samedi 5 septembre 2009

Rosita Serrano, le rossignol chilien






Combien d’artistes, en quête de gloire et d’argent facilement gagné, se sont fourvoyés en acceptant de se produire dans des films allemands pendant la seconde guerre mondiale, au risque de servir le nazisme? Depuis les années 20, Berlin était une plaque tournante du cinéma et un tremplin inévitable pour la notoriété et Hollywood. D’aussi grandes stars que Garbo, Dietrich, Pola Negri ou Ingrid Bergman étaient passées par cette étape avant d’être remarquées par des producteurs et devenir des stars de dimension internationale; on peut mieux comprendre pourquoi à la fin des années 30, une chanteuse aussi prometteuse que Rosita Serrano, le rossignol chilien, ait pu succomber aux sirènes de la gloire et se compromettre ainsi en se produisant dans un pays dominé par une dictature épouvantable, avant que le piège ne se referme sur elle.

Née en 1914 à Vina del Mar au Chili, Rosita Serrano est la fille d’un diplomate et de Sofia del Campo cantatrice soprano dont la carrière fut internationale. Dans les années 20, cette dernière s’était produite dans des salles aussi mythiques que la Scala de Milan, le Carnegie hall de New York ou la salle Pleyel devant Georges Clemenceau. Soucieuse de passer le flambeau, la chanteuse d’opéra fit prendre des cours de chant à sa fille. Mais très vite, il s’avéra que la petite, malgré sa voix cristalline et sa grande beauté n’avait guère d’attirance pour le chant lyrique. Aussi, lors de son passage dans la capitale française en 1936, Mme Del Campo renonça à son projet initial d’imposer sa fille sur les scènes lyriques pour démarcher dans le circuit des cabarets. Après avoir remporté un concours organisé par une radio parisienne, Rosita triomphe à Lisbonne en chantant des rumbas, en s’accompagnant à la guitare. Au passage, elle se fourvoie dans un film de propagande portugais sur la révolution de mai (1937) destiné à mettre en valeur les idées du dictateur Salazar, où elle interprète une chanson de sa composition.

