samedi 22 mai 2010

Tahia Carioca, légende de la danse orientale







Tahia Carioca demeure encore à ce jour la danseuse du moyen orient la plus mythique et la plus respectée. Par sa grâce, sa beauté et son tempérament volcanique, la brune danseuse a donné ses lettres de noblesse à la danse orientale et acquis une immense popularité auprès du public arabe par le biais du cinéma puis de la télévision. Son style tout en lenteur et en sensualité la démarquait de ses concurrentes souvent trop vulgaires ou trop remuantes : sa carrière fut d’une longévité exceptionnelle (elle a quitté l’écran à la fin des années 80) et l’artiste a laissé une emprunte si forte dans sa discipline que la relève a été difficile à assurer! Plus qu’une danseuse d’exception, Tahia Carioca fut également une comédienne de grand talent, ainsi qu’une femme de conviction.

Née en 1915, Tahia Carioca s’est très jeune consacrée à la danse au grand désespoir de ses parents et de ses frères très protecteurs. Afin d’échapper à leur emprise, elle fugue (à 12 ans!) et s’installe au Caire chez un voisin où elle est remarquée par Badeai Masabni grande figure de la danse orientale et de la vie nocturne du Caire qui l’engage dans son cabaret. La belle artiste va rapidement séduire le public par ses prestations mêlant habilement la danse traditionnelle et les influences étrangères notamment les rythmes tropicaux, mais toujours avec la plus grande élégance. Son pseudonyme carioca sera d’ailleurs inspiré par une danse pseudo brésilienne popularisée par le premier film du couple Fred Astaire/Ginger Rogers.
En 1936, la notoriété de jeune danseuse est telle qu’elle est conviée aux festivités accompagnant les noces du roi Farouk (on raconte au passage que la danseuse se serait payé le luxe de gifler le roi coquin …qui venait de lui glisser un cube de glace dans son décolleté!)
Très vite, Tahia est contactée par les studios de cinéma qui lui proposent quelques apparitions dansées dans plusieurs productions cinématographiques : à l’époque, tous les films arabes étaient systématiquement interrompus de numéros de danses du ventre qui venaient plus ou moins bien s’intégrer à l’intrigue. La musique les chansons et les chorégraphies étaient le meilleur trait d’union entre des pays et des régions na partageant pas toujours les mêmes dialectes, ce qui expliquait la grande popularité des films musicaux.
Hélas, il est terriblement difficile de nos jours d’apprécier le talent de Tahia dans sa prime jeunesse, ses tous premiers films n’étant plus diffusés par les médias : les amateurs estiment pourtant qu’elle y donnait ses plus belles prestations de danseuse.
C’est dans le film Li'bet al-Sit (1946) avec le grand Naguib el Rihani (un ex de Badeia Masabni
, qu’elle tient pour la première fois le rôle d’une vamp séductrice et manipulatrice qui va lui coller à la peau.
Le public masculin est médusé par ses prouesses chorégraphiques et la belle ne reste pas insensible à ses admirateurs : on lui prêtera…14 maris! Elle n’a néanmoins gardé aucune tendresse pour ses différents compagnons qu’elle qualifia rétrospectivement de salopards! Au tableau de chasse de cette prédatrice, on compte un officier américain rencontré pendant la

