lundi 10 octobre 2011

Evelyn Künneke, l'anti star








Danseuse à claquettes et chanteuse swing pendant la seconde guerre mondiale, vamp à la voix lascive et sensuelle, Evelyn Künneke s’était laissée oublier avant d’effectuer un incroyable come-back en tant que dernière survivante de l’ère Lili Marlene à la fin des années 70. Extravagante comme une Mae West allemande, enmitouflée dans d’incroyables boas emplumés, vétue des tenues les plus clinquantes, et maniant l’auto-dérision à la perfection ,celle qui se surnommait la „Callas de la sous-culture“ montrait qu’elle n’avait rien perdu de son abattage et de sa fantaisie; en faisant revivre dans des boites de nuit plus ou moins interlopes l’époque trouble et dorée du cabaret berlinois. La grand producteur de la MGM Joe Pasternak ne machait pas ses mots en déclarant qu’elle appartenait aux plus grandes étoiles de notre temps.
Pleins feux sur Evelyn Künneke.

Née à Berlin en 1921, Evelyn est la fille d’une chanteuse d’opéra et d’Eduard Künneke, compositeur de célèbres opérettes comme Verliebte laute en 1922. Il a également travaillé avec Ernst Lubitsch en travaillant sur l’accompagnement sonore de son film la fille du pharaon. Avec un tel entourage, la fillette est très tôt encouragée à suivre des cours de chant lyrique et de danse classique. Cependant, Evelyn, qui passe une partie de son enfance aux USA et à Londres, est davantage attirée par les lumières d’Hollywood, le jazz et les musicaux de Broadway. Elle raffole notamment de la grande danseuse à claquettes Eleanor Powell dont les films sont encore diffusés en Allemagne en 1936. De retour à Berlin, Evelyn embrasse une carrière artistique dans les cabarets au grand désespoir de son père qui ne comprend pas l’attirance de sa fille pour une musique moderne qui le dépasse complètement. Sous le nom d’Evelyn King, elle danse en queue de pie et chapeau haut de forme, comme son idole Eleanor, avec un succès certain. Néanmoins, les nazis n’apprécient pas du tout cette initiative et l’artiste est très vite obligée de renoncer à son pseudonyme et à ses numéros trop américanisés. Avec le soutien du compositeur de variétés Michael Jary (connu pour avoir composé les plus gros tubes de Zarah Leander), Evelyn se lance dans la chansonnette avec un succès immédiat : sa voix douce et sensuelle détonne fort des autres chanteurs en vogue et on la remarque. Elle entonne Sing, nachtigall, sing dans l’heure des adieux (1941), un film de propagande à l’eau de rose sur la nécessité pour les femmes de s’effacer et d’être bien patiente et courageuse pendant que le mari combat au front. La chanson devient un immense succès (le plus gros tube pendant la guerre juste après Lilli Marlène) et la nouvelle vedette est invitée à le chanter sur les fronts de l’Est pour encourager le moral défaillant des troupes allemandes. En 1943, elle danse dans un passage du musical Carnaval d’amour, un numéro de tap dance, très jazzy qui sera tronqué voire carrément supprimé de certaines copies, le ministère de la propagande n’appréciant pas du tout le coté très hollywoodien du morceau. L’enregistrement sur disque de la chanson un tantinet coquine et délicieusement jazzy du film Haben Sie schon mal im Dunkeln geküßt? (interprétée dans le film par Dorit Kreysler) sera aussi pour Evelyn un grand succès qui supporte bien l’épreuve du temps.
En 1944, alors qu’elle donne des shows pour les soldats à l’étranger, la nouvelle vedette emprisonnée à laquelle on reproche certains propos anti-gouvernementaux est arrêtée par la gestapo et emprisonnée jusqu’à la fin du conflit (elle échappe de peu à une condamnation à mort).
Avec le soutien de son cher Michael Jary (qui a aussi beaucoup aidé sa copine Leander), la chanteuse poursuit sa carrière après le conflit en enregistrant de nouveaux succès et des adaptations d’airs américains comme bewitched qui conviennent bien à son timbre sensuel. Elle parait occasionnellement au cinéma en tant que guest star. Ne la trouvait-on pas assez jolie ou trop grande (1 m 80) pour un premier rôle ? Evelyn était notamment très complexée par son nez, qu’elle fera refaire 7 fois, si on se réfère à l’un de ses sketchs !
En 1951, Evelyn figure dans la comédie musicale de Von Cziffra « une fille du tonnerre » dont la vedette est Vera Molnar. Elle y chante une autre composition de Michael Jary « winke, winke » qui est un gros succès, de même que le film, qui bénéficie sans doute de la présence d’innombrables jolies girls dont Laya Raki qui donne un numéro topless (la critique française ne sera pas du tout impressionnée en revanche !!). La même année, elle triomphe à la radio avec la chanson fantaisiste Egon (connue chez nous sous le titre Léon par Annie Cordy).
Elle joue le rôle d’une vamp face à la jolie divette Elfie Mayerhofer dans Mélodies perdues (1952) produit en Allemagne de l’Est, un autre succès commercial. Elle danse le boogie woogie avec Peter Alexander débutant dans nous irons à Hambourg (1954) le remake teuton de nous irons à paris le film de Jean Boyer et Ray Ventura. En 1956, Evelyn classe au hit parade sa version d’amour castagnettes et tango du musical Pique nique en pyjama avant de proposer une version allemande du nouveau tube de Paul Anka Diana. Mais son interprétation est largement dépassée dans les ventes par celle de la nouvelle venue Conny Froboess, adolescente en blue jeans, plus en phase avec la nouvelle vague.
A la fin des années 50, Evelyn Künneke a travaillé aussi un peu aux USA sous son ancien pseudo Evelyn King. Le célèbre chef d’orchestre de jazz Stan Kenton comptait sur elle pour reprendre la place de June Christy au sein de sa formation : finalement, le projet n’aura pas de suite.
En 1958, on la retrouve dans un musical en Allemagne de l’Est, ma femme fait de la musique, l’histoire bien innocente d’une femme au foyer qui veut faire du music-hall ; le film manquera pourtant d’être interdit par les communistes, estimant cette comédie bourgeoise sans intérêt et donc nocive pour les masses ! Après avoir rejoint la RFA, la chanteuse aura bien du mal à continuer sa carrière, victime des changements de mode et de l’avènement du rock.

