vendredi 27 mars 2009

Anna Neagle entre fantaisies musicales et biographies historiques






En 2007 est sorti en Angleterre un DVDBox consacré à Anna Neagle, l'actrice britannique la plus populaire de l’après guerre. L’occasion pour beaucoup de (re)découvrir une gracieuse comédienne qui s’est illustrée dans deux styles tout à fait différents : la comédie musicale et la biographie historique, avec plus ou moins de bonheur, mais toujours sous la direction un peu pesante de son compagnon puis mari Herbert Wilcox. Un cas assez rare dans les anales du cinéma de collaboration à long terme, car à de rares exceptions près, Wilcox n’a tourné qu’avec Miss Neagle.

Née en 1904, Anna Neagle est apparue sur scène et dans plusieurs revues avant d’entamer au début des années 30 une carrière à l’écran, déjà sous la direction d’Herbert Wilcox. Goodnight Vienna, son premier film important est une comédie plutôt inconsistante mais regardable, où le sémillant Jack Buchanan, l’acteur britannique le plus aimé des années 30 tient le rôle de son chevalier servant. Le coté suranné et extrêmement démodé confère un certain charme à cette production. Très vite les relations entre le réalisateur, pourtant marié et l’actrice prennent une tournure personnelle (ils ne se marieront qu’en 1943 après le divorce de Wilcox), et l’actrice se voit attribuée d’office le premier rôle de tous les films qu’il met en scène.

Si la petite demoiselle (1933) choque en raison de la robe transparente portée par l’actrice et la première version de l’opérette de Noël Coward « Bitter sweet » n’a rien de remarquable, le succès remporté par Nell Gwynn (1934), biographie romancée de la maîtresse du roi Charles II, va fermement installer et pour longtemps Anna Neagle dans la liste des acteurs préférés des britanniques. Pour être exploité aux USA et obtenir son visa de censure, sans heurter le code Hays, les producteurs demanderont qu’une scène supplémentaire soit rajoutée montrant le mariage entre le roi et Nell Gwyn et que les passages où Anna porte un décolleté trop plongeant soient coupés. Devant le refus de Wilcox de travestir ainsi la réalité historique, le film ne sera exploité outre Atlantique que dans des petits réseaux, avec une scène rajoutée, jouée par une doublure, où Nell Gwynn la pécheresse périt dans le ruisseau avec cette sentence finale « elle a vécu comme elle a voulu, elle est morte comme elle le méritait ».La morale(?) est sauve.

Après quelques comédies musicales, inédites chez nous, où les talents de danseuse d’Anna rattrapent largement une voix ténue et haut perchée, un peu bigote, le couple Wilcox-Neagle s’attaque à la biographie de la Reine Victoria, encore très présente dans les mémoires au Royaume Uni. Ce film assez pompeux remportera un énorme succès commercial, non seulement en Angleterre mais aussi en Europe et aux USA. Le public sera particulièrement sensible aux efforts accomplis par Anna pour ressembler physiquement à la célèbre souveraine, de sa jeunesse à la fin de sa vie. Les critiques seront un peu moins élogieuses et certains compareront Anna a un élégant automate sur roulettes venu faire son numéro. Comme suite au succès inattendu du film aux USA, la firme RKO signera avec le couple Wilcox-Neagle un contrat pour sortir leurs productions suivantes aux USA. Afin de battre le fer tant qu’il est chaud, on aura droit à une suite (60 années glorieuses) l’année suivante, avec d’autres épisodes de la vie de la Reine Victoria, et en technicolor (pas tout à fait au point). Pendant la guerre, les deux films seront remontés et coupés afin de n’en faire qu’un : A chaque fois ce sera un succès, le public ne semblant pas rassasié !

En 1939, Anna entame une longue série de films à la gloire de grandes dames courageuses en incarnant Edith Cavell, infirmière et espionne britannique exécutée par les allemands pendant la première guerre mondiale (il semble que Piaf lui doive son prénom). Anna y fournit une prestation convaincante, quoique assez froide. Le coté anti-germanique fera le succès du film à une époque où les cinéastes anglais et américains restaient encore très prudents et réservés dans leurs relations avec l’Allemagne. En 1940, Anna et Herbert se rendent aux USA, pour le tournage de 3 comédies musicales, dans les studios même où Fred Astaire et Ginger Rogers ont écrit les plus belles pages de la comédie musicale : C’est sûr Anna Neagle ne risque pas de les faire oublier ni de les égaler !

