samedi 26 décembre 2009

Violetta Villas : le destin contrarié de la vamp polanaise aux 4 octaves 1/2





Plus kitsch que le kitsch, plus camp que le camp, la chanteuse polonaise Violetta Villas est un personnage digne d’une bande dessinée, trop extravagant pour être vrai. Avec sa moue renfrognée, son abondante chevelure, sa poitrine hypertrophiée, ses robes à paillette, cette improbable créature dont la voix couvrait 4,7 octaves (du D3 au E7 pour les connaisseurs) , à mi chemin entre Yma Sumac et Mamie van Doren semblait tout droit sortir d’un délire de Russ Meyer. Elle était même en bonne voie pour devenir une star de cinéma internationale quand les autorités polonaises l’ont empêchée de quitter son pays, réduisant en cendres un rêve hollywoodien à deux doigts de se concrétiser. Flash-back sur une vamp au destin contrarié.

Née en 1938 en Belgique, Violette Villas commence à étudier le chant lyrique, avant de se lancer dans la chanson et d’obtenir en 1961 le premier prix du festival de Sopot.
Elle enregistre une série d’albums avec un répertoire essentiellement composé d’airs typiques très semblable à celui de Caterina Valente, chanteuse polyglotte réputée elle aussi pour l’ étendue de son registre vocal. Violetta parvenait à la battre de plusieurs notes. Si aujourd’hui certaines chanteuses font de leur amplitude vocale leur image de marque , quitte à en rajouter un peu (il est techniquement impossible de chanter sur 7 ou 8 octaves!), Violetta parvenait sans trucage à d’étonnantes prouesses vocales même si peu e ses chansons lui permettent de démontrer ses possibilités. Lors de son passage en France en 1965, la presse locale (et notamment l’Humanité) salua sa voix « vraiment incroyable dont on ne soupçonne ni l’ampleur ni la force ».
De passage en France, l’artiste est remarquée par Bruno Coquatrix le patron de l’Olympia , qui lui propose de chanter dans son music hall. Le plus grand organisateur de show à Las Vegas lui signe un contrat pour chanter dans la revue Plaisirs aux cotés de Line Renaud. En quelques jours, elle éclipse la vedette française contrainte de quitter le spectacle. Bob Hope et Glenn Ford viennent applaudir le nouveau phénomène qui reprend my heart belongs to daddy popularisé par mary martin et Marilyn en le ponctuant de soupirs à la Jayne Mansfield, et des airs typiques comme Ave maria no morro ou Granada, morceaux plus propices pour des envolées lyriques. Les affiches la présentent comme une star plus pétillante que du champagne française, la presse américaine comme la voix de l’ère atomique! A Hollywood, Violetta tourne un bout d’essai pour la MGM.
Mais c’est la firme Paramount qui entend signer le nouveau phénomène. Elle lui propose un contrat avec 3 projets de films bien tentant : Paint your wagon, un musical avec Lee Marvin et Clint Eastwood, le western « au paradis, à coups de révolver » avec Glenn Ford, ainsi qu’une comédie avec Bob Hope. Parallèlement, la télévision lui propose une série de shows avec Tom Jones.
Malheureusement le sort va contrecarrer les plans de star. Contrainte de retourner en Pologne, au chevet de sa mère mourante, Violetta Villas se retrouve prise au piège. Les autorités du régime communiste , qui n’ont guère apprécié sa parenthèse américaine et le show très américain qu‘elle vient de donner pour la télé locale (la star, outrageusement décolletée, y minaude parmi des boys torse nus) de même que l’image futile et kitsch de l’artiste en complète opposition avec l’idéologie dominante et les réalités contemporaines, confisquent son passeport, et elle se voit obligée de rester en Pologne, pour un peu plus de dix ans. Il semble qu’on aurait proposé à la vedette de retourner à l’étranger, mais pour y mener des missions d’espionnage qu’elle aurait refusées.
Violetta va etneter contre vents et marées de poursuivre sa carrière, même si la star de Las Vegas a bien du mal à faire vivre son personnage dans un univers hostile, bien éloigné des paillettes d'Hollywood. On la retrouve dans une comédie « le pic vert » en 1970, qui exploite un thème proche de 7 ans de réflexion (on peut consommer le film en tranche sur youtube) où elle délivre une version toute personnelle du classique russe "les yeux noirs" avec petits cris à la Mansfield et rugissements de tigresse.
Sny i marînide (1983), mêlant rêve et réalité, exploite bien la veine comique de ce personnage hors norme et comporte des passages fort drôles (notamment quand la star court dans les bois). Dans cette comédie musicale, la star entonne notamment strangers in the night.
Après l’effondrement du régime communiste, la star va connaître un regain d’activité dans les années 90 et reprendre des tournées aux USA. Celle que l’on surnomme « la reine du kitsch » continue sa carrière avec des hauts et des bas, toujours vêtue de façon extravagante, même si les robes de bal et perruques démesurées ne sont plus du tout adaptées à son âge. Le moins qu'on puisse dire, est que ce n'est pas réussi ni de bon goût, mais c'est une frontière que la chanteuse semble avoir franchi depuis longtemps. Les déboires sentimentaux et les aléas de sa carrière ainsi que les attaques d'une certaine presse ont profondément blessé Violetta Villas. Très dépressive et ruinée, la star a fini par préférer la compagnie des animaux aux être humains comme sa collègue Brigitte Bardot. Néanmoins, sa tentative de fonder un refuge pour ceux qu’elle appelle ses petits frères a fini par tourner au désastre. Dépassée par les proportions de son projet, et incapable de le financer, la star a été poursuivie par des commissions d’hygiène et de sécurité qui ont constaté l’insalubrité de son refuge animalier et le sort dramatique des chiens et chats qui s’y trouvaient (sans nourriture, les animaux avaient fini par se manger entre eux!). Bouleversée par la fermeture du refuge, Violetta, qui souffrait elle-même de malnutrition a été admise à l’hôpital psychiatrique en 2006. Ces épisodes mélodramatiques, ainsi que les conflits l’opposant à son fils ont bien évidemment été copieusement rapportés par la presse polonaise. Le mois dernier, Violetta a sorti une compil de ses plus grands succès avec de nouveaux arrangements, ce qui lui a valu de reparaître à la télévision : souhaitons que le sort sourit enfin à cette artiste hors norme à tous points de vue! Violetta Villas nous a quitté en 2011.

dimanche 13 décembre 2009

Rosita Fornes, une diva cubaine controversée






Il est toujours surprenant d’apprendre que l’une des plus grandes stars des scènes musicales cubaines, et en tous cas, celle dont la carrière est la plus longue (la dame est toujours en activité) n’est pas une brune danseuse ou chanteuse de mambos, congas, rumbas et autres rythmes tropicaux, mais une pin up blonde hyper sophistiquée, parfois comparée à Marilyn Monroe , dotée d’une voix de soprano, dont le répertoire se composait davantage d’airs d’opérette et de standards internationaux ( beaucoup de chansons d’origine française ou italienne) que de congas ou salsas. Véritable sex symbol dans les années 50 et 60, dotée d’une indéniable présence, Rosita Fornes a souvent déchaîné les passions (notamment pour son silence concernant le régime castriste) et continue d’être respectée dans son pays où elle poursuit sa carrière, depuis plus de 70 ans !

