lundi 24 janvier 2011

Camilla Horn, la vamp glaciale









Superbe blonde aux traits harmonieux, Camilla Horn comptait probablement parmi les plus jolis visages du cinéma muet. Sa prestation dans Faust le chef d’œuvre de Murnau aurait du lui ouvrir les sentiers d’une gloire internationale et tous les espoirs étaient permis. Or, après un voyage infructueux à Hollywood, la jolie vedette a continué sans trop d’éclats sa carrière en Allemagne. L’innocente et fragile héroïne du muet s’était entre temps transformée en vamp glaciale et calculatrice, égrainant au passage quelques romances parlées-chantées dans des mélos plus ou moins musicaux, distillant à l’occasion quelques messages propagandistes.

Née en 1903 à Frankfort, cette fille de fonctionnaire a d’abord pris quelques cours de danse tout en travaillant comme dessinatrice de mode dans une usine de pyjamas. Elle fait un peu de figuration au cinéma (notamment aux cotés de Marlène Dietrich) avant d’être repérée par le producteur Alexander Korda dans une revue. Il décèle chez la jolie girl un potentiel physique de star de l’écran et un don sens certain du mouvement.
Grâce à son soutien, elle décroche le principal rôle féminin tant convoité du Faust (1926) de Murnau aux cotés d’Emmil Jannings, l’une des plus populaires stars du cinéma européen. Le rôle avait à l’origine était écrit sur mesure pour Lillian Gish, mais la star hollywoodienne avait fini par se rétracter devant le refus su studio UFA d’utiliser son photographe attitré. Murnau avait remarqué la beauté de Camilla Horn alors qu’elle assurait la doublure lumière de Lil Dagover dans Tartuffe.
D’une impressionnante beauté visuelle, ce chef d’œuvre de l’expressionisme figure parmi les plus grosses réussites artistiques et commerciales du cinéma muet. Afin de tirer la meilleure performance de l’actrice novice, Murnau n’hésita pas à filmer de nombreuses fois le moindre geste, dans un constant souci d’excellence. Comment oublier la grâce et la modernité du jeu de la comédienne, dans des scènes aussi difficiles que la mort de son enfant ou son exécution sur le bûcher. Après un début aussi sensationnel, la star qui vient de signer avec l’UFA, a quelques difficultés à trouver des rôles et surtout un réalisateur de la même trempe. En 1928, elle tombe amoureuse du producteur Joseph Schenck qui l’emmène avec lui à Hollywood, bien décidé à faire de l’actrice allemande une nouvelle Greta Garbo. Le choix d’un partenaire aussi prestigieux que le très adulé John Barrymore aurait du logiquement permettre à l’actrice de devenir une star américaine ; Pourtant le tournage de la tempête (1928) de Sam Taylor s’avéra très pénible, John Barrymore déjà très altérée par l’alcool ayant le plus grand mal à retenir ses répliques, à ne pas loucher et à rester éveillé ! Dans le film suivant Eternal love, toujours avec Barrymore,
c’est le si talentueux et prestigieux Ernst Lubitsch qui assure la mise en scène. En visitant le lac Louise au Canada il y a 2 ans, je fus surpris de voir une stèle en mémoire de John Barrymore et de ce film tourné dans ces lieux magiques : hélas, l’échec commercial et critique du film ne permit pas à Camilla Horn de se faire un nom au pays des stars. De surcroit l’arrivée du cinéma parlant représentait une véritable menace pour les actrices étrangères à l’accent guttural. Et Charles Chaplin qui avait envisagé de confier à Camilla un rôle dans les lumières de la ville se rétracta… Aussi, Camilla rentra piteusement en Europe…
Si la blonde comédienne a ensuite tourné sans discontinuer jusqu’à la fin de la guerre, aucun de ses films n’a vraiment marqué sur un plan cinématographique. Le cinéma est devenu sonore, et les chansons sont omniprésentes ; Comme Pola Negri, Liane Haid et d’autres stars du muet, Camilla chante à l’écran et enregistre pour la firme Odéon des disques avec les airs tirés de ses films, avec notamment le fameux orchestre tzigane Dajos Bela. Sa voix est juste et haut perchée, comme le veut la mode de l’époque.
Les films sont tournés en langues multiples pour l’exportation, et Camilla joue à l’occasion aussi dans les versions françaises (la chanson des nations). On la trouve aussi dans la version allemande des cinq gentlemen maudits, une œuvre mineure de Julien Duvivier aux accents colonialistes dérangeants. Entre 1932 et 1934, l’actrice tourne plusieurs films en Grande Bretagne : des policiers de seconde zone qui n’ont guère marqué les esprits. Les films musicaux sont très populaires auprès du grand public et Camilla se prête à ce genre de bonne grâce : la dernière valse (1934) est l’adaptation d’une opérette et une valse avec toi, une comédie frivole assez enlevée avec Louis Graveure, chanteur d’opéra d’origine anglaise qui avait triomphé sur les scènes américaines. Pendant 4 ans, Camilla va partager la vie du chanteur à Berlin et dans sa villa de Roquebrune sur la côte d’azur. Suspecté d’espionnage par les nazis, Louis Graveure se sauvera en France et la villa qu’il partageait avec Camilla sera fouillée de fond en comble, sans succès. Inquiétée, l’actrice sera quelques temps frappée d’une interdiction d’exercer sa profession. Pour éviter des représailles, elle sera dès lors contrainte par Goebbels de prêter sa contribution antisoviétique à un film de propagande « le croiseur Sébastopol (1937). Vision fasciste, raciste et extrêmement partiale de la révolution bolchevique, le film est d’autant plus dangereux qu’il est mis en scène avec talent et vigueur. Il remportera un succès certain lors de sa diffusion dans la France occupée en 1941. Les deux très belles chansons qu’y fredonne Camilla Horn (les plus mémorables de sa carrière) auront également un beau succès chez nous par Lucienne Delyle.
En 1937, Camilla Horn joue dans la version allemande des Gens du voyage de Jacques Feyder où elle reprend le rôle de Marie Glory. Elle est désormais abonnée aux rôles de vamps méchantes et vénales, froides et calculatrices qui décorent des films d’espionnage comme l’orchidée rouge (1938) ou encore Zentrale Rio (1940). Entre deux missions d’espionnage, la belle chante plutôt moyennement et danse, sans beaucoup d’aisance, dans les bars aux décors hideux de Berlin, Rio ou autres destinations mystérieuses. Néanmoins au début de la guerre, son étoile pâlit et son nom descend progressivement sur les affiches de ses films, même si le magazine cinémondial soutient en 1942 qu’elle figure toujours parmi les stars allemandes les plus demandées « sa principale qualité étant de pouvoir adapter une sensibilité étonnante à chacun de ses personnages ». On retiendra de cette sombre époque une excellente biographie de Friedemann Bach (le fils de Jean Sébastien), le Musicien errant, œuvre émouvante et fort bien réalisée, et tragédie d’amour un mélo avec le chanteur d’opéra Benjamino Gigli. Comme d’autres actrices en disgrâce, l’actrice est contrainte de tourner plusieurs films en Italie dont un remake de Prisons sans barreaux (1941) de L Moguy. On raconte que Mussolini était très attiré par la star et cette dernière admettra avoir « flirté » avec le dictateur. Pourtant mariée, elle aura aussi une liaison avec son partenaire Luis Hurtado. A son retour en Allemagne, elle joue dans une comédie musicale de Paul Martin qui sera interdite par la censure nazie pour des raisons mal élucidées. Après sa parenthèse italienne et ce film interdit, Camilla disparaît des salles obscures. Elle se produit dans des tours de chant, au théâtre (l’aigle à deux têtes de Cocteau) ou à la radio. Sur grand écran, ses deux tentatives de come back passent inaperçues : heureusement elle triomphe au théâtre dans Gigi d’après Colette au milieu des années 60. en 1985, Camilla Horn publie ses mémoires. Pour l’occasion, elle se rend en France et est interviewée par Thierry Ardisson : toujours belle et lucide, elle remarque que sa carrière n’a pas connu le même impact que celle de Dietrich notamment car elle a manqué du soutien d’un Pygmalion. En 1987, l’actrice fait son come-back à l’écran avec ses vielles collègues Marianne Hoppe et Marika Rökk dans schloss Königswald. Camilla Horn nous a quitté en 1996, âgée de 93 ans. Mais grâce au talent de Murnau, la belle blonde n’a pas fini de hanter les cinémathèques. Bruce Springsteen a dédié également une chanson à la star "déchue"