C’est le cinéaste Fassbinder qui va redécouvrir dans les années 70, l’ancienne gloire du cabaret en lui proposant un rôle important dans son film « comme un oiseau sur un fil » qui évoque le music hall pendant les années du miracle économique allemand. Elle a beaucoup grossi, affectionne les tenues bariolées, et les maquillages les plus crus, mais son talent est intact.
En 1976 le réalisateur Rosa Von Prauheim, pionnier dans la défense du droit des homosexuels, rencontre la vedette dans un cabaret gay où elle boit bien plus qu’elle ne chante. Fasciné par son personnage iconoclaste, sa folie, son humour berlinois, il réalise un documentaire sur sa vie pour la télé allemande : "Evelyn Künneke, l’anti-star" ainsi qu’un court métrage où la chanteuse est déguisée en évêque qui sera jugé blasphématoire et censuré par la ZDF. A l’affut du scandale, Evelyn prétendra dans la presse qu’elle s’est fiancée avec Rosa.


Anticonformiste, provocante, triviale, certainement, l’actrice n’a pas peur de rire d’elle-même en évoquant ses opérations de chirurgie esthétique, son addiction à l’alcool, ses innombrables amants (5 600 dont Frank Sinatra, mais oui !) et en posant même nue dans un magazine pour des photos plus trash que glamour.
Icône gay, idolâtrée par les travestis, se parodiant elle-même dans des bars enfumés, elle ne craint pas d’évoquer ses souvenirs de guerre avec un certain franc parler et des positions parfois très contestables en reprochant notamment à Marlene Dietrich d’avoir trahi sa patrie, à l’occasion des obsèques de l’ange bleu !.
Ce retour dans les médias lui a permis d’obtenir pas mal de rôles de composition au cinéma et à la télé (elle danse notamment avec David Bowie dans le film Gigolo en 1978). Elle est décédée en 2001 d’un cancer aux poumons.
Un sacré personnage qu'on peut retrouver sur disques ou à travers son autobiographie.


lundi 3 octobre 2011

Vera Lynn, la mascotte du régiment














Pour soutenir le moral des soldats anglais pendant la seconde guerre mondiale, la chanteuse Vera Lynn n’a pas ménagé ses efforts, en animant des émissions de radio pour les épouses des prisonniers, en chantant dans la jungle birmane ou dans des hôpitaux de fortune, sous les bombardements. Une générosité et une sincérité que le public anglais n’a jamais oublié, comme en témoigne le surprenant succès d’une des ses dernières compils, qui a surclassé David Guetta et Eminem au top anglais.
Une ressortie en DVD de ses films tournés pendant la guerre nous permettent de redécouvrir cette icône de la seconde guerre mondiale.



