jeudi 9 décembre 2010

Marilyn Monroe, divine et vulnérable






Depuis que je tiens ce blog consacré aux vedettes du cinéma musical du monde entier, j’ai reçu plusieurs MP d’internautes s’étonnant de l’absence de Marilyn Monroe, alors que tant d’actrices mineures et sombrées dans l’oubli étaient évoquées. Compte tenu de la dimension mythique de la star, il est vrai que je ne savais comment ébaucher ce portrait d’une artiste à laquelle d’innombrables ouvrages ont été consacrés dans le monde entier. Aussi, je prends mon courage à deux mains et je me lance !!

Née en 1926 de père inconnu (un homme marié) et d’une maman monteuse à la Columbia puis à la RKO, Norma jean Mortenson a connu une enfance très malheureuse. Souffrant de graves troubles psychologiques, sa maman est contrainte de placer la fillette à l’orphelinat et dans des foyers. Le cinéma et le star system (notamment Ginger Rogers) lui permettait de s’évader de la réalité. Pour échapper à l’internat, elle se marie très jeune puis pose pour des photos dénudées. Remarquée par Ben Lyon, acteur des années 30 et époux de Bebe Daniels,(qui la rebaptise Marilyn en hommage à Marilyn Miller star des années 20) elle décroche un bout d’essai et un contrat à la Fox. Mais ses figurations sont coupées et l’aspirante vedette a du mal à s’imposer, et prend des cours de comédie et gagne sa vie comme call girl. Elle décroche enfin un rôle de stripteaseuse dans un musical de série B où elle gazouille sensuellement deux chansons. Grâce au soutien du producteur Joseph Shenck, la jolie Marilyn, dont le nez a été corrigé par la chirurgie esthétique, déniche quelques rôles de ravissantes idiotes ; elle participe à des films aussi prestigieux qu’Eve (1950) ou Quand la ville dort qui vont constituer des tremplins de choix pour sa carrière. Après l’avoir longtemps négligée, le patron de la Fox, Darryl Zannuck semble enfin prendre conscience du potentiel de la blonde, en lui confiant des rôles de plus en plus importants, et en déclenchant une vaste campagne publicitaire pour mettre en valeur le charme et la sensualité de la nouvelle bombe. Il maîtrisait parfaitement cet aspect commercial, car il avait beaucoup contribué à l’énorme popularité de la pin up Betty Grable pendant la guerre. Néanmoins, il paraissait évident que les jours de gloire de la cocasse pin up girl de 35 ans étaient comptés et qu’il fallait lui trouver une remplaçante plus jeune pour Les hommes préfèrent les blondes. Les méthodes de la Fox pour fabriquer une star populaire étaient très rodées : elle se devait d’être blonde et sexy comme Betty mais néanmoins attachante et gentille (comme la douce Alice Faye) pour ne pas repousser le public féminin. Les films étaient souvent des remakes de productions qui avaient déjà fait leurs preuves auparavant (par exemple, Comment épouser un milliardaire avait connu 3 précédentes moutures auparavant). Doit on en déduire que Marilyn Monroe est un pur produit manufacturé, calibré et testé, pour atteindre le plus grand nombre ? Partiellement sans doute ; c’est néanmoins, sa fragilité et sa vulnérabilité palpables dans la moindre de ses comédies qui la rendent profondément humaine et vont faire d’elle la superstar que l’on sait.
Le scandale causé par la publication d’anciennes photos nues dans un calendrier va contribuer au succès de la blonde actrice qui brille d’un vif éclat dans les hommes préfèrent les blondes ; de par sa sensualité et sa voix douce et sexy (mais partiellement doublée pour certains passages par Marni Nixon), elle s’impose d’emblée dans les célèbres passages musicaux extrêmement glamour et sophistiqués de ce film ultra connu (diamonds are the girl best friend), qui inspirent encore et toujours les chanteuses d’aujourd’hui. Alors qu’Alice Faye et Betty Grable avaient été cantonnées aux films musicaux, la Fox va promouvoir la blonde vedette aussi bien dans des westerns (la rivière sans retour) que des drames (bus stop). Pour beaucoup de cinéphiles, ces quelques titres évoquent l’âge d’or d’un cinéma qui continue de fasciner ; Si à l’occasion, Marilyn Monroe fredonne un ou deux couplets dans ses films non musicaux, elle est souvent doublée par différentes chanteuses plus expérimentées. Cela ne l’empêchera pas d’enregistrer quelques rares 45T pour la firme RCA.
Dans le genre cinématographique qui nous intéresse ici(le film musical bien entendu!!), Marilyn a joué dans une superproduction basée sur les compositions d’Irving Berlin « la joyeuse parade »-1954 où figure un de ses numéros les plus sexy « heat wave ». Dans un ciné-club où je l’ai revu il y a 10 ans, des spectatrices un peu jalouses signalaient que sa partenaire Mitzi Gaynor était dotée d’une silhouette plus gracile. La critique de l’époque ne fut pas plus enthousiaste et jugea sa prestation « embarrassante ». Marilyn est plus à l’aise dans la merveilleuse comédie de Billy Wilder certains l’aiment chaud, où elle reprend le fameux I wanna be loved by you d’Helen Keane qui semble avoir été créé pour elle. Le film est à la fois drôle, pétillant et compte parmi les plus réussis de la star.
Elle chante aussi le fameux « my heart belongs to Daddy » dans le milliardaire (1960), remake pas fameux d’un vieux film avec Alice Faye. Une production laborieuse et assez décevante de Cukor pour laquelle la critique française ne sera pas tendre : « Marilyn Monroe chante comme Line Renaud et ce n’est pas un compliment ! ».
Mais la blonde star a déjà atteint une dimension mythique et ce genre de réserves ne peut plus l’atteindre. Autant que ses films, tous très populaires, les scandales de sa vie déréglée et ses problèmes sentimentaux font la une des magazines (ses liaisons avec Yves Montand, Frank Sinatra, John et Robert Kennedy (marié avec Simone Signoret), ses mariages avec Arthur Miller, Joe di Maggio…). Sous les paillettes et les strass et la chaleur des projecteurs, malgré l’admiration du public du monde entier, la jolie Marilyn ne semblait pas avoir acquis la confiance nécessaire pour mener à bien sa carrière et cachait un mal-être profond. Dans un monde de faux semblants, où elle avait perdu depuis longtemps ses marques, l’actrice était désemparée.
Son décès en 1962 (suicide ou assassinat ?) n’a cessé de faire couler beaucoup d’encre : en tout état de cause, sa carrière était au plus mal (elle avait faitété attaquée devant les tribunaux par la Fox car elle ne respectait plus ses engagements) et à 36 ans, le sex symbol aurait été forcée de changer de registre ; Le destin a préféré qu’elle rentre dans la légende. Elle y occupe toujours une place privilégiée, son image étant toujours reproduites sur d’innombrables supports et son nom restant à jamais le synonyme flamboyant du rêve américain. Elle demeure une référence, un mythe qui ne cesse d’inspirer les nouveaux talents. Copiée et recopiée, dupliquée, coloriée comme sur les toiles d’Andy Warhol, Marilyn est partout…48 ans après !


