vendredi 10 avril 2009

Jeanette MacDonald, le papillon de fer




Rares furent les vedettes de comédies musicales aussi aimées que la chanteuse d’opérette Jeanette MacDonald. Sa popularité en France fut immense, notamment en raison de sa participation à plusieurs comédies aux cotés de Maurice Chevalier, le chouchou des spectateurs des années 30 et de l’engouement du public pour les opérettes romantiques comme Rose-Marie. Pourtant quand on revoit ses films avec le recul, sa voix grinçante et aigüe de bigote n’a rien pour charmer les oreilles, surtout quand elle a le culot de s’attaquer à de grands airs d’opéra. En revanche, on peut toujours apprécier son talent de comédienne et sa présence indéniable, particulièrement mis en valeur dans les films de Lubitsch mais également dans certaines des opérettes qu’elle a tourné ensuite pour la MGM, et dont certaines méritent vraiment d’être redécouvertes car elles sont loin d’être aussi mièvres qu’on pourrait l’imaginer.

Née en 1901, dans une famille de petits commerçants, Jeanette prend très tôt des cours de chant et suit les traces de sa sœur ainée Blossom (qui fera une petite carrière à la MGM sous le pseudo de Mary Blake), dans des revues new yorkaises. De simple girl, elle devient chanteuse puis vedette d’une série de spectacle (même si sa renommée n’atteindra jamais sur scène le statut d’une Marilyn Miller).
Dès l’arrivée du parlant, les grands studios se mettent en quête d’acteurs de théâtre qui pourront sans mal affronter les nouvelles conditions de tournage. Jeanette tourne un bout d’essai aux cotés de Richard Dix dès 1928, mais ses producteurs de Broadway refusent de la laisser partir pour Hollywood. Ce n’est que l’année suivante que le grand Ernst Lubitsch, roi de la comédie légère, à la recherche d’une reine pour son film la parade d’amour tombe sur l’essai qui le séduit immédiatement. L’actrice est embauchée sur le champ pour donner la réplique à Maurice Chevalier dans cette délicieuse farce sophistiquée, un brin coquine. Elle y chante la marche des grenadiers qui remporte un gros succès commercial, aux USA et chez nous.

Après une opérette filmée en technicolor bichrome « le roi des vagabonds », et un sketch dans Paramount en parade (1930) qui curieusement ne sera conservé que dans la version espagnole, Jeanette retrouve Lubitsch dans l’opérette Monte Carlo où son charme subtil et son regard pétillant font merveille, et éclipsent l’acteur anglais Jack Buchanan. Lubitsch, amoureux de la comédienne, sait comme nul autre la mettre en valeur, dans ses comédies légères finement ciselées. Cependant, hormis la chanson « beyond the blue horizon », le film ne rencontrera pas un grand succès, le public étant alors rassasié des innombrables musicals tournés à la va-vite à l’arrivée du parlant.

Il lui faut alors rebondir et son manager-amant Bob Ritchie (qui fut ensuite le chevalier servant de nombreuses stars d'Hollywood de Grace Moore à Dorothy Lamour) a plus d’un tour dans son sac pour faire parler de Jeanette ; A-t-il inventé de toutes pièces la rumeur de l’accident de voiture à Bruges de MacDonald, assassinée par une rivale jalouse de sa prétendue liaison avec un prince italien ? En tous les cas, cette histoire délirante fera la une des journaux français, et l’actrice se sentira obligée de venir à Paris pour prouver qu’elle est toujours en vie (on racontait même que sa sœur avait été obligée de la remplacer dans Don’t bet on women ) et qu’il ne s’agissait que de mensonges.

L’actrice déjà très aimée du public français pour son film aux cotés de Chevalier, l’enfant du pays, est accueillie avec la même ferveur que Lindbergh, et fait un tabac au théâtre de l’Empire puis à Londres.
Après ce triomphe continental, c’est la tête haute que Jeanette rejoint la Paramount où Lubitsch lui confie deux autres superbes rôles aux cotés de Chevalier, Une heure près de vous(1932) de Lubitsch et Cukor, tourné en versions anglaise et française et le sublime Aimez moi ce soir de Rouben Mamoulian, un modèle de cohérence pour un film musical. Rarement, on aura réussi la symbiose de l’intrigue et de la musique avec autant d’habileté. Et tant pis si les trilles de Jeanette nous emblent un peu pénibles et stridentes, 70 ans après, son jeu tout en finesse séduit toujours.

