dimanche 5 avril 2009

Grace Moore, une chanteuse d'opéra à Hollywood



Pour faire plaisir à Francesco et à tous les amateurs d’opéra, voici à présent un petit portrait de Grace Moore, la première chanteuse d’opéra à réussir à Hollywood. Une artiste opiniâtre et volontaire qui a mis toutes ses chances de son coté pour se faire une place (finalement assez brève) sous les sunlights des grands studios de cinéma. Sa blondeur, son regard rieur avaient surpris le public américain qui avait à l’époque une idée très stéréotypée d’une diva, forcément grosse et laide, et lança une véritable vogue pour les films pseudo-opératiques.

Née en 1898, la jeune Grace Moore rêvait à l’origine de devenir missionnaire. Après avoir assisté à un récital de la cantatrice Mary Garden, elle change de projets, et demande à son père (banquier) de lui payer des cours de chant. Cependant, celui-ci n’entend nullement que sa fille entame une carrière artistique et la jeune fille est obligée de quitter sa famille, pour chanter dans des troupes itinérantes. Grace va progressivement grimper les échelons de la gloire, de petits jobs de figurantes ou de doublures à des seconds rôles dans des musicals de Broadway. En 1923, elle est enfin tête d’affiche de la Music Box revue d’Irving Berlin. Néanmoins, la jeune chanteuse a d’autres ambitions que la comédie musicale et rêve de devenir cantatrice. Elle se fait d’abord jeter lors d’une audition pour le Métropolitan. Loin de se laisser abattre, Grace se paie avec ses cachets de Broadway des cours de chant en Europe auprès des professeurs les plus renommés du moment, ainsi qu’une retraite au Canada pour reposer sa voix.

Quand en 1928, le metropoltan opéra lui ouvre enfin ses portes (rôle de Mimi dans le bohème) elle est très soutenue par la communauté de Broadway (Cole porter, irving Berlin qui lui réserve une ovation. Le public est également séduit par cette jeune et jolie prima donna au parcours atypique.
A l’arrivée du cinéma parlant, les grands studios recherchent avidement de jeunes talents pour les films 100% parlant et chantant en préparation. Le succès inattendu de Lawrence Tibbett dans the rogue song incite les studios à prendre le risque de signer des chanteurs d’opéra (dont le succès auprès du grand public n’était pas gagné d’avance). La MGM propose donc un contrat à Grace Moore. Hélas, les deux films qu’elle y tourne ne sont pas succès : Jenny Lind, le rossignol suédois (1930) un bio pic sur une célèbre diva aimée d’Andersen, et une adaptation de l’opérette New Moon.

Mal fagotée et mal photographiée, Grace Moore ne fait pas vibrer les cinéphiles. On lui reproche aussi de prendre du poids : elle est congédiée. (Le patron de la MGM, Louis B Mayer aurait il était plus tendre si elle n’avait pas refusé ses avances ?).
Déçue, Grace quitte les USA pour une tournée en Europe lors de laquelle elle se déniche un mari (qu’elle épouse à Cannes en 1931) et entame un régime draconien. A son retour, elle triomphe sur scène dans l’opérette La Dubarry puis dans Paggliacci où Harry Cohn la remarque. Avec le retour en grâce du film musical sur les écrans (grâce à Busby Berkeley et Fred Astaire), la Columbia capitalisant sur ce succès, tente sa chance avec Grace Moore et c’est le jackpot : Une nuit d’amour (1934) est un énorme succès inattendu, sorte de biographie très inspirée de la carrière de grâce, avec quelques airs d’opéra hyper connus pour appâter le public le plus large(le film est sorti en Laser disc il y a 15 ans). Grace Moore chante très bien des extraits de Carmen, ainsi que la ritournelle ciribiribin (reprise chez nous par Elyane Célis). Si les journaux des années 30 parlent de sa beauté, en dépit de la lueur d’ironie dans son regard, je ne lui ai pas trouvé beaucoup de grâce dans ses mouvements et son air constamment rigolard ne lui confère pas beaucoup de glamour, à mon goût (qu’en penses tu Cathy ?).

Avec le triomphe du film, la MGM (mais plutôt Irving Thalberg) lui fait à nouveau les yeux doux. Alors qu’elle rêve pourtant de jouer la veuve joyeuse (même gratuitement !)de Lubitsch et le soldat de chocolat avec Maurice Chevalier, le projet capote car le célèbre Momo refuse catégoriquement que le nom de Grâce figure avant le sien au générique. Grace reste donc à la Columbia et triomphe encore dans Aimez moi toujours (1935), encore une romance rehaussée avec d’immortels arias. Elle donne des récitals en Europe pour plusieurs têtes couronnée, dont la reine d’Angleterre puis à nouveau au Met. L’engouement du public pour la diva va alors lancer un incroyable intérêt à Hollywood pour les chanteurs d’opéra. Les grands studios vont tous signer un contrat avec des stars du genre comme Lily Pons à la RKO, James Melton à la Warner et Gladys Swarthout à la Paramount. Hélas, ils vont presque tous se planter.

