mercredi 18 février 2009

Libertad Lamarque, la fiancée de l'Amérique latine







Peu d’artistes de comédies musicales peuvent comme la chanteuse argentine Libertad Lamarque se venter d’avoir tenu la tête d’affiche pendant plusieurs décennies. De 1929 à 1978, Libertad Lamarque, que l’on surnommait la fiancée de l’Amérique latine, sera en effet sans discontinuer la vedette de films musicaux en Argentine puis au Mexique. Si l’on tient compte ensuite de sa participation à des (lamentables) télénovélas (toujours dans des rôles importants), on peut dire que sa carrière artistique s’étale sur plus de 70 ans ! Née en 1908, d’un père d’origine française, artiste de cirque un peu anarchiste, et d’une maman douée pour la chanson, elle se découvre très tôt une vocation artistique. Encouragée par sa mère, elle abandonne l’école pour le théâtre. De simple choriste, elle devient rapidement chanteuse en solo. Son répertoire est essentiellement composé de tangos, musique issue des bas fonds de Buenos-Aires, à laquelle la voix vibrante de Carlos Gardel a apporté ses lettres de noblesse.A priori la voix aiguë de Libertad se prêtre mal à ce genre de chansons, néanmoins l’impact dramatique qu’elle parvient à leur insuffler est remarquable et donne toute la force à ses interprétations. A la fin des années 20, Libertad est déjà une chanteuse populaire (elle a enregistré son premier 78 tours en 1926) et entame sa carrière au cinéma dès 1929.



Elle joue dans le premier film parlant du cinéma argentin, Tango (1933) qui réunit (sauf Carlos Gardel) les vedettes les plus importantes du genre (Mercedes Simone, Tita Merello). Si au cinéma, Libertad commence à se enchaîner de rocambolesques mélos musicaux (dans lesquels elle joue souvent le rôle d’une pauvre chanteuse des rues, qui s’éprend du fils d’une riche famille bourgeoise qui la rejette- le tango avait encore à l’époque un goût de souffre), sa vie réelle aurait également pu inspirer un mélo, notamment quand le mari de Libertad dont elle est séparée depuis longtemps kidnappe sa fille, en prétextant que sa femme est trop instable psychologiquement (elle aurait fait une tentative de suicide, en se jetant par la fenêtre) pour s’en occuper. Finalement, l’affaire se terminera bien : la chanteuse récupérera sa fille et divorcera pour épouser le musicien avec lequel elle vit en ménage depuis des années. Que dire des films argentins dans lesquels Libertad va jouer jusqu’en 1947 ? Ils sont souvent maladroitement filmés, et n’évitent aucun ressort mélodramatique (la chanteuse qui perd la vue dans un incendie, puis la recouvre à la fin…). En revanche, la partie musicale ne manque pas d’intérêt, et Libertad y chante les plus grands succès du tango (parfois empruntés à Gardel, décédé accidentellement en 1935). En outre, c’est une bonne comédienne.




La fin de la nuit (1944) se détache du lot par son originalité : D’une part, le film est fort bien réalisé. En outre,l’action se déroule dans une France occupée par les nazis, et Libertad joue le rôle d’une chanteuse qui s’éprend d’un résistant. Au générique, on reconnaît Florence Marly et Paul Misraki exilés en Argentine. L’atmosphère du Paris occupé est bien rendue et Libertad, très en beauté, arborant le look des françaises des années noires chante une superbe version du classique « uno », dans un cabaret enfumé. Dans un autre genre, on peut citer Romance musical (1947) une comédie qui sera refaite à Hollywood (Romance à Rio avec Doris Day). Sur le tournage de la parade du cirque (1945), Libertad Lamarque se dispute avec sa collègue Eva Duarte qui tient le second rôle féminin. Que s’est il réellement passé entre les deux comédiennes ? Etaient elles toutes les deux amoureuses du dictateur Juan Peron comme on l’a dit (ce que Libertad a formellement démenti) ? Libertad reprochait elle à Eva son manque de professionnalisme et son arrogance ? En sont elles venues aux mains ? En tous les cas, à peine Eva deviendra Mme Peron, que Libertad sera obligée de faire ses valises pour s’établir au Mexique. Dans un film avec son ennemie Eva Perron
Son premier film mexicain est dirigé par le grand Bunuel, qui embarrassé par cette oeuvre de commande dira « on m’a demandé de réaliser un film avec deux grandes vedettes de la chanson (Libertad et Jorge Negrete, un mythe de la chanson folklorique mexicaine), alors je leur ai laissé faire ce qu’il savaient le mieux : chanter. »Avec son opiniâtreté, Libertad va réussir à devenir au Mexique une star aussi légendaire qu’elle le fut en Argentine. Les films sont très mélodramatiques (dans Ansiedad (1951), elle joue le rôle d’une pauvre femme, contrainte de donner un de ses fils à une riche famille pour lui assurer un avenir décent), mais souvent de qualité un peu supérieure à ceux qu’elle a tourné dans son pays. Bien évidemment, les scénarii les plus larmoyants lui laissent toujours l’occasion de caser plusieurs chansons. Elle joue également dans des films revues, le plus souvent avec l’excellent chanteur Pedro Infante, qui a remplacé Jorge Negrete dans le cœur des mexicains (et qui mourra tragiquement lui aussi).




