vendredi 8 mai 2009

Lida Baarova, la sulfureuse







Parmi les stars aux destinées souvent tumultueuses, se détachent quelques personnages maudits comme la tchèque Lida Baarova, dont la liaison avec Goebbels, bras droit d’Hitler, a provoqué un énorme scandale qui a infiniment terni sa carrière, brisé sa famille et l’a poursuivie jusqu’à la fin de ses jours et même après.
Voici le roman de Lida Baarova ou l’histoire d’une jeune fille ambitieuse au charme irrésistible qui s’est laissée séduire par le diable.

Née en 1914, la ravissante Lida Baarova vient tout juste de s’inscrire au conservatoire quand elle est remarquée par le célèbre réalisateur Karl Lamac (l’ancien mentor d’Anny Ondra grande vedette du muet), impressionné par les paumettes saillantes et les yeux en amande de la jeune fille de 17 ans. Il devient son amant et l’impose dans différents films tchèques. Par l’intermédiaire de Lamac, elle fait la connaissance d’un autre réalisateur, Karl Anton, qui devient son « premier grand amour », la dirige à son tour dans un film, et l’emnène à Paris où elle sympathise avec Danielle Darrieux (sa « Dédée ») et plus que ça avec Charles Boyer. Quand les studios allemands de l’UFA, toujours attentifs aux talents émergeants dans les pays frontaliers, lui proposent alors un contrat qu’elle signe volontiers.

A cette époque, les studios berlinois représentaient le tremplin garanti pour une carrière internationale, et même à Hollywood : Garbo, Dietrich, Pola Negri et Lilian Harvey étaient passées par-là.
Le partenaire de son premier film allemand, Barcarole, comédie baignée par les mélodies d’Offenbach, est alors un des plus célèbres acteurs du pays, Gustav Fröhlich (Métropolis). Il ne résiste pas au charme slave de la jolie tchèque et quitte pour elle femme et enfant.(Il était en effet marié à la cantatrice Gitta Alpar, mais rencontrait de gros soucis depuis l’accession au pouvoir du national socialisme, Gitta étant juive : le divorce et son remariage avec Lida fut donc pour lui bien commode pour pouvoir poursuivre sa carrière.)

Barcarole sera tourné aussi en version française mais avec Edwige Feuillère

Dans les quelques films que la belle Lida tourne pour l’UFA, le studio nationalisé par les nazis, on note quelques comédies, où elle chante un peu avec sa voix aiguë qui rappelle vaguement celle d’Yvonne Printemps (on la compare aussi à son amie Danielle Darrieux), une adaptation parodique de l’opérette la chauve souris (1937) de Strauss et aussi déjà des films de propagande, comme les Patriotes (1936) ou les traitres (1936)où des espions essaient d’infiltrer une usine d’armement. Lida avait-elle conscience du contenu tendancieux de certains de ses films ? Il est probable qu’elle ne se posait pas trop de questions, préférant endosser de gros chèques et jouir de sa popularité. Dans l’un d’eux, elle tient le rôle d’une meneuse de revue et entonne « Paris du bist die schönste », un air de Théo Mackeben qui aura beaucoup de succès.

Parallèlement, Lida continue de jouer dans des films tchèques, qui mériteraient parfois d’être redécouverts, comme le très bon Virginité (1937), film sur le harcèlement sexuel dont sont victimes de jeunes serveuses. La réalisation et la photographie très expressionniste, sont de qualité. Les studios hollywoodiens, intéressés par les prestations de l’actrice dans ses films allemands lui proposent alors un contrat de 7 ans avec un cachet très lucratif. Elle passe quelques bouts d’essai en Angleterre où elle cotoie Robert Taylor et Maureen o’Sullivan, mais finalement refuse l’offre alléchante.
Lida serait-elle devenue « une deuxième Marlène Dietrich » si elle avait accepté ? Rien n’est certain, mais la belle comédienne va alors faire le pire des choix. Alors qu’elle avait été courtisée par le diabolique Hitler himself dès son arrivée à Berlin, elle cède aux avances particulièrement insistantes de Goebbels, le non moins sinistre ministre de la propagande, marié et père de 3 enfants, mais coureur de jupons notoire. Rappelons aussi que cet abominable personnage fut aux avant-postes dans la radicalisation du régime contre les Juifs et le principal instigateur de la nuit de cristal.
Il est probable que la jeune star ambitieuse et calculatrice pensait que cette liaison avec un si haut personnage politique ne pourrait que lui être bénéfique. Pour rester près de lui, elle refuse les propositions de la MGM.
La liaison d’abord secrète vire au scandale quand Gustav Fröhlich l’apprend. On raconte qu’il serait aller donner une raclée à Goebbels , et la presse internationale s’en fait aussitôt l’écho. Lors de la sortie de son nouveau film, l’actrice est insultée par certains spectateurs (payés par le parti ?)
Afin que cette histoire d’alcôve n’éclabousse pas la réputation et la morale (on se demande laquelle !)de son gouvernement, Hitler demande alors au couple de se séparer et somme Lida de quitter immédiatement le pays.

