samedi 14 mars 2009

Joséphine Baker, la vénus d'ébène



Quel incroyable parcours que celui de Joséphine Baker! Non seulement, ce fut une artiste de talent qui a révolutionné en son temps la variété et le music hall français (à défaut de triompher sur le grand écran), en imposant une nouvelle image de la femme, sensuelle et libérée, mais encore plus admirable demeurent ses combats contre le le racisme et le nazisme (elle fut une résistante émérite pendant la guerre)
Un véritable mythe qui continue à inspirer 100 ans après sa naissance des romans et des téléfilms.

Joséphine Baker est née en 1906 à Saint Louis dans le Missouri, état raciste du sud des USA, dans une misère extrême. Après avoir travaillé comme bonne dès l’âge de 8 ans, elle quitte l’école et sa famille pour gagner sa vie comme serveuse, et se marie à l’âge de 13 ans avec un ouvrier très violent. A peine divorcée (à 15 ans !), elle se remarie. Après divers petits boulots peu valorisants, elle remporte plusieurs concours de danse qui vont lui permettre d’entrer comme chorus girl dans divers spectacles de Broadway.
Souvent rejetée par les directeurs de théâtre qui lui reprochent de danser comme un singe et ne pas être assez jolie, elle finit à force de persévérance, par se faire remarquer et ne tarde pas à être engagée comme vedette dans une revue à succès entièrement composée d’artistes blacks.

En 1925, elle est sélectionnée pour jouer à Paris dans la revue nègre où elle fait scandale et sensation, en dansant furieusement le charleston, les seins nus et la taille entourée d’un régime de bananes. Le public parisien est subjugué à plus d’un titre : le jazz était encore peu répandu en France, et le dynamisme des rythmes américains tranche furieusement avec les valses musette et rengaines des faubourgs qui constituaient alors le dénominateur commun la variété française. Le charleston, danse créé par les noirs en Caroline du Sud, va faire fureur dans tout le pays et envahir tous les dancings.

La jeune femme fascine et choque car elle est hors normes, à la fois loufoque et sensuelle ; : elle danse presque nue, gesticule en louchant. Elle devient immédiatement l’égérie des cubistes et autres artistes peintre d’avant-garde(Rouault, Calder, Léger, Van Dongen, Henri Laurens, Picasso) et des intellectuels (Hemingway, Colette, Erich Maria Remarque) enthousiasmés par son style et son physique. D’autres la détestent et la jugent vulgaire. Bref, elle ne laisse personne indifférent et devient la coqueluche de Paris. Si la revue nègre va constituer un formidable tremplin pour Joséphine, on peut néanmoins constater qu’il s’agit d’un spectacle colonialiste qui présente les blacks comme des sauvages avec tous les clichés du genre et Joséphine comme une indigène.

Après ce triomphe, Joséphine est engagée comme meneuse de revue aux Folies Bergères, où peaufinant son personnage exotique, elle s’exhibe avec un léopard. A la même époque, elle se lance dans la chanson : d’abord des standards du jazz chantés en anglais, puis un répertoire conçu spécialement pour elle par les plus grands compositeurs français. Vincent Scotto, le roi de l’opérette marseillaise, dont elle reprend la petite tonkinoise, lui compose sur mesure « j’ai 2 amours » qui devient d’emblée son plus grand succès et un des plus gros tube des années 30. Les paroles en disent long sur la façon dont Joséphine est perçue en France. Jamais comme une américaine, mais plutôt comme une fille des tropiques : « Ma savane est belle » chantonne-t’elle de sa voix aiguë et perlée.

Entourée de boys, vêtue de somptueuses robes de soie blanche, Joséphine se mue en élégante sirène, très sophistiquée, qui triomphe dans tous les grands cabarets parisiens et dans une tournée dans toutes les grandes villes d’Europe. On copie son look de garçonne, et notamment sa coupe de cheveux très courte avec les mèches bien plaquées par de la brillantine : en fait, elle participe bel et bien à l’émancipation de la femme en plein essor à la fin des années 20. D’ailleurs à Paris, Joséphine se sent libérée de l’oppression qu’elle ressentait dans le sud des USA, où les blacks étaient traités de façon inhumaine. Libre et impulsive, elle multiplie les histoires d’amour à un rythme effréné (parmi ses chevaliers servant : Maurice Chevalier, Jacques Pills, Georges Simenon et plus improbable mais pas impossible Greta Garbo) .

