mercredi 8 juillet 2009

Anna Prucnal, l'insoumise



Artiste de talent et femme de conviction, Anna Prucnal n’a jamais cherché la facilité : ses choix artistiques courageux, élitistes et parfois déroutants ont même eu un impact dramatique sur sa vie personnelle. Mais comment une chanteuse aussi passionnée et anti-conformiste, connue pour ses interprétations de Brecht, Cocteau et Maïakovski , aurait elle pu se contenter d’une carrière linéaire et de rôles passe partout. Cette femme passionnée a parfois conjugué ses talents de comédienne et de chanteuse à l’écran. Elle nous revient pour une série de récitals au festival d’Avignon.

Née en 1940 à Varsovie (pour reprendre le titre de son autobiographie), Anna Prucnal connaît une enfance tragique et misérable : son père un chirurgien juif entré dans la résistance est assassiné par les nazis et sa mère, d’origine noble, contrainte de faire des ménages. Boursière, elle étudie le chant lyrique à Berlin-est avant de faire ses classes au théâtre satirique de Varsovie. Remarquée pour la beauté de sa voix et de son physique, celle qu’on surnomme rapidement l’Audrey Hepburn polonaise débute à l’écran en 1962 dans Soleil et Ombre, œuvre antimilitariste où elle incarne la fille d’un soldat irradié atteint d’un cancer. L’année suivante, elle est l’héroïne d’une comédie au ton assez cynique « nouvelle aventure » et de smarkula, une charmante comédie romantique. A Berlin est, Anna joue dans une comédie musical de Joachim Hasler, Voyage dans un grand lit. On est toujours surpris de constater à quel point les comédies musicales tournées de l’autre coté du rideau de fer étaient novatrices et irrévérencieuses par rapport aux beach movies ouest-allemand pâlichons et extrêmement conventionnels. A un moment Anna et Eva Maria Hagen, la Bardot de la RDA se retrouvent même au lit avec le même marin. En outre, le film balance bien et musicalement, na paraît nullement décalé par rapport aux nouvelles mouvances musicales. Anna est piquante et craquante et on aurait aimé l’apprécier davantage dans de genre; mais toujours avide d’expériences nouvelles et non-conformistes, l’actrice vogue déjà vers de nouveaux horizons : lors du tournage, elle rencontre Jean Mailland cinéaste dont elle tombe amoureuse immédiatement et qu’elle va suivre jusqu’à Paris. Entre temps, elle tourne pour Wajda un téléfilm au ton très sarcastique sur un coureur automobile victime d’innombrables accidents et vivants grâce à de multiples dons d’organes ;
En France, Anna trouve d’abord quelques rôles dans des opérettes (la vie parisienne) et joue dans l’opéra de Claude Prey Donna Mobile en 1972.
En 1974, le cinéaste yougoslave Dusan Makavejev l’embauche pour Sweet Movie, un film qui va profondément marquer sa carrière et son destin. Cette œuvre provocante et délirante fera scandale lors de la projection à Cannes : gigantesque happening, déjanté et effrayant, c’est vraiment le film où tout peut arriver avec une audace incroyable comme on n’en voit plus guère sur nos écrans. Certaines scènes donnent littéralement envie de vomir, mais le moins qu’on puisse dire c’est que ce film ne peut laisser indifférent. Anna Prucnal y incarne une prostituée marxiste qui navigue sur une péniche avec Karl Marx en figure de proue et séduit à un marin de passage avant de l’assassiner froidement. Elle y chante brièvement de sa voix très perçante et fascine par sa présence et sa folie. Le passage où elle se libre à un strip tease, en robe de mariée devant des enfants provoquera pas mal de remous (c’est tout à fait le genre de passages qu’on n’oserait plus mettre en scène).
Certaines scènes du film seront coupées lors de l’exploitation à la demande de Carole Laure, autre vedette du film. Ce qui n’empêchera pas ce film déroutant d’être toujours interdit en Angleterre. En Pologne , la réaction est vive : Anna Prucnal est interdite de séjour pour s’être prêtée à ce film jugé dégradant, immoral, pornographique et anti-communiste. Une sanction lourde de conséquence pour la comédienne qui ne pourra même pas se rendre au chevet de sa mère mourante ou rendre visite à sa sœur pendant plus de 15 ans!
Au cinéma , Anna Prucnal est remarquée pour son rôle de trotskiste dans le très bon film d’espionnage de Deville « le dossier51 » et a même l’honneur de jouer pour Fellini dans la cité des femmes, hélas un des moins bons film de ce génie du cinéma.
A la fin des années 70, Anna se lance dans le tour de chant dans une répertoire qui mêle avec bonheur opéra, jazz , poètes russes, chansons réalistes et folklore slave. L’indomptable artiste est peut être encore plus à son aise sans la joug d’un metteur en scène pour crier sa révolte et son exaltation entre violence et passion, lyrique et hystérie. Ses prestations étonnantes, notamment au théâtre de la ville à Paris, lui valent des critiques dithyrambiques. C’est désormais sur les scènes européennes que va se poursuivre la carrière de la chanteuse. Lors des mouvements de grève qui secouent la Pologne en 1980 et de la fondation de Solidarnosc l’artiste intervient dans de nombreux médias français pour soutenir ce mouvement de contestation, surtout après l’état de siège de 1981. L’effondrement du régime communiste en 1989 permet enfin à l’artiste polonaise d’effectue un retour en triomphatrice dans son pays natal. Elle célèbre le bicentenaire de la révolution française devant le château de Varsovie. Lors du passage de Lech Walesa à Paris en 1991, elle chante pour lui à l’Élysée.
Si très rarement, on entre aperçoit Anna Prucnal au cinéma (elle chante, fort bien, dans un passage du film polonais obyatel swiata), c’est désormais dans des rôles minuscules. Peut être parce que la scène reste quand même le meilleur écrin pour sa démesure? Elle se produit en ce moment au festival d’Avignon avec des chansons composées par son mari.


4 commentaires:

  1. Je l'ai vue en concert (récital) à Genève au tout début des 80's: impressionnante. Il y a(vait) chez elle quelque chose d'irréductible: l'expression de son besoin de liberté.
    Je ne savais pas qu'elle se produisait toujours.

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  2. J'espère qu'après Avignon, elle a prévu un crochet sur Paris...

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  3. Entendu sur la scène de ma la maison de la culture d'Amiens au début des années 80, une voix dont la force vous emmène vers des lointains espaces de vie intérieure. Une grande dame.

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  4. Je l'ai vue en concert l'année dernière dans un petit théâtre parisien et elle y a annoncé ses adieux à la scène.....

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