dimanche 30 janvier 2011

Samira Tewfiq, la fière bédouine



Jolie brune aux yeux de braise, la belle Samira Tewfiq (Toufic) a incarné à l’écran le prototype de la bédouine, courageuse et volontaire paysanne du désert, en chantant brillamment des mélodies savamment modernisées, inspirées du folklore jordanien et de la tradition rurale. Le rythme très accrocheur de ses musiques et sa présence indéniable apportent à ses films une réelle plus-value. Admirée de la Tunisie jusqu’en Arabie saoudite, la chanteuse a également fait connaître dans le monde entier le folklore arabe, et la plupart de ses films ont été exportés en France dans les années 70 (même si leur diffusion était destinée en priorité à une clientèle immigrée).


Née à Beyrouth en 1935, Samira Cremona a grandi dans une famille nombreuse et très modeste, mais entourée de l’affection de siens. Elle est découverte par hasard, alors qu’elle chante dans son jardin, par un grand joueur de cithare, qui séduit par sa voix, propose à ses parents de lui enseigner le chant et la musique. Son père est alors très réticent, mais encouragée par sa mère, Samira tente sa chance à la radio libanaise.
Le compositeur Tewfiq Bayoumi la remarque et compose pour elle Meskin ya kalbi yama tlawâat, sa première chanson. Il la rebaptise Samira Tewfiq (ce qui signifie réussite en arabe…un pseudonyme de bon augure !). La jeune artiste est engagée au début des années 60 dans une radio jordanienne qui l’incite à puiser dans le répertoire chanté de la culture nomade et bédouine. Elle est soumise à un rude entrainement dans les dialectes locaux pour que son interprétation paraisse authentique. Le succès est immédiat et considérable : elle est applaudie par le roi Hussein de Jordanie et est invitée au Caire pour chanter aux cotés du grand Abdel Halim Afez, le rossignol brun de la chanson égyptienne. On peut féliciter Samira Tewfiq d’avoir réhabilité avec talent le patrimoine populaire des milieux ruraux orientaux, en lui donnant ses lettres de noblesse. Dans tous les pays arabes, et même au-delà, elle deviendra l’ambassadrice de la chanson bédouine. En 1963, la chanteuse fait ses débuts à l’écran aux cotés de Kamel El Chenawi dans « la fille du désert » de Niazi Moustapha, l’histoire d’amour contrariée entre un archéologue et une jolie bédouine que ses parents veulent marier de force à un homme de la tribu. Ce réalisateur prolixe avait donné ses lettres de noblesse à un genre cinématographique très particulier : le film de bédouins, sorte de western oriental situé dans le désert, avec un héros valeureux défendant sa tribu avec panache. Son épouse, la talentueuse et pétillante Kouka y incarnait la « bédouine » fière et courageuse.
Samira va en quelque sorte reprendre le flambeau en incarnant dans une série de comédies musicales ce même personnage de paysanne pure et respectueuse, qui gagne toujours à la fin. Si les films ne sont pas toujours d’une grande subtilité, Samira ne passe pas inaperçue : une jolie brune, très plantureuse, qui fait songer à la fois à Gina Lollobrigida et Sara Montiel.
Entre 1964, on la retrouve dans une comédie « la bédouine à Paris » où elle tente d’attirer l’attention d’un séducteur impénitent (Rushdy Abaza). Après l’avoir vainement cherché dans les rues de Paris (notons au passage à quel point les parisiens sont dépeints dans ce film sous un jour déplaisant !), elle se coiffe d’une perruque blonde (qui lui sied à ravir) et se fait passer pour une européenne…pour qu’il tombe enfin dans ses filets. On notera que lors du tournage de ce film, l’actrice, refusant de se faire doubler, se blessera sévèrement en chutant d’un rocher et subira une intervention chirurgicale qui retardera le tournage de plusieurs semaines.