De parents émigrants espagnols, Rosita Fornes est née à New York en 1923, mais a vécu à Cuba depuis l‘âge de 2 ans. Lors d’un séjour en Espagne juste avant la guerre civile, la fillette s’est entichée du répertoire des grandes divas de l’époque, Conchita Piquer, Imperio Argentina et Estrellita Castro.


Avec l’aide de son beau père, un riche homme d’affaires guadeloupéen, elle s’inscrit à un concours de chant radiophonique extrêmement populaire. Elle remporte à 16 ans le premier prix qui la rend célèbre dans toute l’île. Après avoir perfectionné son art, en suivant des cours de chant et de danse, la jeune artiste est engagée pour une série d’opérettes viennoises et des zarzuelas, avec notamment les parents de Placido Domingo. Elle s’essaie aussi à la comédie dans de nombreuses pièces de théâtre abordant des pièces aussi différentes que la dame aux camélias de Dumas fils, Topaze de Pagnol ou la maison de poupées d’Ibsen. En 1939, elle fait ses débuts à l‘écran dans l‘adaptation d‘un feuilleton radiophonique. et joue deux ans plus tard aux cotés de Rita Montaner, la plus grande chanteuse cubaine des années 30 (la créatrice du fameux Siboney de Lecuona) dans Romance musical. A 20 ans, elle tente sa chance au Mexique, où elle obtient un succès égal et immédiat qui lui vaudra d’être surnommée la première star d’Amérique latine. La grande beauté de son visage, sa sophistication, son élégance émerveille un public fasciné par les blondes exotiques (Miroslava notamment).
Pendant son séjour mexicain, Rosita va tourner plusieurs comédies musicales pour le cinéma dont elle n‘est pas du tout fière et qu’elle n’hésite pas à les qualifier d’incidents, de productions commerciales et sans intérêt.
Mujeres de teatro (1951) est un who done it de facture ultra classique : un impresario a été assassiné : qui l’a tué? la chanteuse de boléros , Maria Victoria, Rosita ou une autre encore. Lors des nombreux intermèdes musicaux, Rosita chante quelques mélopées exotiques de sa jolie voix éthérée et danse le cancan en levant la jambe plus ou moins haut. Elle est radieuse et très belle (et hyper sexy dans la scène où elle se déshabille derrière un paravent translucide pondant son interrogatoire), et n’a pas de mal à éclipser les autres comédiennes.
Du cancan au mambo est une comédie qui met en opposition deux danses qui ont fait fureur au 19e et au 20ème siècle, Est-il besoin de préciser que Rosita est plus can-can que mambo? Elle reprend la violettera, le fameux tube de Raquel Meller : Cependant, on retiendra surtout les nombreux airs joués par l’orchestre de Perez Prado au faite de sa gloire.
Avec son premier mari Manuel Medel, elle fonde une compagnie théâtrale qui se produit dans toute l’Amérique du sud et un peu aux USA. Néanmoins, Medel n’est pas le seul à succomber à son charme.
Le président mexicain Miguel Alleman aurait lui aussi craqué pour la belle cubaine.
Parmi les autres amants qu’on a prêté à Rosita figurent le Président cubain Prio Socarras (de 1948 à 1952), le dictateur Fulgencio Batista (qui sera chassé du pouvoir par Fidel Castro) et encore plus étonnant le révolutionnaire argentin Ernesto 'Che' Guevara. On ne peut que rester pantois devant un tel tableau de chasse, et c’est vrai que l’image du charismatique révolutionnaire et de la Marilyn cubaine a tout pour exciter l’imagination! Rosita a toujours démenti ces rumeurs, tout en admettant avoir toujours été très courtisée par des hommes d’Etat. En revanche, elle admet avoir vécu une folle passion pour l’acteur comique Cantinflas, le plus populaire d’Amérique latine, qui physiquement en imposait moins que le Che!

Après son divorce, l’actrice regagne Cuba où elle va énormément paraître à la télévision, média qui sans nul doute aura le plus contribué à son succès et sa pérennité ainsi qu’au fameux cabaret Tropicana.
C’est dans le fameux cabaret que se déroule action de Tin Tan à la Havane (1953) où Rosita donne la réplique au fameux German Valdes, un des comédiens les plus attachants du cinéma mexicain.
En 1956, on la retrouve dans un mélo ultra conventionnel « No me livides nunca », en star de cinéma qui vit une passion secrète avec un chanteur mexicain (ici le monolithique Luis Aguilar). Le scénario s’inspirait-il de son coup de cœur pour Cantinflas? En tous les, la présence de pointures comme Benny More ou Olga Guillot apportent une plus value appréciable.

En 1957, l’artiste toujours en quête de nouveaux horizons, décide de tenter cette fois sa chance en Espagne : là aussi, elle rencontre un succès foudroyant dans une opérette quand la révolution cubaine est déclarée et Fidel Castro se retrouve à la tête de l’Etat. Alors que les stars cubaines comme Celia Cruz ou Olga Guillot choisissent de s’exiler, Rosita Fornes, contre toute attente, quitte alors précipitement l’Espagne pour se rendre à la Havane. On peut vraiment s’interroger sur les motivations de la star (il semble qu’elle voulait tout simplement rejoindre sa famille en ces périodes troublées ), à laquelle certains détracteurs ne vont pas manquer de reprocher son asservissement et son silence face à un régime politique criminel. Rosita s’est pourtant toujours déclarée apolitique et catholique.
En 1967, elle promène son spectacle « variétés de la Havane » derrière le rideau de fer et fait pas mal de télévision en URSS.
Défiant les années (grâce au soutien de la chirurgie esthétique) , toujours vêtue de robes vaporeuses , de rubans et de boas, Rosita Fornes continue de hanter les petits écrans cubains , telle une éternelle Marilyn Monroe. A son répertoire d’opérettes et de zarzuelas, la chanteuse a rajouté pas mal de compositions françaises comme Ma vie d’Alain Barrière (un méga succès en Amérique latine), la Mamma d’Aznavour, ou des succès italiens tirès des répertoires de Mina ou Johnny Dorelli. Très à l’aise vocalement, ses interprétations sont souvent très réussies (dommage que la qualité d’enregistrement ne soit pas optimale).

En 1984, Rosita fait son come back à l’écran dans les années 80 avec L‘échange, une comédie inégale dans laquelle elle incarne une énergique quinquagénaire qui échange sa vieille maison (pratique très courante là bas) pour un appartement moderne dans le Vedado en vue d'éloigner sa fille d'un mécanicien.

En 1994, on la retrouve dans le mélodrame tragi-comique Quiereme y veras du réalisateur très controversé Daniel Diaz Torres (certains de ses films jugent trop critiques à l’égard du régime furent interdits) qui retrace un cambriolage sur fond de révolution cubaine en 1958.

