samedi 4 avril 2009

Jacqueline François, Mademoiselle de Paris





Jacqueline François, très célèbre chanteuse des années 50 vient de nous quitter à l’âge de 87 ans, dans une discrétion absolue. C’est plutôt triste de constater à quel point cette information n’a pas été relayée par les médias, à part Le Monde avec une bonne semaine de retard. Et pourtant avec des titres comme Mlle de paris (1948), trois fois merci (1949), les lavandières du Portugal (1955) et la version française de lullaby of birdland, cette chanteuse de charme très distinguée au nez retroussé, avait acquis une immense popularité. Sans doute cette artiste n’avait pas su ni voulu comme certaines soigner ses relations avec le monde artistique et politique, et prendre tous les virages pour être toujours sur la brèche. Eh bien, dans ce topic sur les vedettes du film musical, elle ne sera pas oubliée !

Née en 1922, dans une famille de la haute bourgeoisie (ses parents travaillent pour la brillantine Roja), la jeune femme étudie le piano et se passionne pour le jazz et la variété. En 1945, Jacqueline François remporte un radio crochet qui lui ouvre les portes du show business : en effet, à la libération, la plupart des chanteuses en vue sont inquiétées et interdites de scène temporairement pour avoir poursuivi leurs activités pendant l’occupation : c’est une aubaine pour les nouvelles qui ont le champ libre pour s’accaparer les adaptations de chansons américaines. La voix veloutée de Jacqueline François est idéale pour susurrer « it might as well be spring/c’est le printemps » du film State fair (1945), son premier succès. Jacques Cannetti, célèbre découvreur de talents (Brel, Ferré, les frères Jacques, F Leclerc…) mise gros sur elle. Charles Trenet déclare que « La rencontre de Jacqueline François et du microphone est une date dans l'histoire du disque, ils étaient fait l'un pour l'autre comme deux amants qui se cherchaient et de cette rencontre, de ces amants, naissent les plus jolies phrases qui aient jamais caressé une chanson."
Comment mieux qualifier la mélodieuse voix de Jacqueline après de telles louanges?
En 1948, elle est la première chanteuse à enregistrer avec une très grande formation (l’orchestre de Paul Durand et 40 musiciens ) : un triomphe puisque le titre Mlle de paris (qui raconte les peines de cœur d’une cousette) remportera un succès mondial (aux USA par Patti Page, notamment). Elle l’interprète dans le film Scandale aux Champs Elysées, un mélo situé dans le monde de la haute couture.
Durant toutes les années 50, Jacqueline François va aligner les tubes à une cadence remarquable (trois fois merci, escale à Victoria, la marie vison, on ne sait jamais, la version française de lullaby of birdland, …) : elle sera la première artiste française à vendre plus d’un million de disque (les lavandières du Portugal) . Difficile performance à une époque où tous les français n’étaient pas équipés pour écouter de la musique et où beaucoup préféraient les partitions. Des chansonnettes parfois faciles mais si mélodieusement servies et si bien arrangées par un Michel Legrand débutant (superbe version de la valse des lilas, Jésus pardonne à mes péchés).
Pour mesurer la gloire de la chanteuse, il suffit de constater les pressages internationaux de ses 33 tours, ou de voir qu’elle fit même l’objet d’une figurine distribuée en cadeau dans les cafés Mokalux comme Martine Carol, Piaf, Montand et Line Renaud.
La star de la firme Polydor paraît occasionnellement en guest star dans des films musicaux comme Boum sur Paris (avec Piaf) ou dans des courts métrages.
En 1955, Jacqueline obtient enfin un rôle principal dans une comédie romantique appelée comme par hasard Mlle de Paris, où elle joue son propre rôle et chante des 2 plus grand succès : Mlle de Paris et les lavandières du Portugal. Un divertissement des plus conventionnels mais pas désagréable, mais tout à fait exportable. La chanteuse avouera par la suite que le cinéma ne la tentait nullement mais que le producteur l'avait menacée de confier le film et sa chanson fétiche à une concurrente, et que Jacqueline aurait ainsi fini par accepter le rôle.
Sur la longue liste de ses chansons, on trouve quelques chansons de films comme Que sera sera, (de l’homme qui en savait trop) dont elle fera le succès en France, chiens perdus sans collier, les mains du vent (la vache et le prisonnier), mon oncle, la marche des anges (un taxi pour Tobrouk), j’aurais voulu danser (my fair lady)…et beaucoup d’airs composés par Charles Aznavour, ami de la première heure.
Dans les années 50, la chanteuse s’exporte également avec succès (12 33T sortiront aux USA, fait très rare pour l’époque) : elle chante au Ed Sullivan show et dans les cabarets new-yorkais, enregistre en anglais (taking a chance of love tiré d’un petit coin aux cieux). On la retrouve dans un film mexicain avec d’autres stars internationales comme Yma Sumac ou Lola Beltran.
Comme tous les autres chanteurs traditionnels, la carrière de Jacqueline François va subir de plein fouet la vague yéyé. Cela dit son immense popularité, et le soutien de son producteur et compagnon , l’ex guitariste Jean-Jacques Tilché (qui lancera Claude François qui lors de son enfance faisait croire à ses proches qu'il avait un lien de parenté avec la fameuse Jacqueline) va lui permettre de résister quelques années de plus à la déferlante. C’est là qu’elle grave ses plus beaux disques : la VF de la fille d’Ipanema (accompagnée par Baden Powell) : une réussite et à mes yeux la meilleure version de par le monde de ce standard, la VF de too close for comfort (là aussi, un résultat splendide).
Puis, Jacqueline François va lentement disparaître des médias, hormis quelques furtifs passages à la télé : je me souviens très bien de ses apparitions très distinguées dans certaines émissions de Guy Lux, ou plus récemment de la chance aux chansons où Pascal Sevran la raillait car elle obligeait toute l’équipe à éteindre ses cigarettes.
Son souci de perfection, ses exigences lui vaudront une réputation de mauvais caractère qui ne l’ont probablement pas aidée dans le milieu artistique. Elle a gravé son dernier 45T en 1984.
Le silence radio quasi total autour du décès d’une chanteuse qui fut si populaire pendant plus de 20 ans montre à quel point la gloire est éphémère et fragile et les mémoires courtes. Dommage car Mlle de paris chantait 100 fois mieux que Mlle from Armentières (Line Renaud).