Née en 1917 à Londres, la petite Vera a connu la misère de la grande dépression qui a suivi le crash de 1929. Son père et son oncle, licenciés, ont l’idée d’animer des spectacles pour entretenir le moral des ouvriers : la gamine timide, trop grande pour son âge, monte sur scène, pour égrainer quelques refrains. Gauche et peu confiante, elle recueille pourtant beaucoup d’applaudissements. Embauchée pour quelques galas, l’adolescente intéresse certains orchestres de la variété qui lui confient quelques refrains chantés. Elle enregistre notamment avec la formation d’Ambrose, la plus populaire du moment et chante lors d’une des toutes premières retransmissions télévisées (alors au stade expérimental) d’un spectacle de variété en Angleterre (en 1938)
Après le déclenchement de la seconde guerre mondiale, la Grande Bretagne subit une série de bombardements meurtriers par l’aviation allemande. Dans ce climat de terreur et de désarroi (on compta près de 15 000 morts), les anglais avaient plus que jamais besoin de divertissement, d’espoir et d’évasion. La toute jeune chanteuse anime alors une émission de radio destinée aux soldats, où sont lus et transmis des messages des familles. Il va sans dire que le programme, très émouvant, recueille toute l’attention des britanniques. Vera y chante des refrains teintés d’espoir sur le retour au foyer, la liberté retrouvée. « Il y aura à nouveau des oiseaux bleus sur les blanches falaises de Douvres », « souhaite moi bonne chance quand tu me dis au revoir » et surtout « we’ll meet again » (nous nous reverrons) que la voix plaintive et haut perchée de la vedette rend particulièrement touchante. La chanson, si évocatrice, devient un succès sensationnel qui peut être comparé chez nous au j’attendrai de Rina Ketty. Un refrain d’espoir dont le succès ne s’est jamais démenti au Royaume uni et qui sera repris par bien des crooners. (Elle est même utilisée, dans sa version originale, dans le parc Disneyland pour illustrer une attraction !)
Vera Lynn devient alors la fiancée des soldats : ce n’est plus une chanteuse mais une institution. Elle obtient un succès considérable en interprétant Yours, la version anglaise d’une mélodie sud-américaine cuando vuelva a tu lado, dont elle va faire un tube international (repris dans les 70’ par Julio Iglesias « où est passée ma bohème »).
Le cinéma va s’intéresser au phénomène. D’abord, un film dénommé We’ll meet again comme son célèbre tube qui se base partiellement sur sa propre histoire. Amoureuse d’un soldat écossais qui lui préfère sa meilleure amie (la ravissante Patricia Roc), elle préfère se consacrer à entretenir le moral des troupes… S’il ne fallait garder qu’une image de ce film, ce serait évidemment sa finale, où l’on retrouve la chanson juchée sur une estrade en train de chanter pour une nuée de soldats qui l’écoutent religieusement avant de reprendre avec elle le fameux refrain.
Pour le reste, il faut avouer que l’artiste est timide, gauche, guindée et franchement pas à l’aise. Mais bon, pour ces petits films de propagande, on ne lui saurait lui en vouloir.
