mardi 9 mars 2010

Jacqueline Gauthier, l'incomprise








Entre Jacqueline Gauthier et le cinéma, il y a toujours eu un malentendu. Tout de suite, la mignonne comédienne a été cataloguée dans des rôles comiques de jeunes femmes écervelées, piquantes et superficielles dans de nombreuses farces musicales ou non tournées pendant l‘occupation et l‘immédiat après-guerre. Prisonnière de rôles qui ne lui convenaient guère, l’actrice a très tôt manifesté son mécontentement…sans jamais avoir gain de cause. C’est finalement au théâtre que Jacqueline Gauthier a rencontré la notoriété et la possibilité d’aborder des personnages différents, même si elle fut toujours habitée par une insatisfaction certaine.

Née en 1918 à Paris, Jacqueline Gauthier a très tôt été attirée par la comédie ; dès l’âge de 15 ans, elle passe une audition auprès de Louis Jouvet pour le rôle d’Agnès dans l’école des femmes. Mais le célèbre acteur la rejette catégoriquement « aucune chance d’être une ingénue. Peut être plus tard le genre Spinelly ou encore Arletty. Je ne peux rien vous apprendre! ».
Recalée trois fois au conservatoire, à force de persévérance, Jacqueline est enfin retenue. Elle fait ses classes au cours Simon au coté de nombreux artistes en herbe tels que Daniel Gélin, Sophie Desmarets ou Louis de Funès.
Finalement, elle remplace Alice Cocéa au théâtre du Gymnase dans Histoire de rire et devient célèbre du jour au lendemain. Abel Gance lui propose alors un rôle important dans l’opérette de Charpentier Louise avec Grâce Moore et George Thill…mais la plupart de ses scènes finiront coupées au montage.
Pendant la guerre, Jacqueline va toutefois beaucoup tourner pour le cinéma, mais la plus souvent dans des films médiocres qui ne la mettent guère en valeur.
Elle est souvent la partenaire des chanteurs à succès du moment, notamment du grand Charles Trenet dans Frédérica (1943), platement mis en scène par Jean Boyer sur un scénario stupide ou du populaire Tino Rossi dans la sérénade aux nuages (1946) réalisée par André Cayatte qui relève le niveau.
Toujours pour Cayatte, Jacqueline joue dans Au bonheur des dames, une adaptation très réussie du roman de Zola, et probablement un de ses meilleurs films, même si son rôle est très secondaire.
Feu Nicolas (1943) farce pourtant poussive et ridicule avec fantômes en goguette sera un gros succès commercial en raison de la présence de Rellys, comédien attachant qui eut son heure de gloire au milieu des années 40. On se souvient davantage des amours de Casanova, un des films les plus populaires du chanteur Georges Guétary où Jacqueline figure parmi les conquêtes du séducteur.
Enfin, la comédie musicale Une nuit à Tabarin (1947), réalisé par un vieux routier du cinéma de divertissement le tchèque Karel Lamac (qui lança sa compagne Anny Ondra), est un très gros succès commercial. Avec ce succès personnel (Jacqueline, rayonnante, figure au sommet de l’affiche devant Robert Dhéry) qui curieusement n’a jamais fait l’objet de réédition en VHS ni DVD (et que ma mère avait adiré quand elle l'avait vu , enfant, à sa sortie), Jacqueline est à la croisée des chemins. Courageusement, elle entend profiter de ce succès personnel pour tenter de donner un tournant à sa carrière, imposer ses choix et rejeter les « personnages de jolies femmes fantaisistes et sans tête » qui lui sont proposés. N’a-t-elle pas déjà prouvé sur les planches, qu’elle pouvait tenir des rôles dramatiques (Marché noir)? Jacqueline va attendre pendant deux ans , en refusant de nombreuses propositions, lassée de cet « éternel féminin vu par le petit bout de la lorgnette ». A un moment Henri Diamant Berger envisage de lui confier le rôle de la directrice dans la maternelle, refusé par Annie Ducaux, mais recule devant la perplexité des producteurs (Marie Déa héritera du rôle). On parle également d’un film policier « Pont l’abîme », qui lui tient à cœur et qui ne verra jamais le jour.
Le journal L’écran français souhaiterait la voir diriger par Jacques Becker ou Autant-Lara…. Que de rêves perdus. Finalement, Jacqueline fera une piteuse rentrée à l’écran dans une comédie légère comme elle les déteste et fort mauvaise , Ève et le serpent. Par curiosité, on aimerait quand même revoir l’extravagante Théodora adaptation filmée d’une comédie boulevard qu’elle avait testé auparavant sur les planches avec Georges Rollin (avec lequel elle aura une liaison passionnée et contrariée), ne serait ce que pour comparer avec la version américaine où Irène Dunne tenait le rôle principal. En 1950, Jacqueline est vedette d'un musical "Ils ont 20 ans" avec Philippe Lemaire, tout juste sorti du triomphe de "nous irons à Paris".

