mercredi 18 février 2009

Lilian Harvey, elfe fragile des premiers films parlants







Il y a une quinzaine d’année je suis allé voir à la cinémathèque du palais de Chaillot, une projection du « chemin du paradis » comédie musicale franco-allemande de 1930. D’emblée, je fus étonné par le public qui différait profondément des habituels cinéphiles et étudiants que l’on rencontrait dans cette salle. La salle était remplie de spectateurs du 3ème ou plutôt 4ème âge venus retrouver leur jeunesse et l’idole de leur adolescence, Lilian Harvey. Née à Londres d’un père allemand, Lilian Harvey grandit en Allemagne. Après fréquenté l’école de danse de l’opéra et décroché son baccalauréat, elle entame une carrière de danseuse en Autriche. Dès 1924, elle débute dans les studios de cinéma berlinois grâce au réalisateur Richard Eiberg, séduit par la grande beauté de la jeune femme. Curieusement, ces films bien que muets comportent moult scènes de danse. Avec La Chaste Suzanne (1926), elle devient une vedette de tout premier plan, connue dans toute l’Europe.





C’est bien évidemment avec l’arrivée du parlant que la carrière de Lilian Harvey prendra tout son essors : d’une part, ses films « musicaux » avant la lettre ne demandaient que l’arrivée du son, et son don pour les langues lui permet de jouer dans les multiples versions de ses films. En effet, en 1929, les techniques de doublage n’étaient pas encore au point, et les films allemands étaient tournés, scènes après scènes, en plusieurs versions, avec des acteurs français, anglais, allemands, espagnols pour permettre une exploitation internationale (A Hollywood, c’était la même chose). Polyglotte, Lilian Harvey joue dans les versions françaises, allemandes et anglaises, ce qui va confirmer son succès international. En revanche, ses partenaires varient en fonction du pays : Henri Garat pour la France, Willy Fritsch pour l’Allemagne, et différents acteurs (dont Laurence Olivier) pour la Grande Bretagne.




Le chemin du paradis (1930), qui nous narre l’histoire toute simple de 3 garagistes amoureux de la même fille, remporte un véritable triomphe. L’ambiance est décontractée, Lilian danse avec la légèreté et la fragilité d’un elfe (bien que les chorégraphies soient rudimentaires), quant aux chansons (avoir un bon copain), elles marqueront durablement les mémoires. Il est émouvant à posteriori de revoir ce type de film, qui a énormément vieilli, car il s’en dégage beaucoup de naïveté : c’est toute l’enfance du cinéma parlant. Le congrès s’amuse (1931), opérette au charme suranné, aura tout autant de succès. Si Lilian est une chanteuse plus que moyenne (elle ne possède qu’un frêle et hésitant filet de voix aiguë), elle joue de façon charmante (et un peu forcée comme beaucoup de comédiens du début du parlant). Les numéros musicaux s’enchaînent à merveille et démontrent que juste avant l’arrivée du nazisme, l’Allemagne était le pays champion de la comédie musicale. Calais Douvres (1931) possède un charme indéniable et de superbes chansons .Lilian est au faite de sa beauté, et le film est un régal (à condition de faire l’effort de son plonger dans cette atmosphère très datée). En France, les spectateurs se passionnent pour le couple Harvey - Henri Garat, tandis qu’en Allemagne où personne ne connaît Garat, les spectateurs se demandent si Willy Fritsch va l’épouser. En réalité, Lilian est amoureuse de Paul Martin, un technicien qui grâce à elle deviendra réalisateur (pour entamer une longue carrière dans la comédie musicale). Il signe le rêve blond (1932) un autre gros succès populaire (peut être encore plus démodé que les autres films déjà cités).




Hollywood a toujours été intéressé par les artistes qui remportaient de gros succès à l’étranger et la Fox ne tarde pas à faire des propositions à Lilian qui les accepte volontiers :En 1933, l’Allemagne bascule dans le nazisme et comme beaucoup d’autres artistes, Lilian quitte l’Allemagne pour les USA (avec Paul Martin dans ses bagages). Néanmoins, les premiers films qu’elle y tourne sont si mauvais qu’ils sont fraîchement accueillis par le public. Le quatrième « Suzanne, c’est moi »1934 qui conte l’histoire d’amour d’une chanteuse pour un marionnettiste comporte certaines scènes qui font penser au futur Lili avec Leslie Caron. Alors que ce film commence en fin à remporter un certain succès, Lilian claque la porte des studios Fox : le rôle qu’on lui propose dans « George White Scandals » lui parait trop mince. Regrettable décision : une chanteuse de radio, Alice Faye, la remplace et devient une star du jour au lendemain.





