jeudi 3 décembre 2009

Ludmilla Tcherina, somptueuse étoile de la danse




Avec ses cheveux de jais, son regard troublant légèrement asymétrique, la belle Ludmilla Tcherina avait outre son charme slave de jolie sorcière, un éblouissant talent pour la danse classique qui l’a menée sur les plus grandes scènes du monde où elle a prêté sa sensibilité et son charisme à des spectacles qui ont révolutionné l‘art de la danse. Si la belle artiste avait plus d’une corde à son arc : la peinture, la sculpture, l’écriture de romans, la comédie , les cinéphiles reteindront surtout ses prestations dans les films du grand Michael Powell, qui fasciné par la troublante ballerine, lui a offert ses plus beaux rôles à l’écran.

Née à Paris en 1924, d‘une mère française et d‘un père géorgien, prince exilé recherché par les nazis, la petite Ludmilla débuta très jeune comme ballerine dans les Nouveaux Ballets Russes de Monte-Carlo où elle dansait régulièrement avec Serge Lifar , notamment le Romeo et Juliette de Tchaïkovski. Elle a travaillé ensuite avec les Ballets des Champs Elysées, à l'Opéra de Paris ainsi qu'à la Scala de Milan. La discipline était très stricte, et les séances de cinéma étaient pour la jeune fille la meilleure des récréations (son idole était alors Greta Garbo).
Peu après la libération, le réalisateur Christian Jaque cherche une danseuse pour donner la réplique à Louis Jouvet dans son nouveau film un revenant . Le bout d’essai de Ludmilla ne retient pas son attention. Pourtant quand il remarque une photo de la danseuse en couverture de Paris Match , il change d’avis. Hélas, la ballerine a quitté paris pour Monté Carlo et c’est grâce aux services de SVP que le réalisateur va trouver son étoile, et que va s‘amorcer sa carrière à l‘écran.
En effet, Hollywood la sollicite déjà et lui propose de gagner les USA avec d’autres débutantes comme Martine Carol, Jacqueline Pierreux et Corinne Calvet : seule la dernière franchir le pas.
Le public lui décerne un prix de comédie pour la nuit s’achève, un mélo de la pire espèce (gravement accidenté, un homme demande qu’on lui prélève les yeux afin de rendre la vue au fiancé de la femme qu’il aime) qui sera assassiné par la critique.
D‘une très grande ouverture d‘esprit, Ludmilla Tcherina éprouve vite le besoin d’élargir au maximum ses horizons artistiques. Elle passe ainsi d’un rôle secondaire dans le magnifique film de Powell et Pressburger « les chaussons rouges » à une opérette filmée avec Luis Mariano (Fandango), qui a l’époque sera présentée comme le meilleur film en date du célèbre chanteur. Elle joue même sur scène dans une assez désastreuse opérette de Paul Misraki avec Yves Montand et Henri Salvador, autres artistes promis à un brillant avenir.
Michael Powell ne se tarit pas d’éloges à son sujet : Elle est pour lui « une amie admirable, une artiste disciplinée et exceptionnelle. » Il lui confie un rôle bien plus marquant dans les comtes d’Hoffman. Telle un superbe fantôme, la belle Ludmilla incarne la courtisane Guilietta , dans la plus poétique séquence du film sur l‘air de la barcarolle. (enfin, c’est un avis personnel, lors d’une reprise en 1975, la revue Positif parlera de numéro sombre, outrancier, décadent, affreusement mal joué par Ludmilla).

Le film est un triomphe personnel pour la ballerine qui lui ouvre grandes les portes du cinéma international, mais aussi une tragédie, car son mari Edmond Audran, qui dansait à ses cotés dans le film (et qui avait été pressenti par Abel Gance pour jouer le rôle du Christ), meurt dans un accident de voiture à la fin du tournage.
Bouleversée, Ludmilla Tcherina ne souhaite plus danser sur scène. Pendant deux ans, elle ne se consacre qu’au cinéma et la peinture, un violon d‘Ingres qui la détend. La presse britannique lui prète à cette époque une aventure avec Robert Taylor. Mais c'est Raymond Roi, son second mari, un promoteur immobilier, qui l'encourage à remonter sur scène, et fonde à ses cotés une troupe de ballet d’avant-garde, basé autant sur la danse que la dramaturgie.
Loin de cette quête d’un « art total » (pour reprendre les mots de l‘artiste), la belle se compromet au cinéma dans des séries B plus proches du « nanar total » comme le signe du païen avec Jeff Chandler ou la fille de Mata Hari. On retiendra davantage une énième version de l’opérette la chauve souris « Oh Roselinda » à nouveau sous la direction de Michael Powell. Très critiqué à sa sortie, le film a pourtant toute l’insolence et le pétillant nécessaires, et mériterait une édition en DVD.