Toujours dans la même veine, on retrouve ensuite la bédouine.. À Rome (1965) , en costume traditionnel, chantant une fort jolie balade devant la fontaine de Trévise. Les mélodies très rythmées s’écoutent avec grand plaisir.
La fille d’Antar (1964) est un gros succès commercial (en Tunisie le film tiendra l’affiche pendant plusieurs mois) : il s’agit d’une épopée historique retraçant les exploits d’Antar, fils illégitime d’un émir et d’une esclave noire. Ce personnage légendaire avait déjà inspiré plusieurs films précédents de Niazi Moustapha avec la fameuse Kouka et même une production hollywoodienne avec Victor Mature.
La tzigane amoureuse (1972) a fait l’objet de beaucoup d’attention (12 mois de tournage, fait rarissime à l’époque). On a regretté à l’époque que « les bédouins gardiens de chèvres soient ici dépeints comme les méchants face aux gentils arabes occidentalisés, buvant du whisky au bord de leur piscine privée »
La belle du désert, tourné en 1974, bénéficiera de critiques très favorables lors de sa diffusion en France trois ans plus tard : « très correctement réalisé, le film installe une atmosphère de romantisme fatal dont les naïvetés ne sont pas sans charme ». La revue du cinéma d’ordinaire si réticente envers les films musicaux libanais vente « les rythmes envoutants des chansons de la belle Samira, les pérégrinations de villages en villages des tribus bohémiennes » et un final « quasi hitchcockien » tout en déplorant une seconde partie qui cumule tous les poncifs.
En 1976, Samira participe à une énième version des exploits d’Antar, dénommé cette fois ci , Antar cavalier du désert, et contant ses amours contrariées avec Abla.
En 1977, Samira Tewfiq triomphe lors de son tour de chant au Sheraton du Caire : on raconte qu’elle gagna 100 000 dollars en bijoux, montres et autres présents offerts par ses admirateurs lors de sa prestation.


La réputation de Samira Tewfiq ne s’est pas limitée au monde oriental. Ambassadrice de la chanson bédouine, la pulpeuse brune s’est également produite à l’opéra de Melbourne, à Londres devant la reine Elisabeth II (elle possède d’ailleurs un appartement dans la capitale londonienne), au Venezuela , à Paris (en 1993 au palais des sports) et à Lyon.
Lors de ses récitals, la chanteuse veille tout particulièrement à sa présentation en arborant de magnifiques tuniques brodées, confectionnées avec amour par son couturier attitré. On raconte même que des gardes du corps avaient été engagés pour éviter que la foule d’admirateurs n’abime par mégarde ses somptueuses robes dorées ou n’essaient d’en arracher des morceaux, en pensant qu’il s’agit d’or véritable !
La star a longtemps vécu entourée de ses frères et sœurs avec lesquels elle était très liée ; lors de la guerre civile du Liban (qui débuta en 1975) , la maison de la star sera touchée par un bombardement et une de ses belles sœurs y perdra la vie : Samira se chargera ensuite d’élever ses enfants. Dans les années 70, la chanteuse a partagé la vie du directeur de la télévision libanaise ; plus récemment, elle a épousé un homme d’affaires libanais vivant en Suède ;
Toujours très populaire dans les années 80, on raconte que les rues de Beyrouth étaient désertes quand la chanteuse se produisait à la télévision ou jouait dans un feuilleton, les gens étant rivés devant leur petit écran !
Depuis, la chanteuse se fait beaucoup plus rare et on peut le regretter. En 2002, elle a fait un come back remarqué avec son album al Mani. Elle continue de beaucoup inspirer les artistes du monde arabe et demeure une personnalité très respectée par le public arabe.

lundi 24 janvier 2011

Camilla Horn, la vamp glaciale









Superbe blonde aux traits harmonieux, Camilla Horn comptait probablement parmi les plus jolis visages du cinéma muet. Sa prestation dans Faust le chef d’œuvre de Murnau aurait du lui ouvrir les sentiers d’une gloire internationale et tous les espoirs étaient permis. Or, après un voyage infructueux à Hollywood, la jolie vedette a continué sans trop d’éclats sa carrière en Allemagne. L’innocente et fragile héroïne du muet s’était entre temps transformée en vamp glaciale et calculatrice, égrainant au passage quelques romances parlées-chantées dans des mélos plus ou moins musicaux, distillant à l’occasion quelques messages propagandistes.

