, et un tube international qu’elle enregistrera même en français. Voici quelques paroles de ce must : « je rêve que je suis dans tes bras, mmmmm, je sens sur moi, mmmmmm,tes lèvres d’amant, d’amour brûlant, qui cherchent un doux baiser, saurais-je résister ?, et quand dans la pénombre, il me prend, mmmmmm, il m’emporte au Paradis. »
Hollywood ne s’intéressant plus à la vamp, Pola tourne un film français en 1934 (avec Pierre Richard Wilm), puis finit par retrouver les studios allemands de la UFA, 12 ans après. Entre temps, l’Allemagne a basculé dans le nazisme et Goebbels surveille de près la propagande distillée dans les documentaires d’actualité et un peu moins dans les films. Mazurka(1935), réalisé par le talentueux Willi Forst est un excellent mélo qui va relancer la carrière de Pola. Il faut bien convenir qu’elle est très convaincante en chanteuse meurtrière (Lors d’une projection, Pola estimait elle-même qu’elle n’avait jamais vu une aussi brillante interprétation à l’écran !). Si elle interprète elle-même la chanson triste dans la scène de cabaret, elle est doublée pour l’interprétation de « ich spur in mir »par une soprano coloratur (en revanche, pour la version commercialisée en 78 T, c’est Pola qui chante elle-même avec sa voix d’outre tombe la célèbre mazurka, sauf l’envolée lyrique du milieu).
Comme le film, la chanson remportera un très gros succès repris en France par Damia et Annette Lajon. Pola comptait fort sur ce joli come-back, pour renouer avec Hollywood. Hélas, le film sera très vite adapté pour les USA, mais sans elle ! (Confession avec Kay Francis). Jusqu’en 1938, Pola va tourner 6 films pour la UFA, dans lesquels elle chante le plus souvent. Tango notturno (1937) est un mélo larmoyant dont on retiendra surtout la très belle chanson, dans un style très proche des succès de Zarah Leander. L’adaptation filmée de Mme Bovary (1937) a été beaucoup critiquée, et on a reproché à l’époque à Pola de sous-jouer. Quand on sait que parfois dans les films de l'époque, certains acteurs avaient un jeu très théâtral, peut être que l’interprétation de Pola Negri mériterait d’être reconsidérée. Il est certain que le jeu de la comédienne avait beaucoup gagné en sobriété avec les années, mais le coté trop mélodramatique de ses films et les personnages de mater dolorosa auquel elle était désormais abonnée ne l'ont pas aidée (par exemple Moscou-Shanghai qui commence pourtant de façon prometteuse)

En 1937, Pola Negri attaque le journal français « Pour vous » qui prétend que la star est devenue la maîtresse d’Hitler et qu’elle aurait déclaré « que voulez-vous, il y a eu beaucoup d’hommes importants dans ma vie : Chaplin, Valentino… » . En 1939, dès l’entrée en guerre de la Pologne, Pola décide de quitter l’Allemagne (il faut également ajouter que Goebbels la détestait, et qu’il avait mené une enquête prouvant les origines juives de la star). Après un bref séjour en France (un projet de comédie musicale avec Tino Rossi fut abandonné), elle parvient avec difficultés à regagner les USA, en passant par le Portugal. A New York, la comédienne, à laquelle on reproche d’avoir joué dans plusieurs films allemands, ainsi que les fausses rumeurs de sa liaison avec Hitler est mise en quarantaine. Libérée, elle tourne un film à Hollywood « Hi diddle diddle »1943, une comédie musicale de série B, loufoque et décapante.

Aucune proposition ne suivra. L’actrice partagera ensuite la vie d’une riche héritière texane qui lui léguera sa fortune. En 1964, elle fera une apparition dans la baie des émeraudes, une comédie de Walt Disney, où elle pastiche son personnage excentrique (n’a t’on pas dit que la Norma Desmond de Sunset Boulevard était en grande partie inspirée d'elle ?). En 1970, elle publie ses mémoires, un vrai monument de suffisance. L’ancienne diva, souffrant d’une tumeur au cerveau et d’une pneumonie, s’est éteinte en 1987. Il paraît que peu avant sa mort, elle aurait pris sur son lit sa plus belle pose et dit au médecin venu la soigner « vous ne me reconnaissez pas ? Je suis la star Pola Negri ».

Comme beaucoup de superstars du muet, on n’a plus guère l’occasion de revoir les films de celle qui fut à ses propres yeux « une grande artiste ». Dommage, car c’était vraiment une excellente actrice, et pas simplement une femme fatale fabriquée par les studios de cinéma. On peut également écouter ses disques repris en CD, à condition de n’être point rebuté par sa voix très rauque et chevrotante, mais emprunte du mystère d’une autre époque.


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