seconde guerre mondiale (avec lequel la danseuse était partie vivre peu de temps aux USA), l’acteur Rushdy Abaza (qui épousera par la suite son amie Samia Gamal autre légende de la danse orientale) , le chanteur Muharram Fouad, le scénariste Falez Halawa (qui lui causera bien des tourments), le capitaine Moustapha Kamel sedky qui fut arrêté après la révolution de 1952 et impliqué dans un procès communiste),un pilote, un médecin et d‘autres encore…Mais le public ne lui tiendra jamais rigueur pour sa vie sentimentale pour le moins agitée!
Outre ses amours tumultueuses, la vedette est connue pour son franc parler et ses convictions politiques: elle ne manque pas de donner son opinion lors des réceptions royales auxquelles elle était conviée, s’exprimant avec aisance en anglais et en français.
En 1953, elle sera même arrêtée sur ordre de Nasser et emprisonnée 3 mois pour activités communistes.
Le film le plus mémorable de Tahia (projeté lors du festival de Cannes de 1956) demeure la sangsue de S Abou Seif, œuvre néo-réaliste confrontant avec brio le monde villageois et l’univers citadin. Dans le rôle d’une cairote d’age mûr qui séduit un jeune étudiant, Tahia y brille par son abatage et sa forte présence : on se souviendra notamment de la scène lourdement évocatrice où la belle entraîne le jeune homme chez elle pour lui démontrer (et avec quelle efficacité!) qu’elle danse bien mieux que les jeunes filles de la rue. Tout dans la pièce (bouilloire fumante, etc.) semble chauffé à blanc dans un des passages les plus connotés sexuellement de toute l’histoire du film égyptien!
En 1958, Tahia retrouve sa vieille collègue et protégée des années 40, la lumineuse Samia Gamal dans habibi al askar : une rencontre au sommet pour les deux plus prestigieuses danseuses du cinéma oriental qui ne vaut que pour les scènes de danse des deux étoiles.
En 1960, elle fournit une excellente prestation dans les rivages de l’amour , joli mélo romantique avec le célèbre chanteur Farid el Attache. Elle y incarne avec talent et beaucoup d’émotion une vieille danseuse de cabaret dont la fille ignore l’identité. Avec de telles qualités de comédienne, l’actrice n’aura aucun mal à poursuivre sa carrière loin des comédies musicales quand elle abandonne la danse en 1963.
Dans la mère de la mariée (63), film familial très rythmé, elle est parfaite en mama égyptienne qui veille sur sa maisonnée. La notoriété de l’artiste était loin de se limiter aux pays arabes et
Tahia Carioca était sur le point de tourner un film à Hollywood quand la guerre des 6 jours fut déclarée et que la star préféra rentrer dans son pays où elle poursuivra sa carrière. On retiendra notamment
Le mirage (70) film controversé qui rencontra un très gros succès commercial en raison du sujet scabreux abordé : le complexe d’Œdipe. Il narre les péripéties d’un jeune homme (l’excellent Nour El Shérif) complètement dominé par l’image de sa mère (incarnée par Tahia), qui éprouve les pires difficultés à affronter sa vie d’adulte.
On se souviendra aussi de sa prestation dans Méfie toi de Zouzou (72) considéré par beaucoup comme la comédie la plus réussie du cinéma égyptien des années 70.
Dans les années 70, Tahia Carioca va poursuivre sa carrière tant au cinéma que sur scène, dirigeant une troupe permanente qui porte son nom ainsi qu’ une salle de théâtre. Elle obtiendra un très gros succès dans une pièce anti communiste (Hourrah pour la délégation) d’une grande vulgarité. La sirène aux sept voiles des années 40 s’était transformée au fil des années en matrone obèse , mais n’en conservait pas moins beaucoup de verve et de caractère. Très impliquée dans les syndicats du cinéma égyptien, la comédienne n’avait pas sa langue dans sa poche et sa virulence était proverbiale.

En 1985, l’actrice tient un rôle de sage femme dans adieu Bonaparte de Chahine qu’elle présentera au festival de Cannes.
Toujours très impliquée politiquement, elle s’est rendue à Athènes en 1988 avec quelques intellectuels égyptiens , à l’initiative de l’organisation de la libération de la Palestine qui planifiait d’affréter un navire le Al-Awda, pour rapatrier des palestiniens dans leurs foyers et terres d'origine occupées par Israël.
A la fin des années 80 , Tahia Carioca s’est retirée définitivement de la vie artistique. Désormais voilée, la tapageuse star d’autrefois a fini sa vie dans la prière, le recueillement et la lecture du Coran, se consacrant entièrement à l’éducation de sa fille adoptive, sans toutefois jamais renier sa carrière de danseuse étoile.
Tahia est décédée en 1999 d’une crise cardiaque. A l’heure où la danse orientale est interdite en Égypte dans les pièces de théâtre «pour éviter la détérioration de la qualité théâtrale », on se replongera avec d’autant plus de délices dans les vieux films de Tahia Carioca (même si peu d’entre eux ont fait l’objet de rééditions en DVD) qui fit rêver tant de générations.