Si Rosita demeure une reine du show business à Cuba (aussi adulée que Fidel Castro), elle n’est plus la bienvenue aux USA.
Son passage en Floride en 1996, va déchaîner une véritable cabale médiatique . Des organisations représentatives des exilés cubains reprochent à la star d’avoir toujours cautionné le régime castriste. Un cocktail Molotov est jeté dans la salle de spectacle de Miami où la star doit donner son tour de chant pendant 5 jours. Elle est également prise à parti et insultée de tous les noms (communiste, momie vivante) par des manifestants . Les concerts seront bien sûr annulés. Assaillie par les journalistes, la star déclara qu’elle ne veut pas donner d’explications sur les décisions qu’elle a prises au cours de sa vie, et qu’elle n’a rien à clarifier, que ses amis ont le droit de penser ce qu’ils veulent, en précisant que « si on vit dans un pays, on doit en accepter les lois » et qu’elle ne tient pas à trahir un pays qui lui a toujours été reconnaissant.
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Rosita Fornes est toujours une diva hautement respectée à Cuba et une invitée incontournable pour des festivités aussi diverses que l’élection de Miss travesti. Ses nombreux liftings lui ont permis de garder longtemps un visage défiant les outrages du temps. Elle affectionne toujours les tenues ultra glamour, les paillettes et le rose bonbon, même si à 86 ans passés, elle frise un peu le ridicule, il faut bien l’avouer . Ce qui ne semble pas gêner ses fans les plus acharnés, qui se composent à présent en grande partie d’homosexuels, fascinés et peut être amusés par cette diva éminemment camp.
Rappelons à cette occasion que certains d’entre eux furent enfermés dans les années 60 « en camp de travail » afin d’être « rééduqués », et qu’il y subirent des brimades et de mauvais traitements ;
L’ icône gay s’est dépensée sans compter pour les victimes du sida en chantant dans les hôpitaux.

Pour la retrouver au sommet de sa beauté et de son talent, il est possible de dénicher sur des sites cubains des Cds et DVDs de qualité plus que perfectibles mais qui nous permettent de découvrir une étoile lumineuse et d’une ineffable beauté. Et ceux qui auront la chance de visiter Cuba pourront toujours aller l'applaudir, puisque la diva est encore en activité.




vendredi 11 décembre 2009

Florelle, gosse de Paris







Ah! Florelle, c’est tout un personnage : une frimousse écrasée et chiffonnée au regard rieur et à la voix railleuse d’un titi parigot. Pétillante comme du champagne et à la fois incroyablement vulnérable , cette chanteuse possédait déjà près de 20 ans d’expérience dans les revues, quand elle a connu la gloire au tout début du cinéma parlant dans ces personnages de femmes de la rue, héroïnes ou victimes de la société. Aussi douée pour le pathétique que pour le vaudeville, cette môme à l’esprit frondeur représentait bien l’esprit du front populaire.

Née en 1898 en Vendée, la petite Odette est venue toute jeune à Paris où elle a goûté très vite à l’atmosphère du spectacle.
Sa maman était caissière au bar de la Cigale, qui accueillait les plus grandes vedettes de la chanson réaliste à la fin du 19ème siècle comme Eugénie Buffet, la pionnière du genre. Rappelons au passage que cette salle de spectacle mythique transformée longtemps en cinéma, a retrouvé sa fonction initiale depuis 20n ans grâce aux Rita Mitsouko. Le patron obligé de remplacer un petit garçon au pied levé, pousse la gamine sur les planches. Elle poursuit sa carrière à l’Européen sous le pseudonyme de Florelle(où elle joue un sketch avec Raimu « le marseillais et la parigotte« ) à la Scala ou au Bataclan où Mme Rasumi en fait une star. Dès 1918, on parle d’elle dans les journaux quand elle trouve par hasard , en pleine première guerre mondiale, des documents diplomatiques oubliés dans un taxi. Remarquée par Maurice Chevalier. elle tourne 3 films muets dont avec Chevalier et d’aucuns voient en elle la nouvelle Mistinguett ; c’était sans compter sur la solidité de la Miss, qui ne tient pas à laisser sa place à une plus jeune. Aussi, la jeune Florelle doit se contenter de participer aux tournées à l’étranger des revues crées à Paris par la Miss (comme Ça c’est Paris) ce qui la rend un peu amère même si elle est accueillie comme une reine à Cuba et en Amérique du sud. De retour à Paris en 1927, elle enregistre ses premiers disques de sa voix gouailleuse si facilement identifiable et prend la place de Mistinguett qui vient de rompre avec les dirigeants du Moulin Rouge, avant de rejoindre sur la scène de l’Européen, Henry Garat, future star du cinéma parlant avec lequel elle a une liaison tumultueuse alors qu‘elle est toujours mariée à un cubain rencontré lors de sa tournée. En 1930, apprenant que les studios berlinois mettent en chantier de nombreux films en multiples versions, elle décide de tenter sa chance en Allemagne., où on ne lui confie que de petits rôles dont une version espagnole. Grâce au soutien d’un ami figurant , elle décroche un bout d’essai pour l’opéra de 4 sous. Pabst , qui souhaitait Madeleine Renaud pour le rôle, ne la trouve pas assez jolie, mais Kurt Weill pense qu’elle serait parfaite pour la version française et lui apprend les chansons. Finalement le cinéaste donne sa chance à la jeune actrice qui devient célèbre du jour au lendemain. Toute sa vie, elle continuera à remercier le réalisateur « je n’avais plus un sou, plus rien et j’envisageais le pire : je lui garde une reconnaissance infinie ». Même s’il a beaucoup vieilli ce film possède toujours une atmosphère intense sur fond de pauvreté et de corruption, qui anticipe les films noirs américains.
Florelle devient une grande vedette des années 30 : en 5 ans, elle aligne pas moins de 33 films! Beaucoup sont des versions françaises de productions UFA tournées à Berlin, comme tumultes (1931) de Siodmak, où elle tient le rôle de la fiancée d’un gangster. On se souvient encore de sa chanson « qui j’aime » qui restera longtemps au répertoire de chanteuses réalistes et qu ‘Anna Prucnal avait reprise dans les années 80. La star reconnaît avoir un faible pour son personnage de Fantine dans la belle adaptation des misérables par Raymond Bernard. Vraie gosse de Paris, la chanteuse au triste sourire n’a aucun mal à se fondre dans l’univers sombre et le pathos du roman de Victor Hugo qui ressemble à celui des chansons réalistes de son répertoire. Elle y est particulièrement touchante . Souvent rediffusé au cinéma de minuit, Liliom de Fritz Lang 1934 est un des ses films les plus mémorables. Dans cette première version de Carrousel, elle est épatante en patronne de manège qui s’accroche à Charles Boyer. L’année suivante, elle est encore très remarquée dans la version française des dieux s’amusent, une opérette allemande très enlevée .
Elle tourne ensuite sous la direction de Jean Renoir (qu’elle appréciait fort peu) le crime de Monsieur Lange, un film reflétant les aspirations du front populaire. Si Florelle n’enregistra pas la chanson du film, elle a gravé pas mal de 78 tours pendant son heure de gloire. Pour l’amateur de chansons réalistes que je suis, l’écouter est toujours un régal, car son interprétation expressive est toujours soulignée par une forte émotion chevillée à la gorge : j’affectionne plus que tout la chanson Escales, du film ma tante d’Honfleur, qui me touche toujours autant, sans parler du fameux qui j’aime déjà cité ou de sa reprise de fascination. Dommage que les éditions Chansophone qui avoient édités un premier volume de ses chansons en CD n’aient pas persévérés (le disque n’a peut-être pas remporté le succès espéré?).
Contrairement à ce qu’elle a souvent prétendu, ce n’est pas la guerre qui a mis fin à sa carrière : la popularité de la môme gouailleuse était déjà en perte de vitesse à la fin de la décennie (peut être lassé par un bon nombre de mauvais films dans lesquels on l'avait trop vue?), et Arletty, sa partenaire d’Amants et voleurs l’avait supplantée dans le cœur du public. Aussi, faute de projets cinématographiques, l’actrice s’était produite sur scène dans une opérette de Kurt Weill Marie galante qui malgré ses superbes chansons (j’attends un navire) , n’a pas obtenu un succès populaire. Remariée à un dompteur d’ours blancs du cirque Amar, l’actrice aux yeux rieurs se chargea de la gestion d’un café à Montmartre puis au Maroc. Elle prétendra plus tard avoir refusé
de tourner sous l’occupation (alors qu’elle a pourtant joué dans une production de la Continental, les caves du Majestic d’après Simenon en 1944!). Florelle est entrée dans la résistance pendant la guerre. Les nazis lui ont volé tous ses biens (17 millions d’alors) et saccagé son appartement à plusieurs reprises pendant son voyage au Maroc.
A la libération, les producteurs ne veulent plus miser sur une artiste oubliée du public, trop identifiée à la période du front populaire. Ses tentatives pour renouer avec le succès sur les scènes bruxelloises et parisiennes sont des échecs. Afin d’essayer de s’en sortir, actrice aurait alors pris contact avec tous ces anciens partenaires de l’écran pour solliciter leur aide, mais sans succès. Dans l’écran français comme dans Ciné monde, la star déchue pleurniche sur sa gloire passée (« je ne vais pas me tuer parce que personne ne veut de moi« , en en rajoutant; : en effet, même si elle a certainement perdu pas mal d’argent dans les cafés qu’elle a ouvert en Cote d’Ivoire et au Maroc, et la gestion d’une salle de cinéma (elle a fait l'objet d'un redressement fiscal pour 107 millions d'anciens francs), contrairement à ses allégations, elle n’est nullement tombée dans la déchéance et possède une jolie villa aux Sables d’Olonne. Émus par ses amères confessions dans les journaux et l‘image pathétique de la petite actrice aux traits fatigués, certains cinéastes et non des moindres lui confient encore des seconds rôles dans les années 50 (Oasis de Marc Allégret, Gervaise de René Clément). Puis le rideau de l’oubli finit par tomber définitivement sur la comédienne. De retour aux Sables d’Olonne, sa ville natale, elle ouvre un énième café. Blessée dans un accident de voiture, elle se remet difficilement de ses blessures. Transférée en hôpital psychiatrique, elle finit sa vie en 1974.