En 1933, Jeanette Mac Donald quitte la Paramount pour la MGM, la firme dirigée par Louis B Mayer, complètement séduit par les vocalises de l’artiste (des mauvaises langues et notamment un livre paru dans les années 70 parleront même d’une liaison entre le mogol et la divette). Après le médiocre chat et le violon avec l’ex star du muet Ramon Novarro (dont on retiendra seulement la séquence finale, en technicolor, qui révèle la chevelure rousse de la chanteuse), Jeanette retrouve Lubitsch et Chevalier dans la luxueuse et célèbre adaptation de l’opérette de Franz Lehár, la veuve joyeuse (en fait, la cantatrice Grace Moore avait été initialement pressentie mais pour des problèmes d’égo refusera de figurer après Chevalier sur l’affiche). C’est une comédie délicieuse et un peu irrévérencieuse où la Lubitsch touch fait des miracles : un vrai régal.

Après ce petit bijou, Mayer, rassuré par le triomphe des films de Grace Moore pour la firme Columbia, entame le tournage de toute une série d’opérettes dans lesquelles le ténor Nelson Eddy lui donne la réplique. Le public américain va immédiatement s’enticher du nouveau couple et leur réserver un accueil qui confère à l’hystérie. Il existe encore d’ailleurs des fanzines publiés par des accros qui essaient encore de se persuader que Jeanette et Nelson s’aimaient aussi hors de l’écran : ce qui est peu vraisemblable, Nelson Eddy était gay et Mac Donald avait épousé en 1937 l’acteur Gene Raymond(au grand désespoir des fans du couple de la MGM). En outre, Jeanette le trouvait stupide et certaines sources racontent qu’elle s’arrangeait toujours pour le ridiculiser à l’écran et qu’elle suppliait Meyer pour obtenir un autre partenaire (elle eut gain de cause pour l’Espionne de Castille). Apparemment, le public ne s’en rendait pas compte et fit un triomphe à la fugue de Mariette (1935), Rose Marie (1936) et au chant du printemps (1938)(à tel point que ces films bénéficièrent d’une ressortie dans les années 50).

A la lecture de certaines encyclopédies, on a l’impression que Jeanette a joué ses meilleures cartes à la Paramount avec Lubitsch et Mamoulian et qu’elle s’est enlisée ensuite à la MGM dans une mélasse d’opérettes culcul et populaires. Ce jugement mérite d’être révisé. En effet, autant certains films rediffusés par TCM comme Amants (1938, en technicolor) ou Emporte moi mon amour (1939) m’ont paru insupportables, la fugue de Mariette(1935) est un film passionnant, au rythme haletant bâti sur un scénario solide(dire que je l’avais laissé dormir pendant des années dans ma vidéothèque, en pensant que c’était un navet) . Nelson Eddy est loin d’y être fadasse et ridicule et vocalement Jeanette assure mieux qu’ailleurs (je pense à la note finale de la chanson italian street song) .

J’ai également adoré l’Espionne de Castille (1937), film d’aventures situé sous l’ère napoléonienne, où Jeanette est éblouissante et magnétique. Jamais elle n’a été aussi belle et surprenante (pas même chez Lubitsch). Déguisée en bohémienne, elle danse à pour séduire le chef des armées avec beaucoup de souplesse, de rythme et de sensualité. Les très bonnes chansons (sérénade à la mule, sympathie) seront des tubes en France.
De cette période MGM, on retient surtout San Francisco (1936), film catastrophe à grand spectacle, qui fit d’elle la plus populaire actrice du moment. Pourtant, je n’ai guère été enthousiasmé par sa prestation dans ce célèbre film et encore moins par son approximative interprétation de quelques airs d’opéra (elle est un peu meilleure dans la chanson titre qui aurait de toute façon mieux convenu à une Ethel Merman). Avec le recul, on ne peut s’empêcher de penser à la mordante parodie qu’en fit Judy Garland dans sa reprise de l’air principal du film, avec ce préambule : « je n’oublierais jamais comment cette brave Jeanette Mac Donald, au milieu des ruines, chan-an-an-an-teeeee… ».

