dimanche 8 mars 2009

Léo Marjane, la voix chaude des années sombres




De temps à autres, cette rubrique nous permet de rendre hommage aux grands noms de la variété française d’autrefois, qui se sont illustrés sporadiquement au cinéma. Aujourd’hui c’est le tour de Léo Marjane qui fut une des chanteuses les plus populaires en France pendant la seconde guerre mondiale : sa voix chaude et rauque, et son répertoire très jazzy constitué en grande part d’adaptations de standards américains ont apporté en effet un incontestable renouveau à la variété française.

Née à Boulogne-sur-mer en 1912, Léo Marjane rêve de devenir écuyère : elle va, en fait, très rapidement bifurquer vers la variété. Dès 1932, elle se produit dans plusieurs cabarets en France et à l’étranger (est-ce lors d'une tournée en Afrique du Nord qu'elle adopte le pseudonyme de Marjane qui signifie émeraude en arabe?): son style est alors très influencé par les chanteuses du moment (Lucienne Boyer, Lys Gauty) et sa voix méconnaissable (d’ailleurs aucun des disques enregistrés à l’époque n’a été réédité à ce jour). Après un long séjour aux Etats Unis, la chanteuse fait en 1937 un come-back fracassant. Influencée par les artistes de jazz américains et les crooners qu’elle a entendu à Broadway, Léo adopte à partir de ce moment une façon de chanter tout à fait différente et qui dénote complètement de ce qu’on écoutait en France à l’époque (chansons réalistes, romances populaires, gaudrioles) : d’une voix chaude et enveloppante, elle fredonne des airs blues et intimistes, comme les torch singers accoudées à un piano bar dans les films américains. Lors de l’enregistrement d’un disque au Studio Cognac Jay, elle aura l’idée d’amortir certaines syllabes en couvrant le micro de son bas de soie : un procédé si efficace qu’il sera conservé. Sa version française de « chappel in the moonlight » (que reprendra par la suite Dean Martin) est un triomphe.

Léo pioche avidement dans le répertoire des plus grands compositeurs américains : Cole Porter, Harry Warren, Irving Berlin. Elle met à son répertoire de nombreuses chansons de films : over the rainbow du Magicien d’oz, begin the begin de Broadway qui danse, twilight on the trail de la fille du bois maudit. Au cours de l’année 1941, l’occupant allemand va interdire les chansons anglo-saxonnes. Peu importe, des musiciens français comme Loulou Gasté vont continuer à bâtir des chansons sur le même modèle, avec un talent presque égal. C’est avec un slow bien français, dédié aux épouses des prisonniers, je suis seule ce soir, qu’elle remporte un des plus gros succès de cette sombre période.



En 1943, Léo Marjane débute à l’écran dans le film Feu Nicolas, une comédie complètement crétine avec le comique Rellys qui fut fort populaire à l’époque. Le moins qu’on puisse dire est que l’apparition de la chanteuse dans ce navet qui raconte les tribulations de revenants tranche avec l’ensemble : elle y chante deux superbes blues du futur mari de Line Renaud, avec une puissance et une présence remarquables. Si jusqu’à présent ses interprétations langoureuses de slows pouvaient évoquer Alice Faye, sa parfaite interprétation de la chanson Ste Madeleine la rapproche presque des grandes dames du négro spiritual. Le succès est tel que les journaux parlent déjà d'un futur film avec Léo Marjane en vedette, dont le titre serait le même qu'une de ses chansons les plus connues : Mon ange. Pendant la guerre, la vedette est si populaire qu’on la voit partout à Radio Paris et dans son joli cabaret, très fréquenté par les allemands. Très aimée par le public, elle est en revanche loin d’être appréciée par toutes ses rivales de la chanson, qui ne se faisaient guère de cadeaux. La chanteuse connaîtra comme on peut l’imaginer de gros problèmes à la libération (elle répliquera au comité d’épuration lui reprochant le nombre de spectateurs allemands, qu’elle est myope !). Interdite de scène et de disque pendant plusieurs mois, elle est vite concurrencée par de nouvelles venues (Jacqueline François, Yvette Giraud, Anny Gould) qui s’inspirent beaucoup de son style (notamment la dernière citée)et la devancent en s’accaparant les nouvelles chansons américaines.


Ses disques (notamment une superbe version de clopin clopant) n’ont plus le succès de jadis. En 1950, Léo Marjane est la tête d’affiche du film « Les deux gamines », adaptation d’un mélo, qui avait fait couler beaucoup de larmes autrefois. En fait, la chanteuse chante deux chansons puis disparaît pendant les ¾ du film (le personnage qu’elle incarne ayant disparu dans un accident d’avion). Amateurs de nanards juteux, ce film, réédité par René Château en VHS, est pour vous ! Les 2 gamines, surtout la petite Marie-France cabotinent à souhait : on oscille entre conte de fée, polar, mélo à l’eau de rose et film musical. C’est plutôt jouissif, notamment la prestation de la géniale Suzy Prim en marâtre et de Jean-Jacques Delbo. Si Léo Marjane chante bien, son jeu n’est guère convaincant, mais dans ce film rocambolesque, ce n’est pas gênant (ah, cette séquence, où rescapée par des bédouins, elle réclame « à boire » !)
Après une longue tournée en Amérique du Sud, aux USA (où elle fut très applaudie par Garbo !) et au Canada (où elle remporte un véritable triomphe), la chanteuse semble avoir retrouvé au milieu des années 50 une part de son prestige passé (plusieurs succès en 1955 dont sa version de Secret love de Doris Day et de Monsieur mon passé de Léo Ferré).On la retrouve dans un petit rôle de chanteuse des rues dans Elena et les hommes de Renoir (1956) et on l’entend chanter dans le film Ariane (1957). Si l'on se fie à une de ses interviews, elle devait jouer en 1952 dans un film à Hollywood pour Melvyn Le Roy, mais le projet n'a pas abouti. Après son mariage avec un baron et la naissance de son fils (Philippe de la Doucette, ancien directeur adjoint au cabinet d'Alain Madelin au ministère des entreprises et nommé depuis 2006 président de la commission de régulation de l'énergie par Jacques Chirac), Léo Marjane a abandonné sa carrière, pour se consacrer à sa famille et à sa première passion l’équitation dans sa propriété de Barbizon près de Fontainebleau. Après avoir envisagé un temps un éventuel come-back sur le petit écran, elle a finalement renoncé. A 96 ans, Marjane est probablement la doyenne de la chanson française. La plupart de ses enregistrements (sauf les premiers) ont été réédités par divers labels (presque toute son œuvre étant désormais dans le domaine public), y compris certains en anglais. Une grande artiste à redécouvrir.