jeudi 3 décembre 2009

Ludmilla Tcherina, somptueuse étoile de la danse




Avec ses cheveux de jais, son regard troublant légèrement asymétrique, la belle Ludmilla Tcherina avait outre son charme slave de jolie sorcière, un éblouissant talent pour la danse classique qui l’a menée sur les plus grandes scènes du monde où elle a prêté sa sensibilité et son charisme à des spectacles qui ont révolutionné l‘art de la danse. Si la belle artiste avait plus d’une corde à son arc : la peinture, la sculpture, l’écriture de romans, la comédie , les cinéphiles reteindront surtout ses prestations dans les films du grand Michael Powell, qui fasciné par la troublante ballerine, lui a offert ses plus beaux rôles à l’écran.

Née à Paris en 1924, d‘une mère française et d‘un père géorgien, prince exilé recherché par les nazis, la petite Ludmilla débuta très jeune comme ballerine dans les Nouveaux Ballets Russes de Monte-Carlo où elle dansait régulièrement avec Serge Lifar , notamment le Romeo et Juliette de Tchaïkovski. Elle a travaillé ensuite avec les Ballets des Champs Elysées, à l'Opéra de Paris ainsi qu'à la Scala de Milan. La discipline était très stricte, et les séances de cinéma étaient pour la jeune fille la meilleure des récréations (son idole était alors Greta Garbo).
Peu après la libération, le réalisateur Christian Jaque cherche une danseuse pour donner la réplique à Louis Jouvet dans son nouveau film un revenant . Le bout d’essai de Ludmilla ne retient pas son attention. Pourtant quand il remarque une photo de la danseuse en couverture de Paris Match , il change d’avis. Hélas, la ballerine a quitté paris pour Monté Carlo et c’est grâce aux services de SVP que le réalisateur va trouver son étoile, et que va s‘amorcer sa carrière à l‘écran.
En effet, Hollywood la sollicite déjà et lui propose de gagner les USA avec d’autres débutantes comme Martine Carol, Jacqueline Pierreux et Corinne Calvet : seule la dernière franchir le pas.
Le public lui décerne un prix de comédie pour la nuit s’achève, un mélo de la pire espèce (gravement accidenté, un homme demande qu’on lui prélève les yeux afin de rendre la vue au fiancé de la femme qu’il aime) qui sera assassiné par la critique.
D‘une très grande ouverture d‘esprit, Ludmilla Tcherina éprouve vite le besoin d’élargir au maximum ses horizons artistiques. Elle passe ainsi d’un rôle secondaire dans le magnifique film de Powell et Pressburger « les chaussons rouges » à une opérette filmée avec Luis Mariano (Fandango), qui a l’époque sera présentée comme le meilleur film en date du célèbre chanteur. Elle joue même sur scène dans une assez désastreuse opérette de Paul Misraki avec Yves Montand et Henri Salvador, autres artistes promis à un brillant avenir.
Michael Powell ne se tarit pas d’éloges à son sujet : Elle est pour lui « une amie admirable, une artiste disciplinée et exceptionnelle. » Il lui confie un rôle bien plus marquant dans les comtes d’Hoffman. Telle un superbe fantôme, la belle Ludmilla incarne la courtisane Guilietta , dans la plus poétique séquence du film sur l‘air de la barcarolle. (enfin, c’est un avis personnel, lors d’une reprise en 1975, la revue Positif parlera de numéro sombre, outrancier, décadent, affreusement mal joué par Ludmilla).

