dimanche 15 mars 2009

Suzy Solidor, la fille aux cheveux de lin





Figure scandaleuse du tout Paris d’avant guerre, la chanteuse réaliste Suzy Solidor avait sans doute une personnalité trop originale et trop ambiguë pour devenir une vedette de cinéma. Ce qui ne l’a pas empêchée de paraître en guest-star dans plusieurs films des années 30.

Née en 1900 à St Servan sur Mer, de père inconnu, Suzy Solidor se ventait d'être une descendante de Surcouf (au grand damne des descendants du corsaire qui prétendaient qu’elle mentait). En 1916, elle devient l’une des premières bretonnes à obtenir son permis de conduire. Montée à Paris, elle entame une carrière de mannequin et rencontre l’antiquaire Yvonne de Brémonds d’Ars qui s’éprend d’elle. Cette femme très cultivée présente sa découverte aux nombreux artistes qu’elle fréquente. Séduits par la carrure et le physique un peu androgyne de la jeune bretonne, les plus grands peintres du moment lui demandent de bien vouloir prêter une jambe ou son dos pour tel ou tel tableau. En échange, Suzy leur réclame un portrait.

C’est ainsi que va naître la fabuleuse collection des portraits de Suzy Solidor, car Vlaminck, Picabia, Foujita, Cocteau, Van Dongen, Marie Laurencin, Bacon et d’autres moins célèbres vont dresser le portrait de Suzy.(Honnêtement, dans certains cas, on sent qu’il s’agit de commandes, et tous les portraits ne sont pas réussis(si le corps de Suzy est sculptural, elle n’a pas un visage « facile »), mais dans le lot figurent quelques pépites comme le superbe et très connu portait réalisé par Tamara de Lampicka).
Dans les années 20, Suzy et sa compagne défraient la chronique en s’affichant ouvertement. De vernissages en concours d’élégance, elles ne passent jamais inaperçues. Yvonne est presque toujours habillée en costume cravate. Suzy choque par ses maillots de bains en filet de pêche, ou en coquillages, ou sa coiffure très courte qui va lancer le look de la garçonne, au cœur des années 20. Elle est aussi très copine avec Jean Cocteau et Jean Marais, avec lesquels elle va faire du naturisme sur des plages privées.

Après sa séparation avec son mentor, Suzy ouvre également un salon d’antiquaire. Pour attirer la clientèle, elle chante et dit des poèmes. Sa voix rude et très masculine est très applaudie. C’est le début d’une nouvelle carrière très prestigieuse. La grande Suzy affectionne les chansons de marins, auxquelles sa voix rauque donne un sort tout particulier et son plus grand tube, Escale (1938) possède une sorte de poésie réaliste qui n’est pas sans rappeler l’atmosphère de films comme Quai des brumes (qui date de la même année). Dans le cabaret qu’elle ouvre rue Ste Anne (décoré par ses innombrables portraits), très fréquenté par le tout Paris, elle interprète aussi des chansons plus ou moins codées destinées à son public homosexuel. Des refrains comme« toutes les femmes je les veux, des pieds jusqu’aux cheveux » ou « mon troublant secret tu l’ignores, j’ai peur de te perdre en t’avouant que je t’adore » ou le encore le très érotique « ouvre ».

Au cinéma, la blonde Suzy chante dans Escale de Jean Dalray avec Colette Darfeuil, la femme du bout du monde d’Epstein ou Ceux du ciel d’Yvan Noé.
Cependant son apparition la plus mémorable reste la Garçonne (ou Jalousie) de Jean de Limur, une navrante adaptation du roman de Victor Marguerite avec Marie Bell, qui narre la dégringolade d’une mondaine blasée. Ce mélo théâtral et affreusement désuet (dans lequel chante aussi une toute jeune môme Piaf) vaut le coup d’être vu pour l’audace incroyable de la séquence filmée dans le cabaret de Suzy. On se retrouve plongé dans un milieu interlope, avec des femmes déguisées en hommes dansant entre elles. Après avoir chanté « l’amour est un feu de paille », Suzy vient draguer Marie Bell à sa table : « toutes les deux, on est des paumées, allez viens t’amuser un peu », et elle l’entraîne dans un arrière coin du cabaret où des femmes alanguies et enlacées fument de l’opium. Très osé pour l’époque, ce passage sera coupé dans certaines copies.


Pendant la guerre, on voit Suzy partout : vernissages, inaugurations de nouvelles lignes de métro, lancement d’une campagne de vaccination (où les invités du tout Paris viennent se faire vacciner sur la cuisse, en remontant bien haut leurs vêtements). Décidemment, certains s’amusent bien pendant l’occupation et le champagne coule à flots. En 1942, elle enregistre la version française de Lily Marlène, cette célèbre chanson tant appréciée par les soldats de la Wehrmacht (et qui fera l’objet d’un célèbre film de Fassbinder).

Evidemment, Suzy aura quelques soucis après guerre mais continuera à chanter dans son cabaret jusqu’en 1966 (en accueillant en première partie un Jacques Brel débutant, et en mettant à son répertoire Georges Brassens et Léo Ferré), avant d’ouvrir un salon d’antiquaire à Cagnes sur mer où elle décède en 1983. Peu avant son décès, celle qui signait ses courriers « votre oncle Solidor » avait confié au micro de Radio bleue qu’elle n’avait aucun regret sur son passé, mais juste un peu de nostalgie. On peut regretter que le jeune jouranlaiste de l'époque (Thierry Beccaro) ne lui ait pas posé des questions plus incisives. En attendant, on peut toujours visiter le musée réunissant une grande partie de ses portraits à Cagnes sur mer (le seul consacré à un modèle !), se laisser envoûter par sa voix étrange sur les quelques CDs réédités par Chansophone ou Marianne mélodie, ou pourquoi pas dénicher chez un antiquaire les quelques romans qu’elle a écrit pendant la guerre.

5 commentaires:

  1. Merci pour ce portrait enlevé de le Grande Suzy! Je viens de resortir mes 2CD Chansophone et de retrouver sa voix unique. J'adore ses chansons sulfureuses mais aussi "Escale" ou "J'écrirai". Quelle bonne femme!

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  2. Merci Tom! J'adore aussi j'écrirai et la brume.
    MH Carbonel lui a consacré une bio très intéressante sortie l'an dernier. Un CD avec des enregistrements arares (et poèmes) extraits de vieilles émissions de radio est également disponible depuis peu.
    Et si on veut accueillir des toiles la représentant, il faut surveiller ebay une ou deux ont déjà été propsées à la vente (mais par des artistes d'époque peu connus)

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  3. La sculpturale Suzy, tel un menhir breton que la féminité aurait effilé en un éternel miracle, fait partie de ces rares artistes dont le snobisme devient art. Inspiratrice, égérie, somptueux modèle, luminescente icône, sa voix masculine emporte le mélomane en un exotisme lointain, fascinant, englouti sous les charters et promotions. Troublante plus que belle peut-être, bécassine parée de lamée et de bijoux à la mode, instigatrice du vent, elle rayonna à l'évidence tant son être attirait la couleur, la lumière et les ombres, les formes magistrales, ce canon idéal... Les peintres au regard aiguisé ne s'y sont trompés. Une star, à n'en pas douter.

    Christian Souque

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  4. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  5. Avez vous visité le musée de Cagnes-sur-Mer, Christian? On peut y trouver un livre avec les plus beaux portraits de la Solidor. Un personnage fascinant.

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