Lasse de ne rien trouver de convenable au cinéma, Jacqueline va uniquement se consacrer au théâtre et à la radio où elle chante à l’occasion. Comparée à Gaby Morlay , Jacqueline Gauthier devient une des comédiennes les plus prisées du théâtre de boulevard. En 1959, elle triomphe avec Michel Roux dans l’effet Glapion d’Audiberti, une pièce un peu plus recherchée que les vaudevilles de base dans lesquelles on la cantonne. Outre les pièces d’André roussin on retiendra surtout sa prestation dans 40 carats de barillet et Gredy qui lui vaut encore un triomphe en 1967 (la pièce sera adaptée à l’écran avec Gene Kelly et Liv Ullman). Désormais blonde, Jacqueline Gauthier enchaîne les pièces de boulevard, souvent diffusées dans « au théâtre ce soir ». Mais le cœur n’y est plus. Vaincue par la solitude, la peur de la vieillesse et des revers de fortune , l’actrice se suicide en 1982. La nouvelle de sa mort sera complètement occultée par le décès accidentel de Grace de Monaco.
Lyliane Grandjean lui a consacré une biographie aux éditions de l’amandier.

9 commentaires:

  1. Bravo et grand merci pour ce récit très riche de cette carrière qui l'est autant.

    Christian Souque

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  2. Bravo! j'ai bien connu Jacqueline Gauthier et l'ai beaucoup admirée au théâtre. Elle était une de nos plus grandes actrices: inégalable, inégalée.

    Merci de lui avoir rendu cet hommage.

    Frank bertrand

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  3. Je voudrais ajouter que le livre de Lylian Grandjean "Le tragique destin d'une actrice" consacré à Jacqueline Gauthier est magnifique. Il Faut le lire!

    Sincèrement,

    Frank Bertrand

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  4. Lyliane Grandjean se prend pour Jacqueline Gauthier, mais malheureusement pour elle (L.G), elle ne lui arrive pas à la cheville...

    A force de vouloir imiter son modèle on y perd
    son style, car justement le problème, on à le sentiment que L.G ne parle que d'elle à travers Jacqueline Gauthier...C'est dommage, et c'est tant pis.

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  5. Lyliane Grandjean se prend pour Jacqueline Gauthier, mais malheureusement pour elle (L.G), elle ne lui arrive pas à la cheville...

    A force de vouloir imiter son modèle on y perd
    son style, car justement le problème, on à le sentiment que L.G ne parle que d'elle à travers Jacqueline Gauthier...C'est dommage, et c'est tant pis.

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  6. Cette actrice est tombée injustement dans l’oubli. Grâce au livre de Lilyane Grandjean, son nom a pu réapparaître au générique et briller tout en haut de l’affiche. L’ouvrage retrace la vie de « la femme » et de »l’artiste » qu’était Jacqueline Gauthier, reconstituée par les nombreux témoignages de ses partenaires à la scène (Denise Grey, Bernard Blier, Claude Nicot, Louis Velle…). Une carrière exemplaire, jalonnée de succès qui s’achève tragiquement. L’auteur a réussi à la rendre vivante, touchante, captivante, authentique et, surtout, présente. Elle est parvenue à faire (re)découvrir et aimer la personnalité sensible de cette grande comédienne, à travers une biographie émouvante et sincère. Elle raconte aussi l’envers d’un métier dur et cruel. Jacqueline Gauthier n’a pas eu que des admirateurs… Les gens du métier n’ont pas été toujours tendres avec elle. Comme l’a écrit plus haut Frank Bertrand, je ne peux que recommander sa lecture, ne serait-ce pour apprécier l’admirable travail de l’auteur et connaître « le destin tragique » de cette charmante comédienne qui incarna au théâtre des rôles inoubliables (merveilleuse Lisa dans Quarante Carats !) Merci pour votre blog et meilleurs vœux. Louis Tardieu

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  7. "le pole d’Agnès dans l’école des fans"… Hum.

    Mais votre site est très bien, Music Man, merci !

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  8. Oui, la honte! j'aurais quand même du me relire. j'avais du enchaîner le message après une journée du bureau épuisante. Au moins, c'est drôle.

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