Le film est un triomphe personnel pour la ballerine qui lui ouvre grandes les portes du cinéma international, mais aussi une tragédie, car son mari Edmond Audran, qui dansait à ses cotés dans le film (et qui avait été pressenti par Abel Gance pour jouer le rôle du Christ), meurt dans un accident de voiture à la fin du tournage.
Bouleversée, Ludmilla Tcherina ne souhaite plus danser sur scène. Pendant deux ans, elle ne se consacre qu’au cinéma et la peinture, un violon d‘Ingres qui la détend. La presse britannique lui prète à cette époque une aventure avec Robert Taylor. Mais c'est Raymond Roi, son second mari, un promoteur immobilier, qui l'encourage à remonter sur scène, et fonde à ses cotés une troupe de ballet d’avant-garde, basé autant sur la danse que la dramaturgie.
Loin de cette quête d’un « art total » (pour reprendre les mots de l‘artiste), la belle se compromet au cinéma dans des séries B plus proches du « nanar total » comme le signe du païen avec Jeff Chandler ou la fille de Mata Hari. On retiendra davantage une énième version de l’opérette la chauve souris « Oh Roselinda » à nouveau sous la direction de Michael Powell. Très critiqué à sa sortie, le film a pourtant toute l’insolence et le pétillant nécessaires, et mériterait une édition en DVD.


Lune de miel (1959), réalisé en Espagne par Michael Powell est surtout mémorable pour sa musique de Mikis Theodorakis (l’air principal sera un tube par Gloria Lasso, repris même par les Beatles) et les superbes ballets menés par Léonide Massine. La même année, elle crée le ballet les amants de Teruel œuvre fascinante s’appuyant sur les amours malheureuses de Diego de Marcilla et d'Isabelle de Segura, ensuite adaptée à l’écran par Raymond Rouleau et fera partie de la sélection officielle de la France au Festival de Cannes en 1962. Il y obtiendra le Prix spécial de la Commission Supérieure Technique. Si l’on en croit les critiques de l’époque, il s’agissait d’une Somptueuse féerie en couleurs, réussissant avec brio la fusion de deux genres, l’intégration parfaite, grâce à la technique du cinéma, de la danse et de la dramaturgie. Comme Stanley Donen pour un américain à Paris, Raymond Rouleau s’était inspiré de peintres célèbres (Picasso, de Chirico) pour certains tableaux. En dépit de la musique magnifique d‘Hadjidakis (l’air principal sera enregistré par Edith Piaf en fin de carrière), le coté théâtral et avant-gardiste repoussera le public.
Là aussi, on ne peut que regretter qu’un film aussi mythique n’ait plus jamais été exploité par même en VHS.

Si l’échec du film éloignera Ludmilla des écrans, son succès sur scène est extraordinaire.
En 1958, Jean Renoir écrit pour Ludmilla le livret du ballet, "Le Feu aux poudres"dont il assure aussi la mise en scène. Hélas, le spectacle ne sera pas transposé à l’écran.


Elle est la première danseuse occidentale à se produire au Bolchoï à Moscou et au Théâtre Kirov à Leningrad. Sa prestation dans le ballet Martyre de saint Sébastien de D'Annunzio et Debussy en 1957, est unanimement appréciée. Je me souviens très bien d’avoir vu enfant une adaptation télévisée de ce spectacle, et d’avoir été ébloui par la fascinante ballerine, qui vivait son personnage avec une intensité rare. A la fin du ballet, dans un moment d’une rare audace , elle était transpercée de flèches qui émaillaient son collant, et découvraient presque entièrement son corps.

Habituée de l’Élysée et de Matignon depuis la 4ème république, Ludmilla Tcherina avait tissé des liens étroits avec beaucoup d’hommes politiques et surtout André Malraux (qui la surnommait Cléopâtre), laissant planer quelques doutes sur la nature exacte de leur relation . Beaucoup affirment qu’elle a succédé dans sa vie à Louise de Vilmorin. Pourtant, Malraux se défendait d’être son amant et de l’avoir un jour embrassée même sur la joue, peut être un peu irrité par les sarcasmes et railleries faisant suite aux articles trop élogieux qu‘il avait rédigé pour une exposition des peintures de la ballerine à l‘Hôtel de Sully en 1973. En tous les cas, les solides appuis de Ludmilla n’empêcheront pas son mari d’être inculpé pour escroquerie dans une sombre affaire de placements immobiliers. Incontournable personnage du tout Paris, Ludmilla continuera d’assister aux galas les plus mondains et aux défilés de mode les plus prisés, avec le même calme marmoréen et des décolletés plongeants, souvent flanquée de son ami Jacques Chazot. Il parait qu'elle s'interdisait de sourire, afin d’éviter la formation de la moindre ridule, et portait toujours un énorme ruban ou turban pour tendre ses traits.
Elle envisageait dans les années 80 de réaliser un film sur la danse, mais des problèmes financiers l’ont forcé à renoncer à son cher projet. La belle s’est alors tournée vers l’écriture et la sculpture (réalisations pour le Bicentenaire (1989), pour l'Exposition universelle de Séville (1992) et pour l’inauguration de l’Eurotunnel.)
Ludmilla Tcherina est décédée d’un cancer en 2004. Afin d’apprécier plus justement l’ouvre de cette artiste une réédition en DVD de ses ballets filmés, d’Honeymoon et des Amants du Teruel s’imposerait. Si un éditeur tombe par hasard sur ces lignes…