7 commentaires:

  1. Merci pour cet hommage envers une chanteuse exceptionnelle, que j'ai souvent entendue enfant mais que j'ai découverte ces dernières années seulement (il m'aura fallu beaucoup de temps pour quitter ma période Yéyé !).

    Adieu Mademoiselle.

    Youlot.

    PS : A la place de "topic", on a "sujet" et on arrive également à comprendre.

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  2. Ah, je complète parce que je n'avais pas encore visionné la vidéo postée avant de rédiger mon commentaire : pourquoi donc avoir posté "Tenderly" plutôt que "Melle de Paris", "Tu ne peux pas te figurer", "Escale à Victoria", etc ? Parce qu'à vos yeux ça fait moins ringard ?
    Je précise que je ne cultive pas particulièrement le culte du béret/baguette mais je ne vais au Mc. Donalds que lorsqu'il n'y a plus rien d'autre d'ouvert.

    Salutations

    Youlot

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  3. Merci Youlot pour te commentaires. Si j'ai choisi Tenderly, c'est d'une part que j'adore cette chanson et la façon carressante dont Jacqueline la chante, et que j'ai pensé que pour de potentiels lecteurs du monde entier, cela pouvait être une approche originale de la chanteuse. Mais c'est vrai qu'il aurait été plus logique de faire figurer Mlle de Paris (que j'ai réécouté hier avec plaisir)ou un impossible amour, une goualante bien française et parfaitement chantée par Jacqueline François.

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  4. Bonjour,

    C'est vrai que l'essentiel est que l'on continue d'écouter la voix remarquable de Jacqueline François, avec ce sens parfait du rythme et de la mélodie.

    Ma remarque un peu excédée est due à l'attitude de ces "carpettes anglaises" qui considèrent presque comme une maladie le fait de parler français. Et pourtant, j'aime la langue anglaise quand elle n'est pas utilisée à tort et à travers par ceux qui vont finir par me la faire détester.

    Salutations.

    Youlot

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  5. Merveilleuse Jacqueline! Grand merci et mille bravos de lui rendre ici hommage en ce désert médiatique d'amnésie et de coupable inculture! Elle, pourtant au phrasé si parfait, à la musicalité exemplaire. Il est vrai que tous ces pédants journalistes et animateurs ne savent ce qu'est une grande interprète, ils n'en ont sans doute jamais entendue, trouvent "ringard" l'excellence et célèbrent la médiocrité quand cela n'est pas voix nasillardes ou monocordes, criardes et atroces... Récompenses pleuvent sur les nulles et l'on ne rend hommage aux stars. Ils sont bien pauvres. Jacqueline François fait peut-être partie des six ou sept plus grandes: Fréhel, Damia, Lucienne Boyer, Léo Marjane, Edith Piaf, Lucienne Delyle, Catherine Sauvage et Colette Renard, dreamteam de l'interprétation, des beaux timbres de voix, des personnalités marquantes, de ces dames capables de donner à un texte et une mélodie leurs plus beaux atours, leurs envolées mythiques, leurs résonnantes rêveries, leurs atmosphères si prégnantes. Nous enrober de charme ou d'admiration fascinée. Jacqueline François était une envoûtante magicienne. Il fallait des gueux sans oreille pour l'avoir négligée quand tant d'autres dans le monde la célébraient. Merci pour cette page qui sauve l'honneur, donne baume au cœur et démontre qu'il en existe encore qui savent distinguer l'art du chant populaire du bruit insipide.

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  6. Entièrement d'accord avec vous, Christian. dernièrement, j'ai revu des extraits de TV luxembourgeoise avec diverses vdettes des années 50. Quel bonheur de revoir Jacqueline, avec son nez retroussé et son charme si parisien. Quelle présence et quelle voix caressante!

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  7. ... "Talons et jambes fines..." ou le swing élégant - et très parisien - de Jacqueline François. La qualité de la prise de son de ses chansons reste bluffante un demi-siècle après, une qualité jazz. (En mono je suppose, car les studios français ne furent équipés en installations multi-pistes qu'à partir de 1960.)

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