Les films ultérieurs de Grace Moore ne vont pas connaître un meilleur sort auprès du public. Pourtant, j’ai lu le plus grand bien de sa majesté est de sortie (1936), du grand Joseph Von Sternberg, « une délicieuse opérette viennoise ». Le courant ne passera guère entre la diva et l’ex pygmalion de Marlène Dietrich. Elle lui reprochera de négliger la direction des acteurs au profit de détails inutiles.

En revanche, j’ai pu voir et apprécier Sérénade (1937), une comédie charmante et légère avec Cary Grant où Grace aborde tous les genres musicaux puisqu’elle reprend même Minnie the moocher de Cab Calloway ! On peut préférer sa version de Siboney de Lecuona. Comme dans presque tous les autres films de Moore, elle tient le rôle d’une prima donna, coquette et capricieuse bien entendu (ce qu’elle était un peu dans la vie, caractérielle et hédoniste).


Dans un joli passage, elle chante dans la clairière d’une forêt et tous les animaux, charmés par son ramage, viennent l’écouter comme dans Blanche neige. Adorable. Notons que lors de la fin ale du film (la sérénade Schubert), la grande star du muet Louise Brooks(tombée alors en disgrâce) est reléguée à faire un peu de figuration (sur le mensonger programme espagnol, on insiste néanmoins sur la présence de la star mythique) ;

Avec Melvyn Douglas dans son dernier film américain

En 1939, Grace Moore tourne son dernier film en France, où elle est très populaire (en Europe, on est encore plus friand de ses films qu’aux USA ).
. Il s’agit d’un opéra filmé, chose très rare car jusqu’à présent on a vu la star à l’écran que dans des opérettes ou musicals avec des extraits de divers opéras. Lors de la sortie en France du film la Bohème en 1988, le producteur Toscan du Plantier s’était venté d’être le premier à mettre en chantier en France un opéra filmé avec des stars de l’opéra et un grand réalisateur(Comencini). Un journaliste connaisseur lui rétorqua qu’avant, il y avait eu quand même Louise, opéra de Charpentier, réalisé par l’immense Abel Gance avec Grace Moore. Il fit alors la grimace en disant : oui, mais Charpentier….
Si la presse américaine a qualifié ce film « d’ennui monumental », je l’ai trouvé tout à fait plaisant, sans parler de Georges Thill, légendaire chanteur d’opéra qui donne la réplique à Grace.

A la veille de la seconde guerre mondiale, la chanteuse retourne aux USA où elle va beaucoup se dépenser pour entretenir le moral des troupes armées. Elle n’hésitera pas à accompagner les Gis sur le pacifique et en Europe pour les encourager. Parallèlement, Grace Moore donne de nombreux récitals mêlant airs d’opéras, d’opérettes et chansons, afin de « toucher le plus large public ». Enfin, façon de parler, car elle refusera de passer sur la même affiche que les Mills Brother, parce qu’ils étaient noirs.
Après avoir donné une tournée triomphale en Scandinavie, Grace Moore trouve la mort dans une catastrophe aérienne en 1947.
Dès 1953, la chanteuse aura droit à son bio pic avec Kathryn Grayson : la route du succès, une comédie musicale qui élude la fin tragique de la star.

Comme on l’a souvent dit sur ce topic, la façon de chanter l’opéra a beaucoup évolué en un siècle, et je n’ai pas été très emballé par l’écoute d’une compil en CD de la cantatrice (de toute façon, même à l’époque, elle était loin de faire l’unanimité), néanmoins rendons grâce à Grace d’avoir permis de démocratiser l’opéra.

3 commentaires:

  1. D'abord bravo pour votre blog qui est tres tres interessant et tres bien documenté

    ma question: vous parlez dans ce message d'un film ou Louise Brooks ferait une apparition , a savoir When you are in love (1937) (Serenade en Francais ?). Pouvez vous me le confirmez ?

    Je suis un fan de Louise Brooks et pourtant je n'avais pas cette info!

    RépondreSupprimer
  2. Merci DarkWoods pour tes encouragements!
    When you're in love (37) est sorti en France sous le nom "le coeur en fête" et en belgique sous le titre "Sérénade".
    Louise Brooks y fait de la figuration dans le dernier numéro parmi d'autres élégantes girls derrière Grace Moore. Il semble qu'à l'origine, elle avait tourné d'autres passages mais qu'ils on tous été coupés par Harry Cohn qui lui en voulait personnellment. En tous les cas, dans la vidéo du film (sorti en GB dans les années 80), on a bien du mal à discerner Louise Brooks;
    La presse exploita alors cet événement en titrant "Louise Brooks obligée de recommencer sa carrière à zéro". On imagine son humiliation.

    RépondreSupprimer
  3. Merci beaucoup pour cette réponse très complète je vais essayer de trouver rapidement le dvd du film!

    RépondreSupprimer