samedi 21 novembre 2009

Aliki Vougiouklaki, insouciante BB grecque









Piquante et sexy, blonde au regard coquin, la mignonne Aliki Vougiouklaki fut un peu l’équivalent de Brigitte Bardot en Grèce à une époque où le cinéma de ce pays connaissait son apogée et également une fugace ouverture sur l’étranger. Si le public français n’a jamais vraiment accroché (seuls quelques films de la vedette sont sortis en France à la sauvette pendant la vogue du sirtaki), la jolie pin up a recueilli un succès certain en Espagne et encore plus en Turquie et en Israel. Malgré son décès elle conserve encore une certaine aura en Grèce, et la biographie rédigée par son fils et le téléfilm qui en fut tiré très récemment ont fait couler beaucoup d’encre. Bien plus que ses talents réels de comédienne (pas toujours reconnus à leur juste valeur) et de chanteuse (plus contestables), c’est son image d’une impudente et éclatante jeunesse qui ont fait sa gloire.
Née en 1933, Aliki a connu bien des drames dans son enfance. Après avoir réchappé de peu à une pneumonie alors qu’elle était un nourrisson, elle perd son père assassiné par les nazis pendant l’occupation allemande. Fascinée par Garbo et Mary Pickford, la fillette prend goût pour le théâtre lors des fêtes scolaires. A 19 ans, elle remporte le concours d’entrée de l’école nationale d’art dramatique où elle fait son apprentissage en jouant dans des pièces de Molière. Travailleuse et ultra professionnelle, on raconte qu’il ne lui a fallu que 3 jours pour apprendre les dialogues de Roméo et Juliette et remplacer une collègue malade. Avec une tel bagage, on aurait pu s’attendre à une carrière de comédienne classique , mais le cinéma va changer sa trajectoire. Après un premier film en 1954 (la souris, une adaptation de Pygmalion), l’actrice gagne du galon en quelques années dans une série de comédies faciles produites par la firme Finos où elle incarne de jeunes filles effrontées comme dans Aliki au collège (1960) où elle campe avec aplomb une collégienne amoureuse de son professeur. Parallèlement, elle triomphe sur scène dans la version grecque de l’opérette my fair lady (1958). En 1960, Aliki remporte le premier prix d’interprétation du festival de Salonique (pour la Mantalena, son premier très grand succès où elle entonne quelques jolies mélodies d’Hadjidakis , compositeur très réputé , qui fera beaucoup pour l’essor de la musique grecque dans le monde entier).
Mais plus que la reconnaissance des critiques, Aliki savoure la ferveur du public populaire qui l’acclame avec ardeur. Son personnage de fille du peuple, simple mais très sexy fait l’unanimité d’Athènes à Corfou. Le prince héritier Constantin II est également sous le charme, et les journaux évoquent une possible liaison. La raison d’Etat étant la plus forte et la vie n‘étant pas toujours un conte de fée , le prince n’épousera pas la BB grecque mais Anne-Marie du Danemark, fille du roi Frédérick IX. Aliki peut toujours se consoler avec ses succès cinématographiques. La fille de l’amiral (à ne pas confondre avec le musical hollywoodien de Roy Rowland) sorti en 1961 bât tous les records d’entrée en Grèce (590 000 entrées, un chiffre inouï pour l‘époque), et près de 50 ans plus tard demeure le troisième plus gros succès de l’histoire du cinéma grec!
Il s’agit comme la plupart de ses films d’une comédie musicale un peu simplette (pour rejoindre son fiancé engagé dans la marine, une jolie blonde se déguise en moussaillon ) agrémentée d’airs folkloriques entraînants. La voix d’Aliki n’a rien d’extraordinaire, mais se laisse écouter, et son charme juvénile à mi chemin entre Sandra Dee et Sophie Daumier fait mouche. Si la vedette grecque fait sensation au festival d’Édimbourg, les tentatives des producteurs pour l’imposer au public anglais échouent . Aliki my love (1963), son premier film anglais , réalisé par Rudolph Maté, pour lequel elle a collaboré au scénario et qui la présente sous un jour encore plus sensuel, est un gros flop (en raison notamment des grosses difficultés de la comédienne avec la langue anglaise).
En dansant le sirtaki (1966) vise également un public international, sous le charme des rythmes hellènes depuis le succès du film Zorba le grec. En épouse jalouse d’un peintre en bâtiment, l’artiste tente de faire mûrir son personnage d’éternelle adolescente mais sans grand succès si l’on en juge par les résultats du film aussi bien en Grèce qu’à l’étranger. Elle y donne une fois de plus la réplique de Dimitris Papamichael, qui deviendra également son mari dans la réalité pour la plus grande joie de ses fans (ils auront un fils en 1969). Elle le retrouve dans Notre amour, adaptation bien peu convaincante d’une étoile est née à la mode grecque. Si le petit film parait presque ridicule à coté des chefs d’œuvre hollywoodiens, Aliki y révèle un vrai talent dramatique et une forte capacité d’émotion.
Soucieuse de rétablir une carrière un peu déclinante, la comédienne n’hésite pas à reprendre ses rôles d’adolescentes effrontées dont elle n’a plus l’âge. C’est pourtant un film de guerre et une composition dramatique qui vont rétablir son statut d’étoile nationale : Lieutenant Natacha (1972). Elle y incarne avec talent une veuve qui rentre dans la résistance. Capturée et torturée par les nazis, elle devient amnésique et perd l’usage de la parole . C’est un triomphe encore plus grand que la fille de l’amiral. Le film reste à ce jour le plus gros succès du cinéma en Grèce. On la retrouve ensuite dans un remake de Johnny Belinda qui avait valu jadis à un oscar à Jane Wyman. Encore un rôle difficile (de sourde muette victime d’un viol) dont elle se tire remarquablement.
Après son divorce avec Dimitris Papamichael le déclin du cinéma grec, Aliki va essentiellement poursuivre sa carrière sur scène dans des opérettes comme la mélodie du bonheur ou Cabaret, avec beaucoup de bonheur. De passage à Athènes, Laurence Olivier subjugué par son interprétation du musical Évita déclaré qu’il n’avait jamais vu une meilleure incarnation du personnage. On peut lui faire confiance !
Décédée à l’âge de 63 ans d’un cancer au pancréas, celle qui avait si bien incarné l’insouciance et la jeunesse eut droit à des funérailles nationale. Elle continue de déchaîner les passions dans son pays si l’on en juge par les réactions lors de la sortie de la biographie que son fils lui a consacré ou du téléfilm qui en fut tiré, jugé indigne de sa personne.
Pour les cinéphiles qui souhaiteraient la découvrir, rappelons que la firme Finos ressort son catalogue sous forme de coffrets, avec des sous-titres anglais.


