Demi-sourire énigmatique à la Mona Lisa, regard troublant, jambes parfaitement galbées, la norvégienne Kirsten Heiberg avait tous les atouts pour remplacer Marlène Dietrich (qui avait toujours refusé farouchement les propositions d’Hitler) dans le monde dangereux du cinéma nazi. Seulement la place était déjà prise par la suédoise Zarah Leander, façonnée par Goebbels et les studios UFA pour incarner à l’écran les personnages de grandes amoureuses qui avaient fait la gloire de Garbo et Dietrich. Malgré tout, la très belle Kirsten réussira à s’imposer dans une quinzaine de films, des opérettes, des drames ou des films d’espionnage anti-britanniques et anti-soviétiques. Elle connaîtra les mêmes déboires que sa célèbre rivale à la fin de la guerre, et ne parviendra jamais à rebondir et à retrouver sa notoriété initiale. Très oubliée, y compris dans son pays natal, l’ex-star du III ème Reich a néanmoins fait l’objet cette année d’un spectacle en Norvège intitulé «du glamour pour Goebbels»
Née en 1907 à Oslo dans une famille d’artistes très aisée (le compositeur Edvard Grieg était un ami des parents), Kirstein a d’abord suivi des cours de théâtre au collège avant de poursuivre ses études à Lausanne, à Paris puis à Oxford afin d’y perfectionner les langues étrangères. Au début des années 30, elle fait ses premières armes avec sa sœur au théâtre à Bergen puis à Oslo avant de débuter au cinéma dans Sangen om rondane, un film romantique très réussi et Pêcheurs dans le soleil d’été, adaptation d’un roman norvégien à succès
On la retrouve ensuite dans 3 films suédois : si les studios de Stockholm avait déjà perdu beaucoup de leur réputation mondiale depuis le muet, ce virage représente pourtant un progrès dans la carrière de la jeune actrice, qui pousse également la chansonnette. Un répertoire de diseuse et une voix un peu rauque qui rappelle fort les premiers enregistrements de celle qui va bientôt se retrouver sur sa route : Zarah Leander. En 1937, la chanteuse tente sa chance à Vienne, tremplin de choix pour une carrière internationale. Si sa candidature n’est pas retenue pour l’opérette «Axel aux portes du paradis» qui fera le triomphe de Zarah Leander, Kirsten se fait remarquer dans la revue Pam pam. Le succès est tel que la revue française Pour vous s'en fait même l'écho en décembre 1937 et prévoit pour la nouvelle vedette une carrière à Paris puis Hollywood! Kirsten rencontre le compositeur Franz Grothe, auteur de nombreuses chansons pour le cinéma, Pola Negri , et l’orchestre de Dajos Bela qui devient son mari et la conduit à Berlin. Alors que Grothe discute d’un projet de film (C’est la faute à Napoléon) avec l’humoriste Curt Goetz, ce dernier lance avec regret «dommage que ta femme ne joue pas, elle ferait une parfaite Joséphine de Beauharnais …», le compositeur lui apprend que son épouse a déjà plusieurs films à son actif. Elle est donc lancée en Allemagne en 1938 dans cette comédie très réussie (récemment restaurée et disponible en DVD). Les jambes gainées de soie, une touffe de plumes à la main, la nouvelle Dietrich fait son petit effet. D’autant plus que sa silhouette irréprochable la démarque de la replète Zarah. L’actrice est très remarquée : Hitler demande à compulser son dossier tandis que Gœbbels, grand amateur de jolies femmes, note dans son journal qu’il s’agit d’une découverte aux multiples talents.
En 1939, Kirsten est la vedette de femmes pour Golden Hill, un curieux western allemand. Clope au bec, en négligé révélateur, elle chante «je sors avec les hommes mais n’appartient à aucun» tout en jouant les vamps amorales dans un village de réfugiés venus chercher fortune en Australie. La presse ne manque pas de remarquer à quel point la vedette rappelle, y compris vocalement, la Zarah Leander de Paramatta. Pourtant il serait réducteur de voir uniquement en Heiberg un clone de Zarah. La diva suédoise , à la voix infiniment plus puissante et musicale avait davantage un talent de star dramatique dont le sens du pathos brille dans des mélos comme le Chemin de la liberté où elle affronte bravement mille périls, alors que Kirsten était finalement plus proche du personnage de Dietrich, en vamp énigmatique et sexy, dangereuse prédatrice.