4 commentaires:

  1. Bonjour, Sur la 2eme photo, elle ressemble à Jeannette Macdonald.

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  2. Bonjour Josée : deux très jolies blondes, en effet

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  3. Merci pour ce texte agréable et instructif.
    A la dernière ligne (il y a un petit "qui" en trop..) vous parlez d'une chanson qui lui est dédiée par Bruce Springsteen.
    Avez-vous plus de détails, le nom, le titre, la date..?

    Merci,

    Frederic.

    (PS : je collectionne les cartes postales de comédiennes en "Vraie photo" ou "Photo véritable". On appelle ça aussi des Photo-cartes.
    J'ai un bon nombre de belles cartes de Camilla Horn car je la trouve très belle, et dont plusieurs signées.)

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  4. Merci Fred, j'ai fait la correction!
    La chanson de Bruce Springteen intitulée "Camilla Horn" date de 1972, et vous pouvez l'écouter ici :
    http://www.youtube.com/watch?v=ZfZ4RyReDXI
    Si vous aimez Camilla, je vous recommande le livre édité par le musée du cinéma de Frankfort qui contient de fort belles photos :
    http://shop.strato.de/epages/61390111.sf/en_GB/?ObjectPath=/Shops/61390111/Products/b_0017
    Pour ma part, j'ai des cartes postales "Ross Verlag" des années 20-30 de Camilla.
    Merci pour vos commentaires, c'est très gentil!

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