Pour plaire aux mexicains, Libertad ajoute des boléros et des airs ranchéras à son répertoire. Dans Histoire d’un amour (1955) elle entonne la chanson titre qui remportera un succès international (reprise en France par Gloria Lasso et Dalida, et dans la BO de gazon Maudit). Les années passant, Libertad endosse à présent des rôles de maman, souvent en conflit avec ses enfants. Dans « mon ami Joselito » film espagnol de 1961, elle donne la réplique au jeune prodige Joselito et chante avec lui plusieurs morceaux dont un air qui sera repris plus tard par Julio Iglésias. C’est un film larmoyant et nul comme la plupart tourné par le jeune garçon (ils eurent pourtant un succès certain chez nous). Les modes changent : le yéyé et le rock pointent leur nez : Libertad est toujours là, immuable, face à Enrique Guzman, Cesar Costa et les autres jeunes chanteurs de la nouvelle vague qui partagent l’affiche avec elle. Cela dit, elle ne se risque pas à interpréter des chansons rock qu’elle laisse aux nouveaux arrivants.





Vaguement inspiré de « Mirages de la vie », « Roses blanches pour ma sœur noire » (1969) est une sorte d’apothéose du mélo (il fut exploité en vidéo chez nous avec le slogan "préparez vos mouchoirs… »). Dans cet incroyable film, précurseur des feuilletons à l’eau de rose de l’après midi, Libertad joue le rôle d’une femme dont la meilleure amie est noire. Cela ne l’empêche pas d’être raciste et de refuser avec rage que sa fille épouse un jeune docteur noir. Il en résulte une grave brouille entre les deux amies. La pauvre fille de Libertad tombe gravement malade : il lui faut une transplantation cardiaque de toute urgence ! Or la fille de son amie noire vient de se suicider et son coeur est disponible. Encore faudra t’il que Libertad puisse convaincre la maman qui, inévitablement, lui réplique « tu acceptes donc le cœur d’une jeune femme noire ? ». On frise souvent le ridicule, pourtant Libertad et l’actrice black Eusébia Cosme parviennent à être crédibles et même à rendre certaines scènes particulièrement émouvantes, ce qui prouve leur talent.Il est vrai qu’aussi bien dans la chanson que dans ses rôles, Libertad n’a jamais lésiné sur l’émotion. De temps à autres, Libertad renoue avec le cinéma argentin : dans la sonrisa des mama (1972) elle partage l’affiche avec Palito Ortega, l’auteur compositeur le plus en vogue du moment. C’est encore un mélo : elle y joue le rôle d’une femme atteinte d’un cancer qui tente de cacher la gravité de son état à ses proches. Le déclin du cinéma mexicain populaire (qui se spécialise désormais dans les comédies érotiques), mettra fin à la longue carrière cinématographique de Libertad qui est immédiatement récupérée par la télévision. Elle va enchaîner, jusqu’à sa mort, les télés novellas les plus affligeantes, dans lesquels elle joue souvent des rôles de bonne soeur. Ces séries télé à l’eau de rose, similaires aux « feux de l’amour » ont rarement été diffusées chez nous, mais par contre remportent un franc succès dans les DOM COM (où le doublage ridicule ne fait qu’accentuer la nullité de l’ensemble). En dépit de la qualité discutable de la plupart de ses films, force est de constater que Libertad Lamarque avait beaucoup de classe et qu’elle bénéficiait d’un réel charisme et d’un sens du pathos qui lui ont permis de mener à bien une carrière d’une longévité exceptionnelle. Elle est décédée en l’an 2000.










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