mercredi 11 novembre 2009

Mona Goya, l'optimisme incarné







Pimpante et gaie, la blonde Mona Goya a promené son personnage naturel de bonne vivante dans un nombre important de comédies souvent musicales du cinéma français des années 30. « Vedette moyenne d’un cinéma moyen » pour reprendre la plume assassine d’un critique indélicat, la fantaisiste n’a certes pas toujours fait preuve de beaucoup de discernement dans le choix de ses rôles. Il semble même qu’elle ne refusait aucun projet qu’on lui présentait. Mais le public populaire d’avant guerre savait que sa présence sur une affiche garantissait bonne humeur et drôlerie et c’était l’essentiel.
Née en 1909 à Mexico de parents français, Mona Goya a très tôt manifesté l’envie de faire du music hall. Encouragée par sa maman, la jeune fille démarche les studios de cinéma avec une série de photos sous le bras. Germaine Dulac, l’ambitieuse célèbre réalisatrice avant-gardiste la remarque et lui confie un petit rôle dans l’oubliée « rêve cinématographique « sur la vie d’un ouvrier victime du cinéma! Mona Goya parait l’année suivante dans l’argent, le chef d’œuvre de Marcel Lherbier avant de trouver enfin un premier rôle dans l’effet d’un rayon de soleil, étonnante et fort drôle première œuvre de Jean Gourguet, dans le sillage de René Clair.
Néanmoins compte tenu des aléas traversés par l’industrie cinématographique française à l’orée du parlant, la jeune comédienne se retrouve sans emploi et réduite à faire de la réclame pour des boîtes de conserve. Tentant le tout pour le tout, elle s’exile ensuite en Angleterre afin de solliciter un rendez-vous avec les studios Elstree qui lui confient un rôle dans the lady from. the sea avec le futur Ray Milland.
Avec l’avènement du cinéma sonore, les studios hollywoodiens sont en quête de comédiens maîtrisant les langues étrangères pour jouer dans les adaptations de films américains destinés aux publics étrangers. En effet, la technique du doublage n’était pas encore utilisée et les grands studios , qui ne tenaient pas à perdre le marché lucratif européen n’hésitaient pas à mettre en chantier des versions multiples. Une aubaine pour une jeune actrice polyglotte en devenir comme Mona Goya.
On la retrouve ainsi à Hollywood au générique des versions françaises de Jenny Lind (dont la vedette est Grace Moore) et de Soyons gais (où elle reprend le rôle de Sally Eilers). De cette époque bénie, Mona Goya conservera le souvenir des week-end passés avec le couple Feyder/ Françoise Rosay , bouée de secours des français expatriés. La solitaire Garbo était d’ailleurs une invitée fréquente des fêtes organisées par les deux artistes.
Parmi les films de cette période américaine, Révolte dans la prison (1930) du grand Paul Fejos est probablement le meilleur et en tous cas le plus populaire (aussi bien dans ses versions anglaises que françaises). Le principe des films en multi versions va vite être abandonné pour des raisons économiques, grâce procédé du doublage (qui au départ provoquera quelques réticences : les dialogues étaient traduits tels quels, et ne correspondaient plus aux mouvements des lèvres des acteurs). En outre, il faut tout simplement reconnaître que le public français et étranger avait envie de revoir les vedettes américaines et pas des artistes de 2ème catégorie en train de les imiter. En tout état de cause, Mona Goya avait eu le temps de se faire un nom, et à son retour en France, ne sut où donner de la tête ; on la retrouve ainsi au générique de la bande à Bouboule, comédie marrante avec le très populaire Milton ou des comédies musicales comme les époux célibataire de Jean Boyer, le réalisateur français le plus prolixe dans ce genre spécifique avec le très bon chanteur Fred Pizzela, trop tôt disparu. Après les versions françaises de films américains, Mona se frotte aussi à une adaptation d’un film allemand , le musical Cavalerie légère (1935), adaptation elle reprend le rôle de Marika Rökk, vedette hongroise partageant la même image optimiste et joyeuse. Elle épouser son partenaire du film, le très oublié Fernand Fabre.
On se souvient surtout de ses apparitions aux cotés de Fernandel et notamment de l’hilarant François Ier (elle incarne la belle ferronnière) et de la fameuse scène de la chèvre qui a fait les belles heures de la séquence du spectateur.
En 1939, Mona Goya remporte un beau succès dans Feux de joie, un des meilleurs films de l’orchestre de Ray Ventura dont est tirée le célèbre ça vaut mieux que d‘attraper la scarlatine. Comme un dernier pied de nez avant un cataclysme, elle pose en maillot de bain , en imitant Hitler dans le dernier numéro de Cinémonde paru juste avant la débâcle.
Pendant l’occupation, la vedette reste très active. Tout en paraissant dans des comédies peu ambitieuses, l’artiste tente de diversifier ses activités en s’essayant au tour de chant dans le cabaret de Suzy Solidor puis les plus grands music hall de l’époque comme l’ABC ou Bobino. Curieusement, elle préfère le genre réaliste aux gaudrioles et se consacre avec opiniâtreté à son nouveau job en prenant des cours de chant. Ses enregistrements (la chanson du film caprices ou de l’aventure est au coin de la rue) révèlent d’ailleurs une voix juste et bien timbrée mais assez impersonnelle. Edith Piaf qui apprécie beaucoup sa fantaisie et son sens de la fête lui confiera certaines chansons. A son répertoire figurait aussi Yes Sir le tube de Zarah Leander, si populaire pendant cette sombre période.
Alors qu’elle est toujours l’épouse de Fernand Fabre, Mona Goya va vivre une courte liaison avec Sacha Guitry, séduit par sa verve et son franc parler qui n’hésite pas à s’afficher lors des premières avec sa femme et sa maîtresse. D’ailleurs, il les met toutes les deux en scène dans Donne moi tes yeux (1943), un film calqué sur les démêlés conjugaux du fameux dramaturge (un sculpteur fait semblant d‘être épris d‘une chanteuse pour rendre sa femme jalouse)
dans lequel Mona case également une chanson.
Après guerre, Mona Goya continue de paraître dans diverses comédies populaires, notamment aux cotés de Bourvil, mais dans des rôles de moindre importance.
Au théâtre, elle triomphe en revanche dans Clérembard de Marcel Aymé, où son personnage de la langouste, prostituée haute en couleurs lui vaut les meilleurs critiques de sa carrière.
Luttant depuis des années contre un cancer, et prématurément vieillie, Mona Goya n’est plus la vamp d’autrefois et peine à poursuivre sa carrière à la fin des années 50. Sa vieille amie Edith Piaf n’oublie pas de lui réserver un rôle pour son dernier film les amants de demain (1958). C’est à peine si on la reconnaît dans les vieux de la vielle (un classique de Gilles Grangier qui autrefois repassait sans arrêt à la télévision) où elle donne la réplique à Jean Gabin, son acteur favori, tant sa silhouette est alourdie et ses traits fatigués.
Mona Goya nous a quitté en 1961 à 52 ans seulement. La médiocrité de la plupart de ses films et aussi le fait que certains soient totalement invisibles depuis des lustres (je pense notamment aux versions françaises des films américains, jamais rediffusées ….et s’il y avait des pépites cachées?) expliquent pourquoi la comédienne est fort peu connue des moins de 60 ans. Dommage.