Le second « rythmn serenade » n’est guère meilleur, et on en retiendra surtout sa version de « qu’est-ce qu’on attend pour être heureux » de Ray Ventura, enfin un air pimpant à l’enthousiasme communicatif qui tranche avec les balades tristounes et sirupeuses (mais o combien appréciées à l’époque !) et les adieux sur les quais de gare de ce mélo musical.
Le dernier du lot « One exciting night » est un peu plus amusant. On signalera au passage que les 3 films ont été réédités en DVD dans un coffret avec sous-titres anglais.
Toujours très impliquée dans le sort des soldats, la star n’hésite pas à se rendre en extrême orient pour donner un peu de baume au cœur aux militaires, en chantant dans les hôpitaux ou les casernes les plus esseulées.
La chanteuse rentrera très éprouvée moralement de ce périple, en décidant d’abandonner sa carrière juste à la fin de la guerre pour se consacrer à son mari (un musicien servant dans la RAF) et à sa fille née en 1946.
Pourtant, le feu sacré continue de bruler dans ses veines et l’artiste recommence les tournées à la fin des années 40, en reprenant en anglais pas mal de titres de Piaf comme si tu partais, l’hymne à l’amour ou Padam padam. Elle fait un tabac en chantant en duo avec Bing Crosby à la télé américaine et classe 2 titres dans les charts américains dont « auf wiedersehen » qui connaitra le même succès en Allemagne. La star qui a tant soutenu les alliés deviendra une grosse vendeuse de disques en Allemagne en reprenant notamment la ballade irlandaise de Bourvil dans la langue de Goethe. Malgré les changements importants dans le monde de la variété, Vera Lynn va enregistrer avec beaucoup de régularité jusque dans les années 80.
A son répertoire on trouve aussi bien une superbe version de Tonight de West Side Story que les derniers tubes à la mode du groupe Abba ou de Barry Manilow, ou encore quand on a que l’amour de Brel servis par sa superbe voix ample et puissante
On retiendra aussi le fameux « it hurts to say goodbye » que Gainsbourg traduira pour Françoise Hardy en « Comment te dire adieu », que je vous recommande fortement d’écouter tant la voix et la personnalité des deux chanteuses est différente !
Anoblie par la reine d’Angleterre (elle était très amie avec la Queen mum) Vera Lynn est devenue une légende vivante du show business, connue autant pour son talent que sa générosité et sa participation à des galas de charité. En 1980, les Pink Floyd lui rendent hommage dans leur album the wall en lui consacrant une chanson.
Souffrant d’emphysème, la chanteuse a fortement réduit ses apparitions publiques avant de faire ses adieux en 1998 lors d’un concert au palais de Buckingham, après le décés de son mari (après 57 ans de mariage). Elle témoigne encore dans les écoles primaires du blitz et de la seconde guerre mondiale, en se dévouant avec toujours autant d’intérêt aux démunis et aux soldats.
En 2009, la chanteuse a surpris le monde entier en classant une compilation N°1 au top anglais, évènement incroyable, qui fait d’elle l’artiste la plus âgée jamais classée dans un hit parade ! Une longévité exceptionnelle qui traduit toute l’affection et l’admiration que lui portent encore les britanniques pour lesquels elle a toujours été bien plus qu’une excellente chanteuse. Vera Lynn qui passe souvent ses vacances en France, au cap d’Antibes, a pris la nouvelle avec beaucoup de modestie et de bonheur. Un toast pour Dame Vera !!