Née en 1903 à Frankfort, cette fille de fonctionnaire a d’abord pris quelques cours de danse tout en travaillant comme dessinatrice de mode dans une usine de pyjamas. Elle fait un peu de figuration au cinéma (notamment aux cotés de Marlène Dietrich) avant d’être repérée par le producteur Alexander Korda dans une revue. Il décèle chez la jolie girl un potentiel physique de star de l’écran et un don sens certain du mouvement.
Grâce à son soutien, elle décroche le principal rôle féminin tant convoité du Faust (1926) de Murnau aux cotés d’Emmil Jannings, l’une des plus populaires stars du cinéma européen. Le rôle avait à l’origine était écrit sur mesure pour Lillian Gish, mais la star hollywoodienne avait fini par se rétracter devant le refus su studio UFA d’utiliser son photographe attitré. Murnau avait remarqué la beauté de Camilla Horn alors qu’elle assurait la doublure lumière de Lil Dagover dans Tartuffe.
D’une impressionnante beauté visuelle, ce chef d’œuvre de l’expressionisme figure parmi les plus grosses réussites artistiques et commerciales du cinéma muet. Afin de tirer la meilleure performance de l’actrice novice, Murnau n’hésita pas à filmer de nombreuses fois le moindre geste, dans un constant souci d’excellence. Comment oublier la grâce et la modernité du jeu de la comédienne, dans des scènes aussi difficiles que la mort de son enfant ou son exécution sur le bûcher. Après un début aussi sensationnel, la star qui vient de signer avec l’UFA, a quelques difficultés à trouver des rôles et surtout un réalisateur de la même trempe. En 1928, elle tombe amoureuse du producteur Joseph Schenck qui l’emmène avec lui à Hollywood, bien décidé à faire de l’actrice allemande une nouvelle Greta Garbo. Le choix d’un partenaire aussi prestigieux que le très adulé John Barrymore aurait du logiquement permettre à l’actrice de devenir une star américaine ; Pourtant le tournage de la tempête (1928) de Sam Taylor s’avéra très pénible, John Barrymore déjà très altérée par l’alcool ayant le plus grand mal à retenir ses répliques, à ne pas loucher et à rester éveillé ! Dans le film suivant Eternal love, toujours avec Barrymore,
c’est le si talentueux et prestigieux Ernst Lubitsch qui assure la mise en scène. En visitant le lac Louise au Canada il y a 2 ans, je fus surpris de voir une stèle en mémoire de John Barrymore et de ce film tourné dans ces lieux magiques : hélas, l’échec commercial et critique du film ne permit pas à Camilla Horn de se faire un nom au pays des stars. De surcroit l’arrivée du cinéma parlant représentait une véritable menace pour les actrices étrangères à l’accent guttural. Et Charles Chaplin qui avait envisagé de confier à Camilla un rôle dans les lumières de la ville se rétracta… Aussi, Camilla rentra piteusement en Europe…
Si la blonde comédienne a ensuite tourné sans discontinuer jusqu’à la fin de la guerre, aucun de ses films n’a vraiment marqué sur un plan cinématographique. Le cinéma est devenu sonore, et les chansons sont omniprésentes ; Comme Pola Negri, Liane Haid et d’autres stars du muet, Camilla chante à l’écran et enregistre pour la firme Odéon des disques avec les airs tirés de ses films, avec notamment le fameux orchestre tzigane Dajos Bela. Sa voix est juste et haut perchée, comme le veut la mode de l’époque.
