vendredi 11 décembre 2009

Florelle, gosse de Paris







Ah! Florelle, c’est tout un personnage : une frimousse écrasée et chiffonnée au regard rieur et à la voix railleuse d’un titi parigot. Pétillante comme du champagne et à la fois incroyablement vulnérable , cette chanteuse possédait déjà près de 20 ans d’expérience dans les revues, quand elle a connu la gloire au tout début du cinéma parlant dans ces personnages de femmes de la rue, héroïnes ou victimes de la société. Aussi douée pour le pathétique que pour le vaudeville, cette môme à l’esprit frondeur représentait bien l’esprit du front populaire.

Née en 1898 en Vendée, la petite Odette est venue toute jeune à Paris où elle a goûté très vite à l’atmosphère du spectacle.
Sa maman était caissière au bar de la Cigale, qui accueillait les plus grandes vedettes de la chanson réaliste à la fin du 19ème siècle comme Eugénie Buffet, la pionnière du genre. Rappelons au passage que cette salle de spectacle mythique transformée longtemps en cinéma, a retrouvé sa fonction initiale depuis 20n ans grâce aux Rita Mitsouko. Le patron obligé de remplacer un petit garçon au pied levé, pousse la gamine sur les planches. Elle poursuit sa carrière à l’Européen sous le pseudonyme de Florelle(où elle joue un sketch avec Raimu « le marseillais et la parigotte« ) à la Scala ou au Bataclan où Mme Rasumi en fait une star. Dès 1918, on parle d’elle dans les journaux quand elle trouve par hasard , en pleine première guerre mondiale, des documents diplomatiques oubliés dans un taxi. Remarquée par Maurice Chevalier. elle tourne 3 films muets dont avec Chevalier et d’aucuns voient en elle la nouvelle Mistinguett ; c’était sans compter sur la solidité de la Miss, qui ne tient pas à laisser sa place à une plus jeune. Aussi, la jeune Florelle doit se contenter de participer aux tournées à l’étranger des revues crées à Paris par la Miss (comme Ça c’est Paris) ce qui la rend un peu amère même si elle est accueillie comme une reine à Cuba et en Amérique du sud. De retour à Paris en 1927, elle enregistre ses premiers disques de sa voix gouailleuse si facilement identifiable et prend la place de Mistinguett qui vient de rompre avec les dirigeants du Moulin Rouge, avant de rejoindre sur la scène de l’Européen, Henry Garat, future star du cinéma parlant avec lequel elle a une liaison tumultueuse alors qu‘elle est toujours mariée à un cubain rencontré lors de sa tournée. En 1930, apprenant que les studios berlinois mettent en chantier de nombreux films en multiples versions, elle décide de tenter sa chance en Allemagne., où on ne lui confie que de petits rôles dont une version espagnole. Grâce au soutien d’un ami figurant , elle décroche un bout d’essai pour l’opéra de 4 sous. Pabst , qui souhaitait Madeleine Renaud pour le rôle, ne la trouve pas assez jolie, mais Kurt Weill pense qu’elle serait parfaite pour la version française et lui apprend les chansons. Finalement le cinéaste donne sa chance à la jeune actrice qui devient célèbre du jour au lendemain. Toute sa vie, elle continuera à remercier le réalisateur « je n’avais plus un sou, plus rien et j’envisageais le pire : je lui garde une reconnaissance infinie ». Même s’il a beaucoup vieilli ce film possède toujours une atmosphère intense sur fond de pauvreté et de corruption, qui anticipe les films noirs américains.
Florelle devient une grande vedette des années 30 : en 5 ans, elle aligne pas moins de 33 films! Beaucoup sont des versions françaises de productions UFA tournées à Berlin, comme tumultes (1931) de Siodmak, où elle tient le rôle de la fiancée d’un gangster. On se souvient encore de sa chanson « qui j’aime » qui restera longtemps au répertoire de chanteuses réalistes et qu ‘Anna Prucnal avait reprise dans les années 80. La star reconnaît avoir un faible pour son personnage de Fantine dans la belle adaptation des misérables par Raymond Bernard. Vraie gosse de Paris, la chanteuse au triste sourire n’a aucun mal à se fondre dans l’univers sombre et le pathos du roman de Victor Hugo qui ressemble à celui des chansons réalistes de son répertoire. Elle y est particulièrement touchante . Souvent rediffusé au cinéma de minuit, Liliom de Fritz Lang 1934 est un des ses films les plus mémorables. Dans cette première version de Carrousel, elle est épatante en patronne de manège qui s’accroche à Charles Boyer. L’année suivante, elle est encore très remarquée dans la version française des dieux s’amusent, une opérette allemande très enlevée .
