vendredi 10 avril 2009

Franciska Gaal, le fruit vert








Tout comme Mary Pickford dans les films muets des années 20, l’actrice hongroise Franciska Gaal joua les jeunes filles naïves et innocentes dont elle n’avait plus l’âge dans une série de comédies musicales légères et charmantes tournées en Allemagne puis en Autriche jusqu’au milieu des années 30. Ces films remportèrent à l’époque un énorme succès. Pourtant le souvenir de la jeune fille naïve aux grands yeux rêveurs s’est estompé dans les mémoires. La carrière florissante de la comédienne juive a en effet été extrêmement contrariée par l’arrivée au pouvoir d’Hitler.Née Fanny Zilveritch en 1895, treizième enfant d’une famille juive, la petite Franceska prend quelques cours de comédie à l’académie de Budapest avant d’être renvoyée pour son manque de ponctualité. Après la première guerre mondiale, celle-ci parvient à se faire un nom sur les scènes hongroises, grâce au soutien de Ferenc Molnar, célèbre romancier et dramaturge hongrois, dont la pièce à succès Liliom connaîtra en Europe et à Hollywood moult adaptations. Dès 1921, on retrouve son nom au générique de 3 films muets hongrois (perdus ?), mais l’essentiel de sa carrière se déroule alors sur les planches et dans les cabarets (en 1927, l’artiste fait même une tournée à Broadway). L’avènement du cinéma parlant attise l’intérêt des producteurs berlinois vers les artistes de théâtre confirmés pour les nombreux films allemands, souvent tournés en versions multiples, qui sont mis en chantier et séduisent toute l’Europe. Son compatriote Joe Pasternak, futur grand producteur de la MGM (où il lancera Mario Lanza et Kathryn Grayson), est alors chargé de la filiale allemande de la firme Universal. Il propose un premier rôle à Franciska, celui d’une toute jeune fille dans Paprika, un musical folklorique alors qu’elle ne connait quasiment pas un mot d’allemand. L’actrice a alors 37 ans, on déclare à la presse qu’elle en a 28, ce qui parait plus adéquat pour jouer les jeunes filles de 16 ans ! Par la suite, elle retardera même sa date de naissance jusqu’en 1909. Mais de toute façon, elle est crédible. La spontanéité et le regard naïf de la comédienne font mouche et séduisent immédiatement le public allemand. La presse allemande claironne que « la soubrette hongroise a ravi tous les cœurs avec ses mimiques, sa bonne humeur et son insolence, sa jolie voix, son petit accent, sa façon passionnée de danser : une petite personne racée avec du paprika dans le sang. »Dans Véronika (1932) de Carl Boese, elle incarne une jeune fleuriste éprise de son patron, qui sème involontairement la panique dans un couple marié, en glissant une lettre d’amour dans un bouquet. La chanson principale du film, qu’elle enregistre sur 78 T est sur toutes les lèvres. A vrai dire, elle chante de façon vraiment quelconque et c’est surtout sa personnalité fraiche et innocente qui retient l’attention. Tourné en versions hongroises et allemandes par Geza von Bolvary, Scandale à Budapest (1933) remporte un succès international.Alors que ce succès annonçait un avenir brillant, l'arrivée au pouvoir d'Hitler va complètement bouleverser la carrière de la nouvelle coqueluche des studios berlinois. Du jour au lendemain, l’actrice devient persona non grata en Allemagne en raison de ses origines juives, ainsi qu’une bonne partie de la communauté cinématographique. Le producteur Pasternak se réfugie en Autriche où il n’existait pas encore de politique officielle antisémite et entraine avec lui toute une équipe de réalisateurs et d’artistes juifs qui dans le meilleur des cas feront carrière ensuite à Hollywood (Henry Koster, Felix Jackson). Un documentaire récent, sorti en DVD Unerwünschtes Kino. Der deutschsprachige Emigrantenfilm 1934-1937 s’attarde sur cette période particulièrement intéressante avec de rares documents super 8 d'Henry Koster. Les films que Gaal tourne en Autriche ont tous des allures de conte de fée : des romances où de pauvres soubrettes rencontrent le richissime prince charmant : des messages d’espoir sous un ciel couvert. Dans parade de printemps (1934), qui sera primé à Venise, Gaal est une jolie boulangère amoureuse