Entièrement en couleurs! au moins, on en a pour son argent!

Jusqu’au milieu de la guerre, Jeanette va continuer de paraître dans des opérettes filmées (l’île des amours, chante mon amour). Celle que l’on surnomme le papillon de fer veille de près au tournage de chacun de ses films, y compris à l’aspect technique afin d’y être constamment mise en valeur. Elle s’oppose néanmoins souvent à Meyer qui privilégie la rapidité et le coté commercial, et lui refusera sa demande de se doubler systématiquement pour les versions françaises, car cela prenait trop de temps (en plus, on a parfois du mal à comprendre ce qu’elle baragouine quand elle s’essaie à langue de Molière) . En 1942, J’ai épousé un ange, tentative ratée d’opérette satyrique et moderne, ne remporte pas le succès escompté. La MGM dans un grand mouvement de rajeunissement du staff (Shearer, Garbo et Crawford seront évincées en même temps), ne renouvèle pas son contrat : ses films son trop chers, et la fermeture du marché européen prive la MGM d’un public potentiel. Même sa grande « amitié » pour Meyer ne lui sera d’aucun secours.

Avec son mari Gene Raymond dans chagrin d’amour (1941)

Qu’à cela ne tienne, Mac Donald veut profiter de ce hiatus cinématographique pour tenter enfin de se produire à l’opéra, ce qui peut sembler courageux quand on écoute les interprétations qu’elle en fait dans San Francisco et ses autres films.
Curieusement, malgré la réticence des professionnels, Mac Donald remportera des critiques très encourageantes lors de ses prestations dans Faust et Roméo et Juliette en 1943 et 1944(avait-elle fait de gros progrès ?). Elle consacre aussi beaucoup de son temps pour soutenir le moral des Gis et participe au film « Hollywood parade »(à la même époque, on avance que Lubitsch envisage de tourner avec elle une adaptation du cavalier à la rose, mais le projet restera lettre morte.

En 1947, Jeanette revient à la MGM, dans l’équipe du producteur Pasternak, le découvreur de Deanna Durbin, spécialiste du musical mêlant variété et classique. Cupidon mène la danse est un petit musical sympa et inoffensif, remake de Three smart girls, qui pourtant connaîtra bien des soucis auprès des censeurs jugeant que le film donne une trop bonne image d’un divorce ! En tous les cas, Jeanette y est resplendissante voire plus belle que jamais en gentille maman (le technicolor lui sied à ravir). Pourtant la MGM lui inflige ensuite de partager la vedette avec la chienne Lassie dans Lassie perd et gagne. Décidemment, cette firme ne respectait guère ses grands comédiens. Après cette série B, Mac Donald quitte l’écran.


Dans les années 50, on l’aperçoit de temps à autres à la télévision dans des émissions de musique classique et parfois dans des cabarets . En 1957, le succès d’un 33 tours enregistré en HIFI où elle reprend en stéréo ses vieux tubes avec Nelson Eddy plus the breeze and i le récent succès de Caterina Valente étonne la profession et prouve qu'elle est encore "bankable". Hélas la santé déclinante de Jeanette (graves problèmes cardiaques) ne lui permettra pas de faire un grand come back à l’écran (elle avait été pressentie pour tenir le rôle de la comtesse dans la mélodie du bonheur). Celle qu’on surnommait le papillon de fer en raison de son perfectionnisme et de sa volonté inébranlable s’éteint en 1965.
Pendant longtemps aux USA, la rediffusion à la télé, dans des programmes spécialisés a continué à attirer beaucoup d’admirateurs et des clubs de fans sont encore actifs de nos jours (du moins, il y a 3 ans à Londres, j’avais aperçu un fanzine mensuel consacré à la star. J’imagine pourtant qu’elle doit fédérer plutôt un public très âgé ; en tout état de cause, si sa façon de chanter a extrêmement vieilli, son sens de la comédie dans les chefs d’oeuvre de Lubitsch mais aussi dans certaines des opérettes MGM n’a pas pris une ride.

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