16 commentaires:

  1. Sublime Léo, ta "Chapelle au clair de lune" couplée à ta beauté, demeure l'une des envolées les plus suaves, des plus sensuelles, où la gravité des sentiments rejoint ce mélange subtil d'espoir et de désillusion. Ton timbre de voix si magiquement tragique, ta musicalité inimitable, cette science du phrasé font de toi l'une des cinq ou six plus grandes. Reçois notre profonde admiration... Grand merci et bravo à ce remarquable site, très bien documenté,précis, richement illustré, avec pertinence pour te rendre hommage. Loin des injustes oublis des pédants incultes des médias, ici, je ne tarirai pas d'éloges... Merci! Merci!

    Christian Souque

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    1. j'ai 80ans et fervente admiratrice de léo.
      je l'ai vue a la télé il y a quelques jours.
      j'aimerais si c'était possible qu'une personne me donne son adresse pour lui écrire.merci a la personne qui le fera.

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  2. Je partage votre enthousiasme, Christian. Il y a 2 ans j'ai écrit à Marjane qui a eu la gentillesse et la délicatesse de me répondre avec une superbe photo et un mot gentil.
    Mon disque préféré de la chanteuse demeure le CD "dernières chansons" édité chez Marianne avec un live de 1959 et des airs comme Irma la douce ou la rue s'allume. J'ignorais auparavant qu'elle les avait chantées. Ses versions sont magistrales!

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  3. j'aime bien la voix de cette chanteuse sublime quand elle chante la version française de la chanson du magicien d'oz "l'arc en ciel"

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  4. si quelqu'un pouvait me donner son adresse pour lui écrire je lui serait reconnaissant

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  5. Contactez moi sur l'adresse email du blog :
    Yannetlechien@yahoo.fr

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  6. Léo Marjane est-elle toujours la doyenne des artistes de music-hall ?

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  7. Leo Marjane chante admirablement ;son timbre de voix est exceptionnel.j'aimerais bien lui écrire pour lui dire mon admiration.

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  8. je viens d'écouter printemps perdus je suis fasciné par la voix de léo marjane. j'ai vu les commentaires ou certaines personnes ont pu lui écrire.
    si c'est possible je voudrait lui écrire pourriez vous m'indiquer l'adresse . je vous remercie d'avance.
    en tout cas beau timbre de voix pourtant j'ai 38 ans et j'avoue qu'on tombe facilement sous le charme de la voix.

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  9. Elle a perdu son mari il y a un peu plus de deux ans...

    Et ce que quelqu'un a remarqué qu'elle prononce en yiddish le titre " bay mir bist du shayne " alors que d'autres, à la même époque, le prononcaient en allemand " bei mir bist du schoën "..

    yiddish.criquet@gmail.com

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  10. Je dois être la personne qui fait le plus de pub à Léo Marjane depuis 52 ans, mes parents m'avaient choisi ce prénom car ils se sont connus sur une de ses chansons et ils aimaient beaucoup cet artiste, encore hier quelqu’un me demandait mon prénom, donc comme à chaque fois étonnement et je raconte ma petite histoire... La personne se souvenait très bien de cette chanteuse, comme bien souvent. Mais la question que je me pose et pourquoi Léo Marjane a choisi ce prénom
    Marjane

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  11. Jolie anecdote;
    Je sais que Marjane détestait "Léo" qui lui avait été imposé par on ne sait quel producteur et qu'elle a abandonné en 1950 (dès 1944, certaines affiches ne mentionnaient déjà que le seul nom de "Marjane").
    Marjane signifie "émeraude" en arabe : j'imagine que la chanteuse, qui a tenu dans les aannées 40 un cabaret "Shéhérazade" a choisi ce charmant pseudo car il faisait rêver.

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  12. il faut savoir que mes parents avaient choisi ce prénom pour leur première fille née en 1947 et malheureusement décédée à 9 mois, moi je suis née en 58 et ils ont a nouveau donné le prénom de Marjane, j'aurai beaucoup aimé que Léo Marjane connaisse cette jolie anecdote et qu'éventuellement envoie une petite dédicace à mon père.
    Merci

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  13. Mon père André Popp auquel Universal va consacrer un coffret de 6 CD en Octobre 2018 témoignait souvent dans ses interview que la chanson Ils dansaient créé par René Lebas et reprise par Marjane avait été l'une de ses toutes première chansons enregistrées.

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