En réalité, Lilian n’a qu’une idée : suivre son compagnon Paul Martin, désireux de rentrer en Allemagne après l’échec du film qu’il vient de réaliser. C’est ainsi qu’en 1935, après un film tourné en Grande Bretagne, Lilian Harvey fait son retour dans une Allemagne qui a bien changé depuis son départ. Le pouvoir nazi et en particulier Goebbels, chargé de la propagande, supervisent l’ensemble des productions cinématographiques. Roses noires (1935), sur une musique de Sibelius, sera le dernier film de la UFA tourné en 3 versions (allemandes, française et anglaises). Les gais lurons (1936), une comédie policière trépidante dont le style s’apparente aux screwballs comédies américaines est vraiment réussie. On retiendra des 7 gifles (1937) la chanson « ich tanze mit dir », un succès durable en Allemagne, que l’on entend encore dans les shows télé outre Rhin. Dans son journal, avec sa dureté et son cynisme habituel, Goebbels note que Lilian Harvey (31 ans seulement !) est à présent vieille et que sa carrière est sur la fin. Il est vrai que Lilian ressemble déjà à une fleur fanée et qu’elle semble avoir perdu tout son entrain dans ses derniers films. Peut être l’actrice ressentait elle dans quel piège elle était tombée et regrettait elle amèrement d’avoir tourné le dos à Hollywood pour un homme qui en fait menait une double vie et le trompait depuis des années. Pour avoir aidé quelques amis juifs à quitter le pays, elle commence à être inquiétée par la Gestapo. Enfin, sa cote de popularité est en chute libre.

En 1939, Lilian quitte l’Allemagne pour la France où elle finance elle-même les films qui seront les derniers de sa carrière : Sérénade (1939) avec Louis Jouvet (qui a vu ce film ?) et Miquette (1940) avec Daniel Gélin. Hélas, Miquette sort quelques jours avant l’arrivée des allemands en France et la débâcle qui a suivi. Lilian, qui a soutenu les troupes françaises pendant la drôle de guerre, se sauve alors dans le sud de la France, puis la Suisse avant d’arriver à gagner les USA via le Portugal en 1941. A Hollywood, on lui propose des petits rôles d’espionne nazie qu’elle refuse afin d’éviter tout amalgame. Bette Davis refuse qu’elle apparaisse en guest star dans « Remerciez votre bonne étoile ». On lui reproche à la fois d’avoir quitté brutalement les studios américains en 1934 et d’avoir joué dans des films allemands de 1935 à 1939(la photo où Lilian souriante pose à coté d’Hitler lors d’une soirée de 1936 lui a t’elle porté tort ?). Après avoir travaillé bénévolement comme infirmière pour la croix rouge, Lilian participe à des tournées théâtrales (blithe spirit de Noël Coward). Après guerre, elle ne parvient pas à retrouver le succès en Europe. Elle se produit sur scène avec Laurel et Hardy et Henri Garat, au bout du rouleau comme elle. Réfugiée dans ses souvenirs, elle sombre dans l’alcool et la dépression. Elle parvient néanmoins à être dédommagée pour la perte de l’immense propriété qu’elle avait acheté en Hongrie à la fin des années 30, et que les nazis avaient confisqué. De nouveau très riche, elle épouse un agent de change, amateur de casinos et de jeunes femmes et divorce peu après. Else–Pitty Wirth sera la compagne de ses derniers jours. Certains biographes se sont demandés si cette femme était réellement amoureuse de Lilian ou si elle avait profité de la détresse d’une star déchue et alcoolique pour utiliser sa fortune. Lilian est décédée d’une jaunisse en 1968.Cette vedette qui avait été si populaire avant guerre et dont nos arrières grands parents raffolaient, n’est plus du tout évoquée de nos jours. Pourtant son nom reste familier, malgré tout, sans qu’on sache trop qui elle était et dans quel film elle a tourné, comme s’il subsistait malgré tout encore un peu de lumière de la brillante étoile qu’elle fut. On se replonge avec plaisir dans ses vieux films, comme si l’on regardait les photos jaunies d’un très vieil album de famille, à condition d’avoir un goût certain pour ce qui est désuet.











3 commentaires:

  1. Bonjour, quel bel article sur Lilian Harvey. Je souhaitais peaufiner un détail: Le remplacement de Lilian par Alice Faye sur George White's Scandal n'est pas dû au hasard mais au fait qu'Alice avait mené la revue au succès à Broadway et que cette américaine pure souche soit privée de son rôle au cinéma à la faveur d'une Allemande (alors que personne n'avait oublié la guerre encore si proche) avait provoqué pas mal de remous. Y compris dans le reste de la distribution du film, Rudy Vallée en tête.
    Celine (la saga des Etoiles Filantes)

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    1. Lilian Harvey was not regarded as a German by Hollywood at that time, because she was in fact English. She quit the film in a pique. Alice Faye confirmed this in interviews and always credited Harvey's departure for making her a star.

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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