Très vite les cinéastes, charmés par la nouvelle star, lui offrent quelques rôles à l’écran. D’abord des courts métrages avec des extraits de ses revues, puis des films comme la sirène des tropiques (1927) un muet, dans lequel elle incarne une jeune fille des tropiques se métamorphosant en une élégante mondaine parisienne : un fort mauvais film, que l’artiste détestait, et dont les scènes de jungle ont été tournées dans la forêt de Fontainebleau.
En revanche, Joséphine garde un bon souvenir de Zouzou (1934) avec Jean Gabin et de Princesse Tam Tam (1935).
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Autant le dire, Joséphine Baker n’est pas une grande comédienne, et ces différentes productions valent surtout pour leurs chansons et leurs grands numéros musicaux, qui nous permettent d’imaginer les revues qui faisaient le succès de la star. Dans Zouzou, elle se balance dans une grande cage, le corps couvert de plumes (comme Jessie Matthews dans Victor Victoria : qui a copié sur l’autre ?)et chante un joli blues avec beaucoup de feeling : il n’y a qu’un homme dans Paris, c’est lui.
Si Joséphine détient la tête d’affiche (aucune femme noire n’y avait droit à la même époque aux USA), en revanche, on remarque que les scenarii ne lui réservent jamais une histoire d’amour avec la vedette masculine. Tout juste lui permet on de passer du statut de domestique à celui de star, mais une romance avec le héros blanc du film, que nenni.

En fait si la France est devenue pour Joséphine Baker une terre d’asile où on la traite avec égard et respect (par rapport à la honteuse ségrégation qui sévissait aux USA à la même époque, y compris dans les music halls), il serait vraiment trop rapide et faux de prétendre que le racisme était absent, et que la star était parfaitement à l’aise chez nous. Parmi les blagues des chansonniers des années 30, en voici une pas très subtile : : « pourquoi Maurice Chevalier a t’il quitté Joséphine ? Car elle lui donnait des idées noires ».
A l’époque où une célèbre comptine chantait les rêves d’ « une négresse qui buvait du lait, et souhaitait devenir plus blanche que tous les français », Joséphine fredonne elle aussi « si j’étais blanche » et tente de s'éclaircir le teint à l’aide de lotions à base d’eau de javel (comme plus tard Michael Jackson)
En 1936, Joséphine fait son retour aux USA, sur la scène des Ziegfeld Follies, et ne parvient pas du tout à convaincre le public américain qui se demande vraiment comment les français ont pu s’enticher de cette femme qu’ils trouvent laide et sans talent.

De retour à Paris, Joséphine acquiert la nationalité française. Elle tourne encore un film, Fausse alerte, avec la toute jeune Micheline Presle, qui en raison de la débâcle, ne sera monté et distribué qu’à la libération (ce long métrage ne semble avoir laissé aucun souvenir ). Dès le début de la guerre, alors que la majeure partie des artistes français continue leur carrière tranquillement, en bonne relation avec l’occupant, Joséphine Baker va activement participer à la résistance et au contre espionnage, sous les ordres du capitaine Jacques Abtey. Elle se rend au Maroc et s’acquitte de plusieurs missions dangereuses (en utilisant notamment ses partitions pour dissimuler des messages) tout en travaillant comme infirmière pour la croix rouge. Ses activités de résistante ainsi que les spectacles donnés pendant la guerre et à la libération pour les soldats et les résistants lui vaudront la légion d’honneur en 1957. Le moins qu’on puisse dire est que contrairement à d’autres stars qui ont pris beaucoup moins de risques qu’elle, Joséphine n’a pas cherché à la fin du conflit à tirer une gloire personnelle de ses activités patriotiques.