En 1940, Kirsten donne la réplique au fameux chanteur d’opéra Benjamino Gigli dans les versions allemandes et italiennes de Légitime défense avant de se compromettre dans un film de propagande «Attention l’ennemi écoute », qui sera interdit après guerre. Ici, l’ennemi est anglais, et Kirsten une dangereuse espionne. Même on peut reprocher à l’actrice , qui a pris la citoyenneté allemande en épousant Grothe, d’avoir accepté ce genre de films, on notera quand même qu’elle a refusé d’entrer au parti nazi et exprimé sa colère face à l’occupation de la Norvège.
Elle sera d’ailleurs lourdement sanctionnée par le régime et interdite de films pendant deux ans. Certaines chansons que son mari a composé pour elle, seront finalement confiées à Marika Rökk ou d’autres artistes. Le projet d’une adaptation de l’opérette Axel aux portes du paradis (rôle qu’elle avait failli tenir à Vienne) prévu pour 1941 sera dès lors ajourné et ne gagnera les écrans qu’en 1943 sous le titre Liebespremiere. Il reste d’ailleurs fort peu de choses de l’amusante satyre du star système hollywoodien, dans ce film où même les chansons ont été changées. Sur ce point, on n’y perd pas forcément car les nouvelles compositions de Grothe figurent parmi les plus jolies du répertoire de Kirsten. Si le film passe pour être le plus coûteux film musical de l’ère nazie, les passages musicaux sont bien décevants car mal filmés et finalement bien inférieurs aux fastueux films que Jacoby a réalisé pour Marika Rökk. En revanche, Kirsten est délicieuse, notamment quand elle danse avec son smoking et chapeau haut de forme.
En 1943, Kirsten figure parmi les têtes d’affiche de Titanic, film catastrophe anti-britannique qui insiste sur le fait que le naufrage serait la résultante de la cupidité de la ploutocratie juive. Le réalisateur Herbert Selpin finira pendu dans les geôles de la gestapo, après voir fait des remarques sur le scénario du film. Les scènes du naufrage, fort réalistes (elle seront d‘ailleurs empruntées pour le remake américain de 1953), seront jugées si déprimantes par Goebbels que le film ne sortira pas en Allemagne, pour ne pas saper le moral des allemands et sa diffusion sera réservée aux pays occupés comme la France. Si le portrait de Kirsten figure en prééminence sur l’affiche française, son rôle est bien discret par rapport à celui de la vamp Sybille Schmitz qui joue à fond la carte du kitsch et éclipse de loin sa partenaire. On la remarque bien davantage dans l’Araignée d’or, en espionne russe parachutée en Allemagne pour récupérer des informations secrètes. Force est de reconnaître que le film est très habile, et vaut les films d’espionnage anti-allemands tournés à Hollywood à la même époque. Seuls les ennemis sont différents. On peut d’ailleurs être surpris de constater qu’un régime aussi abject concevait en fait des films assez similaires aux studios américains. En tous les cas, la vue de Kirsten, en perruque blonde et robe dorée, devant la toile d’araignée de son cabaret vaut le coup d’œil.
Jusqu’à la fin de la guerre, Kirsten comme bien d’autres va enchaîner des films dans les studios blindés et ouatés de Babelsberg à l’abri des réalités quotidiennes et de la déconfiture allemande. Certains seront post synchronisés après guerre et diffusés à Berlin est, et d’autres perdus à jamais.
En 1945, la star sera retrouvée par l’armée soviétique dans la cave d’un hôtel où elle se cachait.
Avec les nombreux films de propagande qui ternissent sa filmographie, on peut imaginer les ennuis que Kirsten Heiberg rencontra après la guerre, notamment dans son pays natal où elle est considérée comme une collaboratrice. Divorcée de Franz Grothe, l’actrice a bien du mal à retrouver des rôles. Après avoir mené une revue à Hambourg, elle parvient néanmoins à tourner dans une poignée de films à la fin des années 40 (Hafenmelodie, Amico), sans renouer avec le succès . De retour en Norvège, où on ne lui pardonne pas sa carrière allemande, l’actrice trouve quelques rôles au théâtre dans des registres très disparates et dirige une école dramatique. Elle fait sa dernière apparition sur les écrans allemands dans Près de toi chérie, bio pic sur la vie de Théo Mackeben. Elle y campe une chanteuse désabusée que le compositeur retrouve en plein désarroi et chante un succès que Mackeben avait jadis composé pour Lida Baarova dans le film Patriotes. On ne sait pourquoi la star avait fait stipuler dans son contrat que le film ne serait pas projeté en Norvège (pour éviter encore une levée de boucliers dans les journaux?), en tous les cas l’engagement ne fut pas respecté.