Lune de miel (1959), réalisé en Espagne par Michael Powell est surtout mémorable pour sa musique de Mikis Theodorakis (l’air principal sera un tube par Gloria Lasso, repris même par les Beatles) et les superbes ballets menés par Léonide Massine. La même année, elle crée le ballet les amants de Teruel œuvre fascinante s’appuyant sur les amours malheureuses de Diego de Marcilla et d'Isabelle de Segura, ensuite adaptée à l’écran par Raymond Rouleau et fera partie de la sélection officielle de la France au Festival de Cannes en 1962. Il y obtiendra le Prix spécial de la Commission Supérieure Technique. Si l’on en croit les critiques de l’époque, il s’agissait d’une Somptueuse féerie en couleurs, réussissant avec brio la fusion de deux genres, l’intégration parfaite, grâce à la technique du cinéma, de la danse et de la dramaturgie. Comme Stanley Donen pour un américain à Paris, Raymond Rouleau s’était inspiré de peintres célèbres (Picasso, de Chirico) pour certains tableaux. En dépit de la musique magnifique d‘Hadjidakis (l’air principal sera enregistré par Edith Piaf en fin de carrière), le coté théâtral et avant-gardiste repoussera le public.
Là aussi, on ne peut que regretter qu’un film aussi mythique n’ait plus jamais été exploité par même en VHS.

Si l’échec du film éloignera Ludmilla des écrans, son succès sur scène est extraordinaire.
En 1958, Jean Renoir écrit pour Ludmilla le livret du ballet, "Le Feu aux poudres"dont il assure aussi la mise en scène. Hélas, le spectacle ne sera pas transposé à l’écran.


Elle est la première danseuse occidentale à se produire au Bolchoï à Moscou et au Théâtre Kirov à Leningrad. Sa prestation dans le ballet Martyre de saint Sébastien de D'Annunzio et Debussy en 1957, est unanimement appréciée. Je me souviens très bien d’avoir vu enfant une adaptation télévisée de ce spectacle, et d’avoir été ébloui par la fascinante ballerine, qui vivait son personnage avec une intensité rare. A la fin du ballet, dans un moment d’une rare audace , elle était transpercée de flèches qui émaillaient son collant, et découvraient presque entièrement son corps.

Habituée de l’Élysée et de Matignon depuis la 4ème république, Ludmilla Tcherina avait tissé des liens étroits avec beaucoup d’hommes politiques et surtout André Malraux (qui la surnommait Cléopâtre), laissant planer quelques doutes sur la nature exacte de leur relation . Beaucoup affirment qu’elle a succédé dans sa vie à Louise de Vilmorin. Pourtant, Malraux se défendait d’être son amant et de l’avoir un jour embrassée même sur la joue, peut être un peu irrité par les sarcasmes et railleries faisant suite aux articles trop élogieux qu‘il avait rédigé pour une exposition des peintures de la ballerine à l‘Hôtel de Sully en 1973. En tous les cas, les solides appuis de Ludmilla n’empêcheront pas son mari d’être inculpé pour escroquerie dans une sombre affaire de placements immobiliers. Incontournable personnage du tout Paris, Ludmilla continuera d’assister aux galas les plus mondains et aux défilés de mode les plus prisés, avec le même calme marmoréen et des décolletés plongeants, souvent flanquée de son ami Jacques Chazot. Il parait qu'elle s'interdisait de sourire, afin d’éviter la formation de la moindre ridule, et portait toujours un énorme ruban ou turban pour tendre ses traits.
Elle envisageait dans les années 80 de réaliser un film sur la danse, mais des problèmes financiers l’ont forcé à renoncer à son cher projet. La belle s’est alors tournée vers l’écriture et la sculpture (réalisations pour le Bicentenaire (1989), pour l'Exposition universelle de Séville (1992) et pour l’inauguration de l’Eurotunnel.)
Ludmilla Tcherina est décédée d’un cancer en 2004. Afin d’apprécier plus justement l’ouvre de cette artiste une réédition en DVD de ses ballets filmés, d’Honeymoon et des Amants du Teruel s’imposerait. Si un éditeur tombe par hasard sur ces lignes…

3 commentaires:

  1. Je possède une VHS (d'origine américaine) des Amants de Téruel, que je me suis procurée au prix fort, mais ça en vaut la peine (j'avais vu le film à sa sortie). Si certains sont intéressé, mon adresse = alain.pernet@ens.fr

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour,
    Votre VHS des Amants de Teruel est elle toujours disponible ? Je suis un fan de Ludmilla Tcherina et de ce film en particulier, vu dans les années 60. Merci. Merci aussi pour votre bel article. Cordialement,
    Bernard (Nantes)

    RépondreSupprimer