dimanche 5 décembre 2010

Fréhel, l'authentique voix de la chanson réaliste


La popularité de la chanteuse réaliste Fréhel repose avant tout sur la sincérité et un talent brut de décoffrage : sans le moindre artifice, sans maniérisme, cette femme massive et sans âge aux allures de pocharde, savait sans peine communiquer les émotions les plus intenses ou le plus vif amusement avec ses rengaines du trottoir qu’elle chantait aussi bien dans les plus grands music- halls que dans les foires de quartier. Dans les années 30, le cinéma français qui regorgeait de « gueules », d’excentriques et d’acteurs de composition à la présence écrasante a très bien su exploiter les talents de cette chanteuse au personnage plus grand que nature.

Née en 1891, Marguerite Boulch’ a connu une enfance misérable. Après le décès accidentel de son père, un employé du chemin de fer (et non un marin comme elle le prétendait parfois), la gamine fut obligée très tôt de subvenir aux besoins de sa famille, en chantant dans les rues. Adolescente, devenue démonstratrice en produits de beauté, elle rencontre la belle Otéro, la plus célèbre courtisane d’avant guerre, connue pour ses liaisons avec George VII d’Angleterre, Léopold II de Belgique et Aristide Briand. Subjuguée par sa beauté et ses beaux yeux bleus, elle rebaptise Marguerite Pervenche, et utilise ses relations pour introduire sa protégée dans le tout Paris. Dès 1906, la môme Pervenche chante à la brasserie de l’univers. Avec sa voix rugueuse et brisée aux accents bretons et son air effronté, la jeune chanteuse est remarquée d’emblée. Il semble que dès 1908, la jeune chanteuse ait fait un peu de figuration dans des films de Max Linder, une des premières stars du cinéma mondial dont Chaplin s’est ensuite beaucoup inspiré. Sans doute grisée par la vie facile d’un certain microcosme parisien, la jeune chanteuse qui a désormais adopté le nom de scène de Fréhel (comme le célèbre cap breton) mène une vie dissolue en alternant amants (des boxeurs notamment) et maîtresses avec une boulimie incroyable.
Elle s’éprend du débutant Maurice Chevalier qui la quitte pour la fameuse Mistinguett plus célèbre et donc plus utile pour le déroulement de sa carrière. Extrêmement blessée par cette trahison, la fougueuse Frehel songea au suicide et même à assassiner son ex-amant. Finalement, au début de la guerre 14, elle préféra fuir Paris et suivre dans ses pérégrinations une de ses nouvelles conquêtes la grande duchesse Anastasia, cousine de Nicolas II. Fêtarde devant l’éternel, elle sombra dans le luxe et la débauche des nuits de St Petersbourg, poursuivant une vie aventureuse et turbulente en Europe centrale. Complètement droguée et désespérée, l’artiste est secourue par son ex-mari qui la convainc de rentrer en France en 1922.
Les abus de toute sorte (et notamment de cocaïne qui ont endommagé ses cloisons nasales) ont transformé la jolie Pervenche en matrone bouffie au nez écrasé. Le talent est heureusement intact et grâce à un nouveau répertoire composée de chansons réalistes de qualité comme « du gris »« l’inoubliable inoubliée » fait un come back réussi dans le monde du music-hall.
Le cinéma parlant va beaucoup utiliser les services de la chanteuse dans une longue série de drames réalistes de qualité inégale : si son physique ingrat lui interdit les premiers rôles (un critique la décrit même en 1931 comme « une femme au soir de sa vie », alors qu’elle n’a que 40 ans !!), sa verve, sa présence en font un personnage de composition rêvé pour les scènes de cabarets sordides et autres bouges parisiens. Dans cœur de lilas (31), elle chante avec Jean Gabin (en mauvais garçon), une java plein de gouaille et de vulgarité qui plante d’emblée le décor d’un certain Paris populaire qu’on savoure aujourd’hui avec beaucoup de nostalgie. Les qualités de comédiennes de la chanteuse (en maman d’une fripouille) sont très remarquées dans La rue sans nom (33), adaptation très réussie d’un roman de Marcel Aymé, qualifiée pour certains d’ouvre précurseur du néo réalisme, tout comme dans Amok (34), mélo exotique au scénario audacieux.