Fraîchement divorcée, la jeune femme accepte en 1937 un engagement dans un cabaret berlinois, encouragée par le second mari de sa mère, d’origine allemande. Comme elle le signale dans sa biographie, Berlin était alors la Métropole de l’Europe et tous les espoirs étaient permis. Avec des chansons typiques comme la Paloma (fort jolie version d’ailleurs, avec une finale sur un rythme de cueca ) ou vieni, vieni de Scotto, Rosita obtient un succès extraordinaire. Avec ses longs cheveux bruns ornés d’une orchidée, sa guitare et ses roucoulades, la jolie chanteuse emballe le public allemand auquel elle apporte un vent d’exotisme dans une atmosphère particulièrement étouffante.
Très vite, elle enregistre en allemand (roter mohn), avec un succès remarquable. Celle que l’on surnomme la Lucienne Boyer chilienne n’a pas la voix feutrée de la fameuse chanteuse de charme parisienne mais une voix haut perchée et un répertoire qui la rapprochent davantage de Marie-José célèbre chanteuse de tango de jadis.
Le succès et la beauté de la brune chanteuse, réputée pour son tempérament fougueux , intéressent les studios de cinéma : elle parait dans Vedettes folies (1938) grande revue musicale à la Busby Berleley où beaucoup de stars allemandes font de courtes apparitions. Rosita y chante le chapeau de Molly pendant que la Jana danse de façon trépidante.
Elle interprète 3 chansons dans die Kluge schwiegermutter (1940) et 2 autres de meilleure facture dans la mélodie du cœur (1940), un film sentimental et musical mélancolique « non recommandé aux mineurs », dans lequel elle est davantage remarquée. Elle ferait également une courte apparence dans l’excellent Bel ami de Willi Forst (à vrai dire, je ne me souviens plus de sa présence) . Après avoir chanté dans la chauve souris, l’artiste confirme son succès dans l’opérette de Théo Mackeben « Anita und der Teufel » où elle crée Bei dir es war immer so schön, superbe romance et très gros tube (repris en France par Léo Marjane puis Gloria Lasso). Un film en sera tiré 8 ans plus tard avec Elfie Mayerhofer (amour diabolique). La chanteuse la reprend lors de sa tournée en France occupée pour les soldats de la Wehrmacht. Si Rosita a toujours déclaré ne pas s’intéresser à la politique, on ne peut que s’interroger sur sa présence dans des représentations plus que compromettantes ainsi qu’à des programmes radio destinés à encourager les soldats allemands .Certes, la guerre était brutalement arrivée avant que le moindre contrat pour les USA ne se concrétise , mais quand même… Il convient de préciser à cet égard que le Chili avait conservé de bonnes relations avec les puissances de l’axe et ce n’est qu’en 1943 que ce pays finit par rentrer en guerre contre l’Allemagne sous la pression des USA. A partir de ce moment, la donne change pour Rosita Serrano. Avec l’aide du roi Gustave VI de Suède, elle fuit l’Allemagne pour la Suède où elle participe à des galas de bienfaisance pour les réfugiés juifs. Acte sincère et courageux, tentative pour se racheter une conduite? En tous les cas, la chanteuse, qui avait déjà rencontré quelques soucis pour avoir interprété une chanson au titre anglais "how do you do" devient alors persona non grata en Allemagne où certains la soupçonnent d’espionnage : ses comptes bancaires sont bloqués, ses disques interdits, sa maison saccagée par la Gestapo et un mendat d'arrêt émis contre elle par Himmler, le ministre de l'intérieur.
En dépit de cette prise de conscience plutôt tardive, la chanteuse aura quelques difficultés à poursuivre son activité après guerre, notamment dans son pays où elle est vivement rejetée. Elle part en tournée pour la Grèce, l’Égypte et d’autres pays où sa réputation n’est pas trop entachée (avec un crochet par Londres en 1950 où elle enregistre les chansons du dessin animé Cendrillon). Mariée avec un millionnaire juif séfarade, l’artiste tente un come-back en Allemagne en 1951. Elle n’a rien perdu de sa beauté et de sa fascination et sa prestation dans le film « les yeux noirs »(1952) est sans doute le seul intérêt du film. Elle y chante un mambo avec beaucoup de fougue ainsi que la jolie prière de Boulanger, reprise plus tard par les Platters. La même année, elle parait dans une opérette filmée « saison à Salzbourg ». Cependant la concurrence est rude et la chanteuse ne fait plus le poids face aux nombreuses chanteuses internationales qui ont envahi depuis les ondes allemandes (de la belge Angèle Durand en passant par la suédoise Bibi Johns). Elle est même huée lors de son passage à un gala des artistes et perd son contrat avec la firme Telefunken. La chanteuse se produit ensuite à Buenos Aires (en tant que grande attraction internationale) puis aux USA (elle passera même au Ed Sullivan show), sans grand succès, avant de retenter un grand come-back en Allemagne en 1976 qui se soldera par un fiasco. Ses prestations télévisées fort décevantes sont démolies par la critique.
Remariée au dessinateur Will Williams, auteur de nombreuses affiches de films pour Hollywood (et considéré par John Ford comme le meilleur illustrateur), l’actrice qui se consacre à la rédaction de ses mémoires et à une vidéo documentaire sur sa vie, se partage entre les USA et le Chili où il lui arrive d’être reçue par le président Pinochet (encore un dictateur de triste mémoire!!), ce qui lui sera vivement reproché les dernières années de sa vie
Ruinée, la star des années 30, termine sa vie au Chili, dans l’oubli le plus total et décède en 1997, dans la plus grande précarité.
On peut entendre la voix du rossignol chilien dans les films « das boot »1981 et « la maison des étrangers » (1993). Une destinée étonnante qui laisse perplexe…



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