Elle tourne ensuite sous la direction de Jean Renoir (qu’elle appréciait fort peu) le crime de Monsieur Lange, un film reflétant les aspirations du front populaire. Si Florelle n’enregistra pas la chanson du film, elle a gravé pas mal de 78 tours pendant son heure de gloire. Pour l’amateur de chansons réalistes que je suis, l’écouter est toujours un régal, car son interprétation expressive est toujours soulignée par une forte émotion chevillée à la gorge : j’affectionne plus que tout la chanson Escales, du film ma tante d’Honfleur, qui me touche toujours autant, sans parler du fameux qui j’aime déjà cité ou de sa reprise de fascination. Dommage que les éditions Chansophone qui avoient édités un premier volume de ses chansons en CD n’aient pas persévérés (le disque n’a peut-être pas remporté le succès espéré?).
Contrairement à ce qu’elle a souvent prétendu, ce n’est pas la guerre qui a mis fin à sa carrière : la popularité de la môme gouailleuse était déjà en perte de vitesse à la fin de la décennie (peut être lassé par un bon nombre de mauvais films dans lesquels on l'avait trop vue?), et Arletty, sa partenaire d’Amants et voleurs l’avait supplantée dans le cœur du public. Aussi, faute de projets cinématographiques, l’actrice s’était produite sur scène dans une opérette de Kurt Weill Marie galante qui malgré ses superbes chansons (j’attends un navire) , n’a pas obtenu un succès populaire. Remariée à un dompteur d’ours blancs du cirque Amar, l’actrice aux yeux rieurs se chargea de la gestion d’un café à Montmartre puis au Maroc. Elle prétendra plus tard avoir refusé
de tourner sous l’occupation (alors qu’elle a pourtant joué dans une production de la Continental, les caves du Majestic d’après Simenon en 1944!). Florelle est entrée dans la résistance pendant la guerre. Les nazis lui ont volé tous ses biens (17 millions d’alors) et saccagé son appartement à plusieurs reprises pendant son voyage au Maroc.
A la libération, les producteurs ne veulent plus miser sur une artiste oubliée du public, trop identifiée à la période du front populaire. Ses tentatives pour renouer avec le succès sur les scènes bruxelloises et parisiennes sont des échecs. Afin d’essayer de s’en sortir, actrice aurait alors pris contact avec tous ces anciens partenaires de l’écran pour solliciter leur aide, mais sans succès. Dans l’écran français comme dans Ciné monde, la star déchue pleurniche sur sa gloire passée (« je ne vais pas me tuer parce que personne ne veut de moi« , en en rajoutant; : en effet, même si elle a certainement perdu pas mal d’argent dans les cafés qu’elle a ouvert en Cote d’Ivoire et au Maroc, et la gestion d’une salle de cinéma (elle a fait l'objet d'un redressement fiscal pour 107 millions d'anciens francs), contrairement à ses allégations, elle n’est nullement tombée dans la déchéance et possède une jolie villa aux Sables d’Olonne. Émus par ses amères confessions dans les journaux et l‘image pathétique de la petite actrice aux traits fatigués, certains cinéastes et non des moindres lui confient encore des seconds rôles dans les années 50 (Oasis de Marc Allégret, Gervaise de René Clément). Puis le rideau de l’oubli finit par tomber définitivement sur la comédienne. De retour aux Sables d’Olonne, sa ville natale, elle ouvre un énième café. Blessée dans un accident de voiture, elle se remet difficilement de ses blessures. Transférée en hôpital psychiatrique, elle finit sa vie en 1974.

4 commentaires:

  1. c'est pas souvent qu'on a l'occasion de reprendre un passionné aussi érudit que Music Man...donc voilà, j'en profite pour faire mon cuistre et je rappelle que le Liliom de Lang est (au moins) la deuxième version de Carrousel, après celle de Borzage.

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  2. Hello Christophe;
    Tu as parfaitement raison.

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  3. Quel blog extraordinaire et quel travail!!
    Bravo!!

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  4. merci pour tes encouragements! C'est très gentil.

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