dimanche 15 février 2009

Zarah Leander, la Garbo du IIIème Reich


Passons maintenant au cas de la suédoise Zarah Leander, la star des films allemands de l’époque nazie.


Après avoir débuté dans des revues dans son pays natal, et repris en suédois la chanson de l’Ange bleu « Ich bin von kopf bis fuss… »de Marlène Dietrich, Zarah Leander obtient un vif succès à Stockholm dans l’opérette La veuve Joyeuse, pour laquelle le compositeur Franz Lehar a donné l’autorisation à l’interprète de chanter les couplets une octave en dessous ! Il est vrai que la voix de Zarah est particulièrement basse voire masculine.En 1936, elle triomphe sur les scènes viennoises, dans une opérette inspirée du phénomène Garbo. Le succès est tel que les propositions cinématographiques pleuvent (Zarah avait déjà tourné 3 petits films dans son pays). Elle joue d’abord dans Première de Geza Von Bolvary, un film policier agrémenté d’excellents numéros musicaux (la chanson phare sera reprise en français par Damia). Marmoréenne, décolleté vertigineux, Zarah y parait très « Dietrich ».Le studio allemand la UFA (nationalisé par le régime nazi) lui propose alors un contrat fort juteux, qu’elle accepte pour le meilleur (quelques bons films, beaucoup d’argent) et pour le pire. Apparemment Hollywood s’intéressait aussi à son cas (elle a passé un test pour les studios américains), mais très pragmatiquement elle décline l’offre (il est vrai que ses consoeurs Garbo et Dietrich était devenue à l’époque des poisons du Box office et qu’il n’est pas sûr que le public américain aurait adopté en 1937 une Zarah Leander).


Modelée par la UFA en ersatz de Garbo et Dietrich, Zarah triomphe dans deux bons films de Douglas Sirk : -Paramatta (1937) dans lequel elle incarne une chanteuse envoyée au bagne à la suite d’une machination (ah, la robe en dentelle noire super osée, qu’elle porte ne chantant yes sir ! Curd Jürgens dans un tout petit rôle, déclarera qu’il s’agissait en fait d’une sorte de corset de fer dans lequel était engoncée la star) -La Habanera ressorti en DVD aux USA, où elle chante son tube « le vent m’a dit une chanson » alors que la malaria décime la contrée), puis enchaîne les films les plus mélodramatiques, agrémentés de chansons (environ 5 par film) qu’elle interprète de sa voix profonde et surprenante et qui constituent souvent le clou du spectacle (notamment dans Pages Immortelles 1939). Ces productions sont particulièrement conseillées par la propagande (dont Goebbels détient les raines). En fait, mis à part certains détails déplaisants, il s’agit de films apolitiques, de drames intemporels, souvent situés dans le passé ou à l’étranger ( si l’on excepte un très antibritannique Marie Stuart 1940 et un Grand Amour 1942, qui sera d’ailleurs interdit après guerre ). Ces films, tous rediffusés par Ciné Classic, sont de valeurs inégales, mais Zarah s’y révèle souvent fascinante et bonne comédienne( notamment dans les très mélos « Chemin de la liberté « 1941 et « Foyer perdu »1943). Ses qualités de chanteuse sont incontestables (techniquement, elle est bien meilleure que Dietrich). La plupart seront de gros succès commerciaux, en Allemagne, dans les pays occupés (chez nous, où ses films et ceux de Marika Rökk seront à peu près les seuls films allemands à très bien fonctionner avant et pendant l’occupation), en Italie, en Espagne. Ich weiss es wird einmal ein wunder (je sais ce sera encore un miracle), à la fois chanson d’amour et chanson à message, tiré d’un grand amour (1942) remportera un succès considérable et durable (elle sera reprise après guerre par Caterina Valente, Nina Hagen, un groupe techno…)Même si elle révèle un talent et un charisme très personnel, Zarah n’en demeure pas moins façonnée par la UFA, qui lui choisit ses vêtements (pour tenter de cacher l’embonpoint de cette bonne vivante), ses sorties, ses déclarations, ses prestations dans des galas de charité, son passage dans Paris occupé en 1941)