En 1966, Kirsten trouve un minuscule rôle de femme déchue dans broder Gabrielsen dans un film intéressant sur le fanatisme religieux qui suscitera une vive controverse dans son pays. Elle meurt d’un cancer en 1976, totalement oubliée.
Un spectacle musical «du glamour pour Goebbels» vient pourtant de la mettre à nouveau en lumière dans son pays.
Pour redécouvrir cette fascinante star d’une bien triste période, on peut visionner sur youtube des extraits de ses films d’une grande rareté, qu’un fan a eu la gentillesse de mettre en partage.
Née en 1907 à Oslo dans une famille d’artistes très aisée (le compositeur Edvard Grieg était un ami des parents), Kirstein a d’abord suivi des cours de théâtre au collège avant de poursuivre ses études à Lausanne, à Paris puis à Oxford afin d’y perfectionner les langues étrangères. Au début des années 30, elle fait ses premières armes avec sa sœur au théâtre à Bergen puis à Oslo avant de débuter au cinéma dans Sangen om rondane, un film romantique très réussi et Pêcheurs dans le soleil d’été, adaptation d’un roman norvégien à succès
On la retrouve ensuite dans 3 films suédois : si les studios de Stockholm avait déjà perdu beaucoup de leur réputation mondiale depuis le muet, ce virage représente pourtant un progrès dans la carrière de la jeune actrice, qui pousse également la chansonnette. Un répertoire de diseuse et une voix un peu rauque qui rappelle fort les premiers enregistrements de celle qui va bientôt se retrouver sur sa route : Zarah Leander. En 1937, la chanteuse tente sa chance à Vienne, tremplin de choix pour une carrière internationale. Si sa candidature n’est pas retenue pour l’opérette «Axel aux portes du paradis» qui fera le triomphe de Zarah Leander, Kirsten se fait remarquer dans la revue Pam pam. Le succès est tel que la revue française Pour vous s'en fait même l'écho en décembre 1937 et prévoit pour la nouvelle vedette une carrière à Paris puis Hollywood! Kirsten rencontre le compositeur Franz Grothe, auteur de nombreuses chansons pour le cinéma, Pola Negri , et l’orchestre de Dajos Bela qui devient son mari et la conduit à Berlin. Alors que Grothe discute d’un projet de film (C’est la faute à Napoléon) avec l’humoriste Curt Goetz, ce dernier lance avec regret «dommage que ta femme ne joue pas, elle ferait une parfaite Joséphine de Beauharnais …», le compositeur lui apprend que son épouse a déjà plusieurs films à son actif. Elle est donc lancée en Allemagne en 1938 dans cette comédie très réussie (récemment restaurée et disponible en DVD). Les jambes gainées de soie, une touffe de plumes à la main, la nouvelle Dietrich fait son petit effet. D’autant plus que sa silhouette irréprochable la démarque de la replète Zarah. L’actrice est très remarquée : Hitler demande à compulser son dossier tandis que Gœbbels, grand amateur de jolies femmes, note dans son journal qu’il s’agit d’une découverte aux multiples talents.
En 1939, Kirsten est la vedette de femmes pour Golden Hill, un curieux western allemand. Clope au bec, en négligé révélateur, elle chante «je sors avec les hommes mais n’appartient à aucun» tout en jouant les vamps amorales dans un village de réfugiés venus chercher fortune en Australie. La presse ne manque pas de remarquer à quel point la vedette rappelle, y compris vocalement, la Zarah Leander de Paramatta. Pourtant il serait réducteur de voir uniquement en Heiberg un clone de Zarah. La diva suédoise , à la voix infiniment plus puissante et musicale avait davantage un talent de star dramatique dont le sens du pathos brille dans des mélos comme le Chemin de la liberté où elle affronte bravement mille périls, alors que Kirsten était finalement plus proche du personnage de Dietrich, en vamp énigmatique et sexy, dangereuse prédatrice.
En 1940, Kirsten donne la réplique au fameux chanteur d’opéra Benjamino Gigli dans les versions allemandes et italiennes de Légitime défense avant de se compromettre dans un film de propagande «Attention l’ennemi écoute », qui sera interdit après guerre. Ici, l’ennemi est anglais, et Kirsten une dangereuse espionne. Même on peut reprocher à l’actrice , qui a pris la citoyenneté allemande en épousant Grothe, d’avoir accepté ce genre de films, on notera quand même qu’elle a refusé d’entrer au parti nazi et exprimé sa colère face à l’occupation de la Norvège.