Le film dont elle vient d’achever le tournage (histoires d’amour prussiennes) est dès lors censuré et interdit : il ne sortira sur les écrans qu’en 1950. De retour en Tchécoslovaquie en 1938, Lida va tourner quelques films dont la femme en bleu, une comédie fantastique très théâtrale, où elle tient le rôle d’une riche châtelaine du 15ème siècle, qui sommeille dans un tableau depuis plusieurs siècles avant de miraculeusement revenir à la vie. Dans les passages comiques, basés sur des anachronismes, où la marquise se retrouve confrontée au 20ème siècle, Lida prouve qu’elle est non seulement d’une grande beauté mais également une fine comédienne, tout à fait à l’aise dans des rôles plus légers. La chanson du film que Lida grave sur 78tours sera un succès, mais après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes nazies, l’actrice est contrainte de quitter son pays pour l’Italie, où elle tourne plusieurs films en vedette.

A l’arrivée des américains en 1944, l’actrice, prise dans un étau, retourne à Prague où elle entame une liaison avec le grand acteur allemand Hans Albers (le baron de Münshausen), en tournage (les derniers films du 3ème Reich ont été tournés à Prague pour éviter les bombardements sur Berlin). Pendant qu’Hitler, Goebbels et sa femme se suicident dans leur bunker, elle tente de rejoindre Albers en Allemagne : l’actrice est arrêtée par les Américains et extradée en Tchécoslovaquie. Là, elle évite de peu la peine de mort (principalement ; parce qu’elle n’a plus eu à faire avec les nazis depuis 1938) mais pas la prison, où elle côtoie de graves criminels. Les parents de Lida Baarova paieront cher les errements de la star, alors qu’ils n’ont rien fait : sa mère décède d’une crise cardiaque lors d’un interrogatoire, sa sœur Zorka Janu, également actrice (et meilleure que Lida ), rejetée par le public et les producteurs se suicidera.

Le charme de Lida et son ascendant sur les hommes ont souvent payé et la sauveront aussi de la geôle : elle épouse un homme très lié au gouvernement tchèque et s’enfuit avec lui.
Néanmoins, comment continuer une carrière avec une telle casserole ? Lida tente de refaire surface en Allemagne, où elle était si populaire dans les années 30. On lui propose de jouer dans « la guerre des valses », un musical de 1951. Cependant, l’acteur principal Anton Walbrook, qui avait été obligé de s’exiler en Angleterre en 1936 suite à la persécution dont il était l’objet par les nazis en raison de son homosexualité, refuse absolument de jouer avec la maîtresse de Goebbels. L’affaire est étalée dans les journaux et l’actrice cramoisie, contrainte de tenter sa chance ailleurs.

Elle parvient tout de même à trouver des rôles dans le chef d’œuvre de Fellini Les inutiles (1951) et pas mal de films italiens, argentins et espagnols, inconnus au bataillon, où elle tient des rôles secondaires.
Dans les années 60, elle se tourne vers les planches, et parvient à reconquérir le public autrichien avant de tomber progressivement dans l’oubli. Jusqu’à la fin de sa vie, Lida Baarova a été harcelée de questions par les journalistes sur sa liaison avec Goebbels qu’elle s’est obstinée à nier pendant plus de 50 ans. Finalement, lors de la rédaction de ses mémoires (qui sortiront après son décès), elle a fini par avouer ce que tout le monde savait déjà. Lutant contre la maladie de Parkinson et la dépression, l’actrice buvait plus que de raison. Elle est décédée en l'an 2000.

Les films tchèques les plus connus de Lida sont ressortis en double DVDs (avec sous titres anglais). Ils révèlent une actrice d’une grande beauté slave, marmoréenne, très distinguée et douée. Pour le chant, elle ma paraît moins à l’aise. Serait-elle vraiment devenue une seconde Marlène, si elle avait accepté les propositions de la MGM ? On ne peut pas refaire l’histoire.
En tous les cas, cette actrice vénale et ambitieuse a fait des choix déplorables et en a été bien punie.

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