d’un soldat (Wolf Albach le papa de Romy Schneider), ce qui la contrarie beaucoup car une bohémienne lui a prédit qu’elle ferait un riche mariage. Tout s’arrange quand le jeune homme fait fortune en composant une valse à succès. C’est léger et sucré comme une pâtisserie viennoise.Le film, très apprécié, fera l’objet d’un charmant remake hollywoodien avec Deanna Durbin. Le scénariste du film, Ernst Marishka en fera à son tour une adaptation très culcul, Mamzelle Cricri avec une Romy Schneider super nunuche.Toujours abonnée aux rôles d’adolescentes alors qu’elle atteint la quarantaine, Franciska se fait carrément passer pour un enfant dans le fruit vert (1935), pour que sa maman, une star de théâtre, paraisse plus jeune (le film fera l’objet d’un remake à Hollywood avec la pauvre Diana Barrymore et Kay Francis) ;Réalisé par Henry Koster (le futur réalisateur de la tunique) avec le scénariste Felix Jackson (futur producteur de l’Universal et mari de Deanna Durbin) sous la houlette de Pasternak, petite maman (1935) est un film 100% émigrants avec une intrigue amusante et fraiche. L’innocente Franciska trouve un bébé devant un orphelinat mais tout le monde le prend pour le sien. Dans Peter (1935), elle se fait passer pour un garçon pour décrocher un job de vendeur de journaux (on note quelques similitudes avec Viktor Viktoria). Elle arrive malgré tout à séduire un riche docteur (incarné par Hans Jaray, grand séducteur du début des années 30 et amant de Marlène Dietrich qui lui aussi ne pouvait plus tourner en Allemagne).Après l’Anschluss de 1938, les artistes juifs qui avaient trouvé refuge en Autriche sentent l’étau se refermer sur eux : Comme Joe Pasternak, Henry Koster, Hans Jaray, Martha Eggerth, Franciska accepte à cœur joie les propositions d’Hollywood : Cecil B de Mille l’a choisi pour le film les Flibustiers en visionnant Scandale à Budapest. Un film de pirates, que j’avais trouvé bien quelconque. Il faudrait que je me rafraîchisse la mémoire !La comédie musicale qu’elle joue au coté de Bing Crosby est qualifiée par les critiques de production « la plus idiote de l’année ».Dans the girl downstairs (1939) elle hérite d’un rôle proche de ses romances européennes : une pauvre servante courtisée par le soupirant de sa patronne, qui l’utilise mais finit par succomber à son charme naturel. L’accent hongrois de la star ne plait pas au public américain et l’équipe Pasternak/Koster/Jackson confie systématiquement à la très jeune Deanna Durbin le rôle principal dans les remakes américains des films de l’actrice. On raconte aussi que son tempérament indépendant ne parvenait pas à s’adapter au système rigide des studios ; aussi en 1940, alors que beaucoup auraient payé cher pour gagner les Etats-Unis, Franciska retourne en Hongrie au chevet de sa maman malade. Une décision risquée et lourde de conséquence, car la star va très vite être obligée de se cacher pendant toute la guerre dans la cave de la villa de son deuxième mari pour échapper aux persécutions et à la déportation (alors que la plupart des membres de sa famille seront assassinés). C'est là que l'armée rouge va la retrouver. Franciska est invitée en Russie où son film petite maman avait triomphé naguère. Première star étrangère conviée dans ce pays, elle y est fêtée comme une reine. Après guerre, Franciska est engagée comme tête d’affiche pour un film hongrois réunissant à son générique quelques stars du 3èem reisch qui ont tourné sans discontinuer de 1933 à 1945 comme Hans Moser ou Johannes Heesters. Mais des problèmes financiers ne permettront pas de poursuivre le tournage. Mal vue par les communistes suite à des remarques que la comédienne aurait formulées dans une lettre interceptée, l’actrice quitte son pays natal en 1947 pour les USA. Si elle joue à nouveau à Broadway en 1951 pour remplacer Eva Gabor dans the happy time, elle ne parvient pas à trouver sa place dans le show business américain.Ruinée et seule (elle a perdu son mari dans les années 60), elle décède en 1973 dans un hôpital psychiatrique américain pour les pauvres. Son décès avait été annoncé, par erreur, des années avant.

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