Elle sera d’ailleurs lourdement sanctionnée par le régime et interdite de films pendant deux ans. Certaines chansons que son mari a composé pour elle, seront finalement confiées à Marika Rökk ou d’autres artistes. Le projet d’une adaptation de l’opérette Axel aux portes du paradis (rôle qu’elle avait failli tenir à Vienne) prévu pour 1941 sera dès lors ajourné et ne gagnera les écrans qu’en 1943 sous le titre Liebespremiere. Il reste d’ailleurs fort peu de choses de l’amusante satyre du star système hollywoodien, dans ce film où même les chansons ont été changées. Sur ce point, on n’y perd pas forcément car les nouvelles compositions de Grothe figurent parmi les plus jolies du répertoire de Kirsten. Si le film passe pour être le plus coûteux film musical de l’ère nazie, les passages musicaux sont bien décevants car mal filmés et finalement bien inférieurs aux fastueux films que Jacoby a réalisé pour Marika Rökk. En revanche, Kirsten est délicieuse, notamment quand elle danse avec son smoking et chapeau haut de forme.
En 1943, Kirsten figure parmi les têtes d’affiche de Titanic, film catastrophe anti-britannique qui insiste sur le fait que le naufrage serait la résultante de la cupidité de la ploutocratie juive. Le réalisateur Herbert Selpin finira pendu dans les geôles de la gestapo, après voir fait des remarques sur le scénario du film. Les scènes du naufrage, fort réalistes (elle seront d‘ailleurs empruntées pour le remake américain de 1953), seront jugées si déprimantes par Goebbels que le film ne sortira pas en Allemagne, pour ne pas saper le moral des allemands et sa diffusion sera réservée aux pays occupés comme la France. Si le portrait de Kirsten figure en prééminence sur l’affiche française, son rôle est bien discret par rapport à celui de la vamp Sybille Schmitz qui joue à fond la carte du kitsch et éclipse de loin sa partenaire. On la remarque bien davantage dans l’Araignée d’or, en espionne russe parachutée en Allemagne pour récupérer des informations secrètes. Force est de reconnaître que le film est très habile, et vaut les films d’espionnage anti-allemands tournés à Hollywood à la même époque. Seuls les ennemis sont différents. On peut d’ailleurs être surpris de constater qu’un régime aussi abject concevait en fait des films assez similaires aux studios américains. En tous les cas, la vue de Kirsten, en perruque blonde et robe dorée, devant la toile d’araignée de son cabaret vaut le coup d’œil.
Jusqu’à la fin de la guerre, Kirsten comme bien d’autres va enchaîner des films dans les studios blindés et ouatés de Babelsberg à l’abri des réalités quotidiennes et de la déconfiture allemande. Certains seront post synchronisés après guerre et diffusés à Berlin est, et d’autres perdus à jamais.
En 1945, la star sera retrouvée par l’armée soviétique dans la cave d’un hôtel où elle se cachait.
Avec les nombreux films de propagande qui ternissent sa filmographie, on peut imaginer les ennuis que Kirsten Heiberg rencontra après la guerre, notamment dans son pays natal où elle est considérée comme une collaboratrice. Divorcée de Franz Grothe, l’actrice a bien du mal à retrouver des rôles. Après avoir mené une revue à Hambourg, elle parvient néanmoins à tourner dans une poignée de films à la fin des années 40 (Hafenmelodie, Amico), sans renouer avec le succès . De retour en Norvège, où on ne lui pardonne pas sa carrière allemande, l’actrice trouve quelques rôles au théâtre dans des registres très disparates et dirige une école dramatique. Elle fait sa dernière apparition sur les écrans allemands dans Près de toi chérie, bio pic sur la vie de Théo Mackeben. Elle y campe une chanteuse désabusée que le compositeur retrouve en plein désarroi et chante un succès que Mackeben avait jadis composé pour Lida Baarova dans le film Patriotes. On ne sait pourquoi la star avait fait stipuler dans son contrat que le film ne serait pas projeté en Norvège (pour éviter encore une levée de boucliers dans les journaux?), en tous les cas l’engagement ne fut pas respecté.
En 1966, Kirsten trouve un minuscule rôle de femme déchue dans broder Gabrielsen dans un film intéressant sur le fanatisme religieux qui suscitera une vive controverse dans son pays. Elle meurt d’un cancer en 1976, totalement oubliée.
Un spectacle musical «du glamour pour Goebbels» vient pourtant de la mettre à nouveau en lumière dans son pays.
Pour redécouvrir cette fascinante star d’une bien triste période, on peut visionner sur youtube des extraits de ses films d’une grande rareté, qu’un fan a eu la gentillesse de mettre en partage.