Irène (1940).comédie plutôt ennuyeuse sera pourtant un joli succès commercial, ce qui montre à quel point le public avait besoin de se divertir. Dans un joli passage, on y voit Anna danser seule dans un jardin, avec infiniment de grâce et d’élégance. l’utilisation du ralenti permet de donner plus de lyrisme à la séquence.. et sera du coup utilisé à maintes reprises dans les autres films musicaux de Wilcox. Le meilleur du lot est probablement « Mardi gras »1941, charmante comédie qui offre à Anna un très beau numéro avec Ray Bolger, où la star tourbillonne avec légèreté dans une robe blanche vaporeuse avant de se livre à un numéro d’équilibriste sur un cheval. L’adaptation filmée de l’opérette No no Nanette est en revanche bien piteuse : le fait d’avoir retiré ou tronqué presque toutes les chansons rend le film particulièrement creux. Après cet échec, le couple Wilcox prend la courageuse décision de retourner en Angleterre en pleine guerre, geste qui sera infiniment apprécié par les Britanniques.

Grosvenor square (1944) qui raconte la passion d’une jeune anglaise pour un GI en permission à Londres qui perd la vie dans un crash est un film didactique très visiblement destiné à rendre un coup de chapeau aux américains venus épauler la Grande Bretagne pour lutter contre l’Allemagne. On en dégage quelques bons moments, avec des détails de l’époque qui sonnent vrais, ce qui donne à l’ensemble un côté documentaire. Anna Neagle perdue entre son fiancé (Rex Harrison) et le jeune américain qu’elle a rencontré donne une de ses meilleures performances.
Après la libération, le couple Wilcox-Neagle va enchaîner une série de comédies très british ou plus précisément très londoniennes avec des titres fleurant bon l’exotisme comme Maytime in Mayfair ou l’incident de Piccadilly. Rien de bien palpitant, dans ces films un peu guindés et affreusement démodés : pourtant les anglais se précipiteront dans les salles pour se changer les idées et y admirer Anna, au sommet de sa gloire, et Michael Wilding, qui partage très souvent l’affiche avec elle : Un couple de cinéma adulé par les anglais, pour des raisons qui m’échappent, je dois l’avouer.

Après cette parenthèse d’après-guerre , c’est le retour aux biographies « historiques ». Après Edith Cavell, Anna incarne Odette(1950), résistante française torturée par les nazis. (Celle-ci a d’ailleurs supervisé personnellement le tournage : il en ressort une œuvre assez étonnante et authentique, de loin le meilleur film du couple Neagle-Wilcox), puis Florence Nightingale (1951), missionnaire. (A noter qu’Odette ressort en DVD en décembre).
Au milieu des années 50, Herbert Wilcox signe un contrat avec le célèbre Errol Flynn pour deux comédies musicales avec Anna : cela dit, la star américaine, alcoolique invétéré est alors en situation délicate à Hollywood et on imagine qu’il était prêt à signer n’importe quel contrat contre quelques bouteilles de whisky. En effet, quelle curieuse d’idée d’associer la lady un peu guindée des bio historiques et des opérettes légères à l’interprète de Robin des bois ! Si Lilacs in springtime comporte quelques jolies séquences de danse pour Anna, idylle royale à Monte Carlo est soporifique et franchement nul .

A la fin des années 50, le couple Wilcox tente d’imposer à l’écran le crooner Frankie Vaughan en produisant plusieurs films avec lui : dans le dernier en 1959, il partage la vedette avec Anna. En dépit de la grande popularité du chanteur au Royaume Uni, les films (ringardises en noir et blanc) seront tous des échecs et mettront un point final à la carrière cinématographique du couple Wilcox-Neagle. En faillite et aux abois, Anna Neagle n’a pas d’autres choix que remonter sur scène, pour éponger les dettes du couple. Pendant plusieurs années, elle chante et danse dans le musical « Charlie Girl », et figure même sur le guinness des records pour le nombre de représentations qu’elle a assuré pendant 7 années consécutives.
Dans les années 70-80, on a revu sporadiquement à la TV (Histoires extraordinaires) celle qui a été nommée au rang de dame par la Reine d’Angleterre, en hommage à sa prestigieuse carrière. Elle décède en 1986 après une longue bataille contre la maladie de Parkinson.

Une artiste jadis très aimée en Angleterre et pourtant presque complètement oubliée : le fait d’avoir tourné pour un seul réalisateur, un peu trop conventionnel, l’a finalement certainement handicapée. Rien de bien mémorable et encore moins novateur dans la filmographie du couple. Reste néanmoins le charme délicat d’une actrice à la présence indéniable.

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