dimanche 25 octobre 2009

Kirsten Heiberg, femme fatale du cinéma nazi









Demi-sourire énigmatique à la Mona Lisa, regard troublant, jambes parfaitement galbées, la norvégienne Kirsten Heiberg avait tous les atouts pour remplacer Marlène Dietrich (qui avait toujours refusé farouchement les propositions d’Hitler) dans le monde dangereux du cinéma nazi. Seulement la place était déjà prise par la suédoise Zarah Leander, façonnée par Goebbels et les studios UFA pour incarner à l’écran les personnages de grandes amoureuses qui avaient fait la gloire de Garbo et Dietrich. Malgré tout, la très belle Kirsten réussira à s’imposer dans une quinzaine de films, des opérettes, des drames ou des films d’espionnage anti-britanniques et anti-soviétiques. Elle connaîtra les mêmes déboires que sa célèbre rivale à la fin de la guerre, et ne parviendra jamais à rebondir et à retrouver sa notoriété initiale. Très oubliée, y compris dans son pays natal, l’ex-star du III ème Reich a néanmoins fait l’objet cette année d’un spectacle en Norvège intitulé «du glamour pour Goebbels»
Née en 1907 à Oslo dans une famille d’artistes très aisée (le compositeur Edvard Grieg était un ami des parents), Kirstein a d’abord suivi des cours de théâtre au collège avant de poursuivre ses études à Lausanne, à Paris puis à Oxford afin d’y perfectionner les langues étrangères. Au début des années 30, elle fait ses premières armes avec sa sœur au théâtre à Bergen puis à Oslo avant de débuter au cinéma dans Sangen om rondane, un film romantique très réussi et Pêcheurs dans le soleil d’été, adaptation d’un roman norvégien à succès
On la retrouve ensuite dans 3 films suédois : si les studios de Stockholm avait déjà perdu beaucoup de leur réputation mondiale depuis le muet, ce virage représente pourtant un progrès dans la carrière de la jeune actrice, qui pousse également la chansonnette. Un répertoire de diseuse et une voix un peu rauque qui rappelle fort les premiers enregistrements de celle qui va bientôt se retrouver sur sa route : Zarah Leander. En 1937, la chanteuse tente sa chance à Vienne, tremplin de choix pour une carrière internationale. Si sa candidature n’est pas retenue pour l’opérette «Axel aux portes du paradis» qui fera le triomphe de Zarah Leander, Kirsten se fait remarquer dans la revue Pam pam. Le succès est tel que la revue française Pour vous s'en fait même l'écho en décembre 1937 et prévoit pour la nouvelle vedette une carrière à Paris puis Hollywood! Kirsten rencontre le compositeur Franz Grothe, auteur de nombreuses chansons pour le cinéma, Pola Negri , et l’orchestre de Dajos Bela qui devient son mari et la conduit à Berlin. Alors que Grothe discute d’un projet de film (C’est la faute à Napoléon) avec l’humoriste Curt Goetz, ce dernier lance avec regret «dommage que ta femme ne joue pas, elle ferait une parfaite Joséphine de Beauharnais …», le compositeur lui apprend que son épouse a déjà plusieurs films à son actif. Elle est donc lancée en Allemagne en 1938 dans cette comédie très réussie (récemment restaurée et disponible en DVD). Les jambes gainées de soie, une touffe de plumes à la main, la nouvelle Dietrich fait son petit effet. D’autant plus que sa silhouette irréprochable la démarque de la replète Zarah. L’actrice est très remarquée : Hitler demande à compulser son dossier tandis que Gœbbels, grand amateur de jolies femmes, note dans son journal qu’il s’agit d’une découverte aux multiples talents.
En 1939, Kirsten est la vedette de femmes pour Golden Hill, un curieux western allemand. Clope au bec, en négligé révélateur, elle chante «je sors avec les hommes mais n’appartient à aucun» tout en jouant les vamps amorales dans un village de réfugiés venus chercher fortune en Australie. La presse ne manque pas de remarquer à quel point la vedette rappelle, y compris vocalement, la Zarah Leander de Paramatta. Pourtant il serait réducteur de voir uniquement en Heiberg un clone de Zarah. La diva suédoise , à la voix infiniment plus puissante et musicale avait davantage un talent de star dramatique dont le sens du pathos brille dans des mélos comme le Chemin de la liberté où elle affronte bravement mille périls, alors que Kirsten était finalement plus proche du personnage de Dietrich, en vamp énigmatique et sexy, dangereuse prédatrice.
En 1940, Kirsten donne la réplique au fameux chanteur d’opéra Benjamino Gigli dans les versions allemandes et italiennes de Légitime défense avant de se compromettre dans un film de propagande «Attention l’ennemi écoute », qui sera interdit après guerre. Ici, l’ennemi est anglais, et Kirsten une dangereuse espionne. Même on peut reprocher à l’actrice , qui a pris la citoyenneté allemande en épousant Grothe, d’avoir accepté ce genre de films, on notera quand même qu’elle a refusé d’entrer au parti nazi et exprimé sa colère face à l’occupation de la Norvège.
Elle sera d’ailleurs lourdement sanctionnée par le régime et interdite de films pendant deux ans. Certaines chansons que son mari a composé pour elle, seront finalement confiées à Marika Rökk ou d’autres artistes. Le projet d’une adaptation de l’opérette Axel aux portes du paradis (rôle qu’elle avait failli tenir à Vienne) prévu pour 1941 sera dès lors ajourné et ne gagnera les écrans qu’en 1943 sous le titre Liebespremiere. Il reste d’ailleurs fort peu de choses de l’amusante satyre du star système hollywoodien, dans ce film où même les chansons ont été changées. Sur ce point, on n’y perd pas forcément car les nouvelles compositions de Grothe figurent parmi les plus jolies du répertoire de Kirsten. Si le film passe pour être le plus coûteux film musical de l’ère nazie, les passages musicaux sont bien décevants car mal filmés et finalement bien inférieurs aux fastueux films que Jacoby a réalisé pour Marika Rökk. En revanche, Kirsten est délicieuse, notamment quand elle danse avec son smoking et chapeau haut de forme.
En 1943, Kirsten figure parmi les têtes d’affiche de Titanic, film catastrophe anti-britannique qui insiste sur le fait que le naufrage serait la résultante de la cupidité de la ploutocratie juive. Le réalisateur Herbert Selpin finira pendu dans les geôles de la gestapo, après voir fait des remarques sur le scénario du film. Les scènes du naufrage, fort réalistes (elle seront d‘ailleurs empruntées pour le remake américain de 1953), seront jugées si déprimantes par Goebbels que le film ne sortira pas en Allemagne, pour ne pas saper le moral des allemands et sa diffusion sera réservée aux pays occupés comme la France. Si le portrait de Kirsten figure en prééminence sur l’affiche française, son rôle est bien discret par rapport à celui de la vamp Sybille Schmitz qui joue à fond la carte du kitsch et éclipse de loin sa partenaire. On la remarque bien davantage dans l’Araignée d’or, en espionne russe parachutée en Allemagne pour récupérer des informations secrètes. Force est de reconnaître que le film est très habile, et vaut les films d’espionnage anti-allemands tournés à Hollywood à la même époque. Seuls les ennemis sont différents. On peut d’ailleurs être surpris de constater qu’un régime aussi abject concevait en fait des films assez similaires aux studios américains. En tous les cas, la vue de Kirsten, en perruque blonde et robe dorée, devant la toile d’araignée de son cabaret vaut le coup d’œil.
Jusqu’à la fin de la guerre, Kirsten comme bien d’autres va enchaîner des films dans les studios blindés et ouatés de Babelsberg à l’abri des réalités quotidiennes et de la déconfiture allemande. Certains seront post synchronisés après guerre et diffusés à Berlin est, et d’autres perdus à jamais.
En 1945, la star sera retrouvée par l’armée soviétique dans la cave d’un hôtel où elle se cachait.
Avec les nombreux films de propagande qui ternissent sa filmographie, on peut imaginer les ennuis que Kirsten Heiberg rencontra après la guerre, notamment dans son pays natal où elle est considérée comme une collaboratrice. Divorcée de Franz Grothe, l’actrice a bien du mal à retrouver des rôles. Après avoir mené une revue à Hambourg, elle parvient néanmoins à tourner dans une poignée de films à la fin des années 40 (Hafenmelodie, Amico), sans renouer avec le succès . De retour en Norvège, où on ne lui pardonne pas sa carrière allemande, l’actrice trouve quelques rôles au théâtre dans des registres très disparates et dirige une école dramatique. Elle fait sa dernière apparition sur les écrans allemands dans Près de toi chérie, bio pic sur la vie de Théo Mackeben. Elle y campe une chanteuse désabusée que le compositeur retrouve en plein désarroi et chante un succès que Mackeben avait jadis composé pour Lida Baarova dans le film Patriotes. On ne sait pourquoi la star avait fait stipuler dans son contrat que le film ne serait pas projeté en Norvège (pour éviter encore une levée de boucliers dans les journaux?), en tous les cas l’engagement ne fut pas respecté.
En 1966, Kirsten trouve un minuscule rôle de femme déchue dans broder Gabrielsen dans un film intéressant sur le fanatisme religieux qui suscitera une vive controverse dans son pays. Elle meurt d’un cancer en 1976, totalement oubliée.
Un spectacle musical «du glamour pour Goebbels» vient pourtant de la mettre à nouveau en lumière dans son pays.
Pour redécouvrir cette fascinante star d’une bien triste période, on peut visionner sur youtube des extraits de ses films d’une grande rareté, qu’un fan a eu la gentillesse de mettre en partage.