lundi 10 mai 2010

Adieu Lena Horne (1917-2010)



Lena Horne était une immense artiste américaine.
Outre ses apparitions dans quelques comédies musicales où ses passages étaient souvent limités à une chanson, qui pouvait du coup être facilement coupée pour l'exploitation du film dans les états racistes des USA, on retiendra aussi ses disques.
J'adore les 33 T qu'elle a gravés à la fin des années 50 et dans les années 60 "soul" lovely and alive" "give the lady what she wants" et je les ai souvent écoutés.
Dans son one man show triomphal "a lady and her music" 1980, Lena Horne racontait sa vie en chansons et reprenait son mégatube Stormy weather (qu'Ethel Waters avait pourtant enregistré bien avant elle ) d'abord de façon classique comme dans le film de 1943 puis de façon plus soul où l'artiste libérait sa voix, son tempérament et son émotion.
Dans le même show, Lena livrait une interprétation magnifique de "Hier encore" d'Aznavour que nul n'a mieux chanté qu'elle et If you believe de The Wiz.


samedi 1 mai 2010

Ilse Werner, la jeune première des années sombres




Ravissante jeune première du cinéma allemand du IIIème Reich, Ilse Werner personnifiait l’optimisme et la spontanéité en cette période plus que troublée. Avec ses chansons sifflotées et ses personnages de sages jeunes filles volontaires et énergiques, la comédienne était un véritable symbole d’équilibre et d’opiniâtreté, qui boostait le moral des troupes comme des familles . Actrice douée au charme juvénile évident, Ilse Werner a au passage brillé dans deux ou trois excellents films et l’historien du cinéma Ado Kyrou, l’auteur d’Amour, érotisme et cinéma, ne tarissait pas d’éloges à son sujet .

Fort curieusement en cette période de xénophobie exacerbée, presque toutes les stars féminines du cinéma allemand étaient des étrangères. Née en 1921 à Djakarta, Ilse Werner avait même une grand-mère chinoise dont elle avait hérité ses superbes yeux en amande. Revenue en Autriche avec ses parents , riches commerçants dans l’exportation de thé et de riz, la jeune fille de 15 ans entame des cours de comédie auprès de Max Reinhardt, avant de se produire au festival de Salzbourg. Très remarquée dès sa première apparition scénique, Ilse est aussitôt engagée dans une opérette filmée « Sourires de Vienne », qui sera la dernière production autrichienne avant l’annexion du pays par les troupes allemandes.
Deux propositions s’offrent alors à l’adolescente. L’UFA, le studio allemand nationalisé par les nazis et la MGM, le prestigieux studio hollywoodien sont intéressés par la prometteuse Ilse. De façon très pragmatique, afin de pouvoir surveiller sa fille, encore mineure, le père de l’actrice optera pour les studio berlinois…
La nouvelle coqueluche enchaîne les comédies romantiques aux titres évocateurs « Eveil », « Mademoiselle », où l’optimisme est de rigueur. Pas question de déroger à la règle : le film « la vie portait être si belle » qui évoque innocemment les soucis matériels d’un jeune
Couple (Ilse Werner et Rudi Godden) qui a peur de s’engager sera tout bonnement interdit par la censure. Le concert de l’espoir (1940) sera en revanche vivement recommandé par le régime : un film de propagande bien médiocre, auquel Goebbels a collaboré étroitement où Ilse Werner incarne une jeune fille aimée de deux soldats allemands qui participe à un spectacle radiophonique destiné aux soldats. Ilse Werner prétendra plus tard avoir été contrainte de jouer dans le film par peur de représailles. En tous les cas, sa participation à ce film (qui remporta un très gros succès commercial : 26 millions de spectateurs) lui vaudra de gros soucis après guerre, tout comme U bootewestwärts (1941) autre film de propagande (mais plutôt bon, celui là) dont l’action se situe dans un sous marin.