Les films sont tournés en langues multiples pour l’exportation, et Camilla joue à l’occasion aussi dans les versions françaises (la chanson des nations). On la trouve aussi dans la version allemande des cinq gentlemen maudits, une œuvre mineure de Julien Duvivier aux accents colonialistes dérangeants. Entre 1932 et 1934, l’actrice tourne plusieurs films en Grande Bretagne : des policiers de seconde zone qui n’ont guère marqué les esprits. Les films musicaux sont très populaires auprès du grand public et Camilla se prête à ce genre de bonne grâce : la dernière valse (1934) est l’adaptation d’une opérette et une valse avec toi, une comédie frivole assez enlevée avec Louis Graveure, chanteur d’opéra d’origine anglaise qui avait triomphé sur les scènes américaines. Pendant 4 ans, Camilla va partager la vie du chanteur à Berlin et dans sa villa de Roquebrune sur la côte d’azur. Suspecté d’espionnage par les nazis, Louis Graveure se sauvera en France et la villa qu’il partageait avec Camilla sera fouillée de fond en comble, sans succès. Inquiétée, l’actrice sera quelques temps frappée d’une interdiction d’exercer sa profession. Pour éviter des représailles, elle sera dès lors contrainte par Goebbels de prêter sa contribution antisoviétique à un film de propagande « le croiseur Sébastopol (1937). Vision fasciste, raciste et extrêmement partiale de la révolution bolchevique, le film est d’autant plus dangereux qu’il est mis en scène avec talent et vigueur. Il remportera un succès certain lors de sa diffusion dans la France occupée en 1941. Les deux très belles chansons qu’y fredonne Camilla Horn (les plus mémorables de sa carrière) auront également un beau succès chez nous par Lucienne Delyle.
En 1937, Camilla Horn joue dans la version allemande des Gens du voyage de Jacques Feyder où elle reprend le rôle de Marie Glory. Elle est désormais abonnée aux rôles de vamps méchantes et vénales, froides et calculatrices qui décorent des films d’espionnage comme l’orchidée rouge (1938) ou encore Zentrale Rio (1940). Entre deux missions d’espionnage, la belle chante plutôt moyennement et danse, sans beaucoup d’aisance, dans les bars aux décors hideux de Berlin, Rio ou autres destinations mystérieuses. Néanmoins au début de la guerre, son étoile pâlit et son nom descend progressivement sur les affiches de ses films, même si le magazine cinémondial soutient en 1942 qu’elle figure toujours parmi les stars allemandes les plus demandées « sa principale qualité étant de pouvoir adapter une sensibilité étonnante à chacun de ses personnages ». On retiendra de cette sombre époque une excellente biographie de Friedemann Bach (le fils de Jean Sébastien), le Musicien errant, œuvre émouvante et fort bien réalisée, et tragédie d’amour un mélo avec le chanteur d’opéra Benjamino Gigli. Comme d’autres actrices en disgrâce, l’actrice est contrainte de tourner plusieurs films en Italie dont un remake de Prisons sans barreaux (1941) de L Moguy. On raconte que Mussolini était très attiré par la star et cette dernière admettra avoir « flirté » avec le dictateur. Pourtant mariée, elle aura aussi une liaison avec son partenaire Luis Hurtado. A son retour en Allemagne, elle joue dans une comédie musicale de Paul Martin qui sera interdite par la censure nazie pour des raisons mal élucidées. Après sa parenthèse italienne et ce film interdit, Camilla disparaît des salles obscures. Elle se produit dans des tours de chant, au théâtre (l’aigle à deux têtes de Cocteau) ou à la radio. Sur grand écran, ses deux tentatives de come back passent inaperçues : heureusement elle triomphe au théâtre dans Gigi d’après Colette au milieu des années 60. en 1985, Camilla Horn publie ses mémoires. Pour l’occasion, elle se rend en France et est interviewée par Thierry Ardisson : toujours belle et lucide, elle remarque que sa carrière n’a pas connu le même impact que celle de Dietrich notamment car elle a manqué du soutien d’un Pygmalion. En 1987, l’actrice fait son come-back à l’écran avec ses vielles collègues Marianne Hoppe et Marika Rökk dans schloss Königswald. Camilla Horn nous a quitté en 1996, âgée de 93 ans. Mais grâce au talent de Murnau, la belle blonde n’a pas fini de hanter les cinémathèques. Bruce Springsteen a dédié également une chanson à la star "déchue"