Remariée avec le chef d’orchestre Jo Bouillon, Joséphine qui a toujours beaucoup souffert du racisme décide de mettre en œuvre un incroyable projet : elle fonde la tribu arc-en-ciel en adoptant de nombreux enfants de nationalités et origines différentes et en les accueillant dans sa propriété des Milandes en Dordogne. (au passage, la façon pas toujours légale dont elle va se procurer certains enfants sera très critiquée comme pour Madonna aujourd’hui) et en ne reculant devant aucune dépense. De nombreux domestiques sont employés pour élever l’abondante progéniture. L’endroit devient du coup une destination touristique qui dans les années 60, attire plus de visiteurs que les grottes de Lascaux (300 000 visiteurs par an)! Néanmoins, cette opération symbolique et très généreuse va apporter son lot de soucis (flirts entre les enfants devenus grands !, disputes perpétuelles du couple Baker/Bouillon, dépenses somptuaires) et se révéler surtout un vrai gouffre financier que les galas donnés dans le monde entier, les disques et les courtes apparitions en guest star dans des comédies musicales allemandes ou italiennes ne parviennent pas à éponger.

En 1963, Brigitte Bardot lance un appel désespéré à la télévision pour tenter de sauver les Milandes et Joséphine de la banqueroute, mais ce sera peine perdue. Ruinée, l’artiste et les enfants sont contraints de quitter la propriété pour être hébergés gracieusement dans des logements appartenant à son amie la princesse de Monaco.

Par ailleurs, Joséphine continue activement à lutter contre le racisme, en participant en 1963 à la marche organisée par Martin Luter King. Femme de cœur, à la fois excessive et impulsive, et très contradictoire, Joséphine a toutefois commis quelques erreurs de parcours de taille en soutenant à l’occasion des dictateurs comme Mussolini et Juan Peron (ce qui a failli lui fermer à jamais les portes des USA). Mais on peut gommer ces quelques dérapages, tant globalement son action s’est révélée positive et louable.
A la force du poignée, elle est parvenue à séduire un public américain d’abord hostile qui finit par succomber au charme de la diva. A Miami, elle force les producteurs du show à accueillir un public mixte sous peine d’annuler le spectacle. Affublée de robes clinquantes et de paillettes, ultra maquillée, la star a du mal à cacher les outrages du temps et d’énormes cernes et pourtant, sur un plan technique, elle chante beaucoup mieux qu’avant guerre, et entonne d'une voix plus assurée des airs exotiques (besame mucho) ou des classiques de la chanson de charme (la vie en rose, sur deux notes).

Usée par la fatigue et de gros problèmes cardiaques, mais minée par les problèmes d’argent, Joséphine Baker est bien obligée de se produire à Bobino en 1975. Enveloppée dans des plumes et autres falbalas incongrus sur une femme de son âge (même le micro est serti de strass), la star parvient une dernière fois à emballer son public. Epuisée, elle décède le lendemain. La grande Joséphine aura droit à des funérailles nationales télévisées.
Après quelques années d’oubli relatif, plusieurs ouvrages relatant l’incroyable parcours de la star, et ses combats contre le racisme et le nazisme ont fortement ravivé son mythe. Si bien que plus de 100 ans après sa naissance, elle demeure une star d’une grande magnitude : on lui rend hommage en chansons, on lui consacre des comédies musicales, les publicitaires et les créateurs de mode ne cessent de s’inspirer d’elle pour leurs défilés, on a même donné son nom à la première piscine flottante parisienne pas de loin de mon lieu de travail. (D’ailleurs, je ferais bien d’y aller de temps en temps le midi pour remédier à mes problèmes dorsaux !) afin de rendre hommage à cette« grande artiste, grande résistante et femme magnifique ». Mais pourquoi une piscine ? Une site internet a trouvé un curieux raccourci : pour que les femmes puissent jouir seins nus du solarium comme Joséphine !
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2 commentaires:

  1. C'est une grand honneur pour la France d'avoir su aimer la grande prêtresse du Music-hall, la merveilleuse artiste, la femme admirable, la véritable star des stars. Son album de 1931, en américain, reste un bijou absolu capable d'adoucir un fauve. Morte quasiment sur scène dans la tradition moliéresque, je ne peux l'écouter sans pleurer, sans maudire mon âge de n'avoir pu m'égosiller en son honneur, me faire saigner les mains en l'applaudissant sur scène.
    Nous t'aimons Joséphine, au delà du temps...

    Christian Souque

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  2. Sublime texte de Chistian Souque ! J'applaudis des deux mains et, s'il le faut, jusqu'à ce qu'elles saignent tant j'ai aimé le personnage et la voix de cette femme.

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