.Ilse y chante ou plutôt siffle quelques refrains avec un talent sûr. Si sa voix n’est pas mélodieuse, elle possède en revanche un curieuse facilité pour le sifflement, dont elle fera longtemps sa spécialité (tout comme Micheline Dax en France). En tous les cas, elle sera doublée pour la bien quelconque biographie de Jenny Lind le rossignol suédois, dernier film de Joachim Gottschack (qui y incarne Andersen) . Persécuté par les nazis, car marié à une juive, l’acteur se suicidera peu après le tournage.
La comédie musicale Vive la musique (1942) du grand metteur en scène Helmut Kautner est un film nettement meilleur, un spectacle intelligent où l’artiste brille par sa beauté. On regrettera en revanche la pauvreté des chorégraphies et des numéros musicaux même si les chanson s , excellentes , compteront parmi les plus gros tubes d’Ilse. En 1943, Ilse participe aux Aventures du baron de Munschausen, étonnant film fantastique, d’une grande qualité visuelle. Resplendissante en technicolor, Ilse fascine par sa beauté. Au fil des années, la jeune adolescente s’est muée en une actrice sensible et expressive d’un rare magnétisme. Elle n’a sans doute jamais été meilleure que dans la Paloma, merveilleux film de Kautner sur les désillusions sentimentales d’un marin. Exempt de propagande, ce film intimiste d’une grande beauté visuelle et d’une poésie mélancolique extrêmement touchante figure probablement parmi les plus beaux films de cette noire période. Jugé trop déprimant et trop réaliste par les autorités nazies, ce chef d’œuvre sera interdit et projeté seulement après guerre sur les écrans. C’est évidemment LE film que je conseillerai à tout cinéphile souhaitant découvrir la vedette allemande.
A la fin de la guerre, Ilse Werner, à laquelle on reproche sa participation aux deux films de propagande susvisés fera l’objet d’une interdiction scénique par les alliés, tout comme ses collègues Sybille Schmitz ou Kristina Söderbaum. Un blâme et un hiatus dont sa carrière cinématographique ne se remettra jamais. En 1948, l’actrice épouse un journaliste américain qu’elle suit en Californie. Après son divorce, elle tente un come back à l’écran , mais les films qui luis sont proposés font pâle figure à coté de la Paloma ou de Munshausen. Profondeurs mystérieuses, pourtant signé Pabst, n’offre que quelques splendides vues de grottes et concrétions. Ilse y case quelques chansons sifflées qui n’ont rien à faire avec l’intrigue; Reine d’une nuit (1951) est une opérette poussive où la vedette est même doublée pour le chant, quant à Anchen von Tharau, ce n’est qu’un petit heimatfilm en noir et blanc, comme il en pullulait à l’époque : même le charme mystérieux de l’actrice semble s’être complètement évanoui en quelques années. Pour survivre, il lui reste encore la chanson, et certains de disques (pourtant guère remarquables) se nicheront dans les hit parades. L’actrice se produira sur scène dans le roi et moi : un rôle fait pour elle, et particulièrement l’air « je siffle un air joyeux » qui tombe à point.
Dans les années 80 et 90, on la reverra sporadiquement à la télé, dans des feuilletons policiers, des émissions de variétés et même à l’occasion sur grand écran comme pour « les Hallo sisters », comédie décevante sur les caprices de deux vieilles vedettes tentant leur retour à la télévision.
On remarquera que le groupe Scorpions si populaire dans les années 80 utilisera quelques sifflements de la star comme intro de son plus gros succès « wind of chance ». Une discrète révérence de la jeune génération à une artiste qui 50 ans auparavant incarnait si bien la jeunesse .
Ilse Werner est décédée dans sa maison de retraite en 2005.