En 1943, rien ne va plus entre elle et Goebbels, qui veut revoir son salaire à la baisse. Il souhaite aussi que son fils entre dans les jeunesses hitlériennes. Au même moment, sa villa berlinoise (où dit on elle donnait des réceptions tapageuses fort arrosées) flambe sous les bombardements. Zarah retourne alors en Suède, sur l’île qu’elle a acquise avec ses fabuleux cachets (où elle se rendait entre chaque tournage). La rumeur prétend alors qu’elle espionnait pour les russes. Ses films disparaissent des écrans allemands mais resteront à l’affiche en France jusqu’à la libération.Après la guerre, elle est interdite de scène pendant des années dans son pays, où on lui reproche ses liens étroits avec le régime nazi. Zarah qui se réfugie dans l’alcool, ne comprend pas cette réaction qu’elle estime « idiote »(je cite ses propos). On pourrait parler des heures de l’attitude de Zarah (et de celles des comédiens ayant tourné en Allemagne pendant la guerre). Si elle ne s’est pas livrée personnellement à des actes indignes (délation, etc..), si elle a probablement aidé quelques homos de son entourage, force est de constater qu’en apparaissant en vedette dans une dizaine de films en Allemagne, elle a cautionné par sa présence ce régime épouvantable. L’appât du gain et de la célébrité, son égocentrisme l’ont emporté sur l’aspect moral et c’est fort dommageable. Elle fait peur également quand elle déclare dans une interview que Goebbels avait beaucoup d’humour. Comme on dit, on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui

Après une tournée en Italie et en Suisse ( par contre, elle ne se risquera plus en France), elle reprend le chemin des studios allemands en 1950, après avoir enfin obtenu une autorisation.Ses films d’après guerre ne valent pas les anciens et la pauvre Zarah a beaucoup vieilli (de muse garboesque, elle se transforme au fil des années en matrone style Alice Sapritch.) Grâce à son opiniâtreté, elle parvient à regagner les faveurs du public viennois avec une opérette en 1958, puis réenregistre en stéréo ses vieux tubes avec une voix toujours plus grave, plus masculine, mais toujours aussi (voire encore plus) prenante et puissante.Dans les années 70, elle multipliera les adieux. Usée par l’âge et par l’alcool, elle donne une piètre image d’elle-même lors de ces derniers concerts (devant un public majoritairement gay qu’elle a toujours fasciné et qui continue à l’aduler et à la soutenir) et de shows télé où elle a le plus grand mal à synchroniser le mouvement de ses lèvres sur son play back. Elle est morte en Suède en 1981. Que pensez vous de Zarah Leander (dont certains films ont été réédités en Allemagne en DVD mais sans sous-titres) ?



9 commentaires:

  1. Voilà un blog que je vais suivre. Excellente initiative.
    A bientôt.

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  2. Quand j'écoute "Der Wind..., je fonds comme un vieux loukoum au soleil. ;) D'après l'historien britannique Antony Beevor - un chercheur très sérieux - qui a pu consulter les archives entre-ouvertes du KGB pour sa bio très fouillée de Olga Tchekhova (trad. chez Calmann-Lévy, 2005), cette autre aventurière des écrans nazifiés, Zarah a été une agente d'influence plus qu'une agente secrète. C'est bien moins romantique mais ça ne servit pas la diva après la guerre auprès des Suédois puisque la guerre froide lui interdisait de s'en vanter, même si elle avait rendu deux ou trois petits service à la cause alliée tout en acceptant de travailler pour le cinéma contrôlé par Goebbels.

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  3. En avril, dans le cadre d'une intégrale Douglas Sirk, TCM va diffuser les 2 films que la diva a tourné avec ce rélaisateur toujours très prisé par les cinéphiles. A vos DVDR!

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  4. En voilà une nouvelle qu'elle est bonne ! Je suis allé jeter un œil sur le programme: "La Habanera" y figure. (pied jaloux !)
    Merci de l'info.

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  5. Dans "Les femmes d'Hitler" (éd. Payot, 2004), Guido Knopp consacre un chapitre que je trouve très intéressant à Zarah Leander. L'historien et producteur fait un portrait fin - et non exempt de fascination - de l'actrice et aborde sans complaisance son utilisation par l'UFA nazifiée. Son "pygmalion" fut Carl Opitz chargé de créer "la Leander".

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  6. dans "der WEg ins Freie", elle vaut bien Garbo dans "Camille". c'est tt de même un monument qui devint caricature d'elle-même...on trouve sur youtube sa version allemande de "the man I love", et c'est presqu'effrayent, tout en etant fascinant... faszinierend, jawohl, mein Herr!

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