Si Frehel marque les esprits dans ses différents films réalistes, c’est non seulement, par ses qualités vocales indéniables, mais aussi par un jeu naturel et mesuré qui tranche d’ailleurs avec l’outrance de celui de certaines vedettes principales et lui donne tant de modernité ; personne n’a oublié sa bouleversante prestation dans le chef d’œuvre de Duvivier Pépé le moko (36), lorsqu’elle chante le nostalgique « où sont ils donc » dans la Casbah en écoutant son disque sur le phono. La scène est d’autant plus émouvante qu’elle rappelle la propre déchéance de la vedette (avec au mur, une photo punaisée de la môme Pervenche au temps de sa beauté). Aux chansons tristes, Fréhel alterne dans son répertoire des morceaux plus gais et truculents comme l’impayable tel qu’il est (36) qu’elle chante dans un court métrage avec l’accordéoniste Alexander, ou l’entrainante Java bleue (39) (son dernier et plus célèbre disque tiré du film une Java). A revoir la femme râblée aux allures de pocharde dans ses films des années 30, on a du mal à imaginer que la chanteuse trainait encore derrière elle une cohorte de gigolos qui profitait de ses cachets. Un personnage haut en couleurs que le jeune Serge Gainsbourg qui la croisait souvent dans son enfance se remémorait comme une femme « plus crade que lui !! »*, ou dont Arletty se souvenait avec amusement des flatulences et son attitude « très nature » dans un ascenseur du Carlton.
Dans la rue sans joie (38) Fréhel fredonne cet incroyable refrain « les hommes ne nous aiment pas pour nous mais pour eux, ce sont tous les mêmes des blasés, des vicieux.. », avec une émotion qui apporte toute la véracité et l’émotion la plus crue aux paroles. Avec un texte plus banal comme « au ciel il existe une étoile », elle arrive de même à faire des miracles avec une intensité difficile à égaler (quel dommage pourtant si connue, tirée d’un film avec Fernandel, n’ait jamais été enregistrée sur disque par la chanteuse).
Pendant la guerre, Fréhel va beaucoup chanter en Allemagne pour les prisonniers, croyant avec une naïveté désarmante apporter du soutien pour nos braves soldats alors qu’elle participait sans s’en rendre compte à la collaboration (elle sera d’ailleurs sévèrement brulée lors d’un bombardement en Allemagne). Mais ce furent davantage les changements de mode et le déclin de la variété réaliste, que l’épuration qui vont éloigner Frehel des feux de la rampe. Si on la croise encore malgré tout son épaisse silhouette dans deux ou trois films, la chanteuse de la java bleue est malade, alcoolique et ruinée. Hébergée dans un hôtel de passe, elle survit grâce aux galas de bienfaisance que des amis organisent en son honneur.
Décédée en 1951 dans la misère, Fréhel a marqué son époque et inspiré de nombreux artistes aussi bien dans el genre réaliste comme Rosalie Dubois que des rockers, frappés par l’authenticité de l’artiste, son vécu sa crudité et son talent sans manières. Même si la chanteuse n’a jamais fait grand cas de ses nombreuses participations au 7ème art, c’est pourtant celui-ci qui a forgé et gardé en mémoire cette artiste sans concessions, tout auond en 1990tant que ses disques (bien que sa discographie complète tient juste sur deux seuls CDs !).
Une bio a été consacrée à ma grande dame de la chanson populaire par N et A Lacombe chez Belfond en 1990.
*Dans le film sur la vie de Gainsbourg, Frehel est incarnée par Yolande Moreau